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En avant, dans toutes les directions à la fois ! (3 Mustapha 3)

Ma vie n’est pas inutile (part ouane)

Etape n°1 : j’apprends à être solidaire avec moi-même
par Bidet Casserole
 

Internet rend-il le bonheur plus proche ou plus lointain ? N’ayant pas peur des questions trop grandes pour un seul homme, j’ai attaqué par la face nord, et en plus je n’ai pas escaladé tout droit. Voici le carnet de route de la première étape.

Ce matin, en me réveillant, je me suis senti comme globalisé. Pas à 100%, mais bien atteint quand même. Puis, cette impression s’est dissipée, je me suis levé et j’ai pris le chemin des grands ateliers de production du dérisoire.

Le truc rassurant, c’était que beaucoup d’autres faisaient pareil, et le truc inquiétant c’était aussi que beaucoup d’autres faisaient pareil. Dans les ateliers, point d’uniforme, dans ma branche, la normalisation passe par le réseau. Tu allumes, ton dinateur et hop, la petite musique annonce ta présence à tes voisins, des ondes se propagent en silence le long des câbles pour laisser la trace de l’heure de ton arrivée, puis informer un anonyme administrateur du nombre de pages d’uZine auxquelles tu auras accédé.

La première guerre globale a commencé…

Nous y participons tous, à la fois en tant que victimes et en tant que complices, à moins que ça ne soit l’inverse. Elle est bien finie l’heure des divisions absurdes de la société entre gend’droite et gend’gauch’, qu’on séparait parfois par des murs barbelés pour bien s’y retrouver, la répartition entre les pour et les contre, entre modernificateurs et rétrogristes…
Le nouveau système qui se met en place est bien plus simple et bien plus pervers, la ligne de démarcation passe à l’intérieur de nous-mêmes. Bien sûr, tensions et désaccords n’ont pas quitté la sphère du social, mais ils aussi ont largement trouvé leur place en chacun d’entre nous.

Il n’y a pas encore d’étiquette indiquant la composition de chaque travailleur, (rebelle : 25% ; conformiste : 58% ; s’en fout : 17%). Je présume que le relevé mensuel des sites visités sur le net depuis un poste de travail doit permettre d’établir avec précision cette synthèse de personnalité, indispensable aux DRH (au dessus d’un certain niveau de conformisme (ou de rébellion) il y a des boulots qu’on ne peut pas faire, mais il y a aussi un seuil minimum à respecter pour la cohérence du groupe).

A ceux que je vois penser très fort à l’indépassable horizon de la lutte des classes, je dis que ça reste une donnée essentielle, mais les formes nouvelles de contrôle social doivent amener l’analyse à se diversifier.

Pour l’instant, on en est encore à la période des essais. Messier et ses amis l’ont compris, il faut garder en vie le rebelle qui est en chacun de nous, mais sans trop le faire grandir. Une pincée de Guignols par ci, un soupçon d’expression libre par là, un gros poil de portnawak sur la toile… Je ne serai même pas surpris de trouver dans la liste des conférences de Davos une jolie chose du type « Rébellion et performance, le nouveau paradigme des entreprises innovantes ».

Peut-on travailler sans être un collaborateur ?

Et la réponse est-elle dans la question ? Il y a des cas évidents, pour lesquels aucune tendance à la rébellion n’est requise : inspecteur de la redevance télévisée, commercial dans les bases de données comportementales, critique de cinéma à Libé1… Mais pour la plupart d’entre nous, la ligne de partage entre la compromission passive et la lucidité agissante nous coupe en deux. Même un boulot altruiste, peu considéré et mal payé, comme éducateur, par exemple, a sa part grise. En aidant des gamins à ne pas sombrer dans le vol, la dope et le mépris d’eux-mêmes, tu accrédites la légitimité du « boulot de con + TF1 + pastis + PSG », qui mène à la résignation et au mépris de soi-même (d’accord, c’est un peu rapide comme raccourci, mais il y a du vrai).

Vous savez, « Je ne fais que mon boulot ! »

C’est sûr, il suffit d’avoir cette excuse à brandir pour être autorisé à laisser sa conscience au vestiaire. En application de ce principe, dit du « je bosse, moi ! », le livreur a le droit de bloquer une rue. Qu’il décharge des caisses bourrées de plutonium, de farines animales ou de Pokémon, ce n’est pas le problème. Du moment qu’on te paye pour faire un truc, c’est forcément légitime.

Donc, si j’ai bien suivi mon raisonnement, nous sommes tous coincés…

Non, je crois même que le fait de vivre à l’intérieur de nous-mêmes cet affrontement entre les pressions de l’hydre globalisante et les aspirations à plus de justice et d’équilibre (est-ce que vous en connaissez beaucoup des gens qui sont contre ces deux trucs là ?) nous place en permanence en situation d’arbitre. Le domaine où il est le plus facile de se rassurer, c’est le symbolique, « je tiens un discours critique, donc je n’abdique pas ». Mais, il y a plein d’autres petites choses un peu dérisoires et plus concrètes, acheter du café « politiquement correct », éliminer les déplacements automobiles inutiles, ne jamais mettre les pieds dans un hypermarché…
Enfin, il y a les vrais engagements dans la réalité non-virtuelle, essayer de rendre plus vivable l’univers de l’entreprise (quelques points de vue ici et là)se présenter aux élections municipales, parce que c’est le seul échelon de la représentation citoyenne qui ne soit accaparé par les professionnels de la citoyenneté, les syndicats, les actions locales (dire bonjour à son voisin, donner du temps à des associations)… Tout ce qui revient à mettre un peu plus de solidarité dans un univers qui ne prospère que grâce à la division entre des intérêts contradictoires, y compris à l’intérieur des individus eux-mêmes.

Tout cela faisant un peu reculer le grand truc à la con, l’axiome de base de la mystification libérale, qui s’énonce ainsi : « la somme des efforts individuels pour atteindre le bonheur (bonheur s’écrit - profit - en libéral) aboutit au bien commun. » La recherche du bonheur vue par les quelques centaines de participants du symposium de Davos n’a rien pour étayer sa priorité de fait sur celle des quelques milliards d’individus qu’on a oublié d’inviter.
Les gars du club de Davos s’inventent pour quelques jours par an une solidarité qui relève de l’entente maffieuse, imaginons un instant ce qui se passe quand de vraies solidarités émergent entre des humains, et non pas entre des bilans annuels.

Donc, pour résumer les chantiers à mettre en route :
- j’assume mes contradictions et j’augmente la solidarité entre les différents morceaux de la personnalité éclatée que me construit Big Browser Vivensoft,
- je deviens plus solidaire avec le monde qui m’entoure (il s’agit de gens, en général).

Et internet dans tout ça ?

Bonne question, la réponse est pour bientôt…

1 Le critique de cinéma à Libé a un rôle central dans le positionnement marketing du journal : pour continuer de faire croire que ce quotidien pose un regard original, et radical, sur le monde, il s’engage à démolir l’essentiel des films qu’il va voir. Pendant ce temps-là, la moissonneuse libérale a pris les commandes de la direction, de l’actionnariat et de l’essentiel des lecteurs. (C’était la minute « Presse Ecrite ; Maximum Respect » sponsorisée par la Fondation Philippe Val. Voir le récent édito de Pierre Lazuly sur ce beau quotidien.

 
 
Bidet Casserole
 

(à suivre)

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17 octobre 2000
 
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