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jeudi 11 janvier 2001

L’Express pour nulle part

L’horreur journalistique, chapitre 6
par Pierre Madrid

- Bonjour, je voudrais parler à Machine. Bon, je rappellerai.

- Bonjour, je voudrais parler à Machin. Bon, je rappellerai.

- Bonjour, je voudrais parler à Machine. Bon, je rappellerai.

Je ne sais pas ce qu’ils foutent à l’Express, mais y a jamais moyen de
les joindre. Quand enfin on y arrive, il faut toute la persuasion et
l’énergie du monde pour arriver à leur parler plus d’une minute. Ils
sont une floppée, tous plus occupés les uns que les autres, avec chacun
des piles de photos urgentes à classer. La plupart de ces piles vient
des agences.

Le plus sûr moyen de publier des photos dans ce genre de canard c’est
d’en avoir beaucoup, beaucoup, beaucoup... Comme les iconos n’ont jamais
lu les papiers que les photos doivent accompagner, à moins que ce ne
soit le contraire, on sait plus, quand ils cherchent une photo sur
l’agriculture, il vaut mieux prévoir large et amener des photos de tous
les continents, depuis la recherche agro-alimentaire jusqu’à des
portraits de paysans indiens, comme ça on est sûr.

Une fois que je me trouvais au service photo, après avoir réussi je ne
sais trop comment à m’y frayer un chemin, tellement ils sont trop
occupés pour avoir le temps de regarder les photos d’un photographe qui
a pourtant déjà travaillé quelques fois avec eux, et ben il y avait une
icono qui téléphonait pour chercher une photo de VTT.

Mais attention, en téléphonant aux agences elle n’omettait pas de
préciser qu’elle voulait une « belle » photo de VTT. Comme si les agences
faisaient exprès d’en avoir des moches... Auquel cas pourquoi continuer
à travailler avec elles ? Ca je lui ai pas demandé, mais j’avais très
envie. Et vous ne le croirez pas, elle était pressée, il lui fallait ça
vite, ça urgeait. La semaine d’après j’ouvrais l’Express pour découvrir
une photo de VTT sur à peine un 1/4 de page...

On ne doit pas avoir la même vision du beau. Mais bon, ça allait avec
l’article qui lui non plus n’était ni très beau, ni très bon. Une page
était remplie et c’était déjà ça. La photo était insignifiante, très
colorée, je supppose qu’elle avait rempli son objectif.

A l’Express, à défaut d’être sympas comme à Libé, ils sont tous très
sérieux. Le chef, quand on le croise dans les couloirs, on ne croirait
jamais qu’il travaille à la photo tellement il ressemble à un haut
fonctionnaire. Il porte un costume gris et circule avec des dossiers
sous le bras, c’est impressionnant. Il est lui aussi très occupé. Il est
tout le temps en réunion. Je me demande ce qui se décide de si important
dans ces réunions quand je regarde le journal. Mais peut-être que le mot
réunion s’utilise aussi maintenant pour signifier : « qu’il fait ses
courses au centre commercial du coin », « qu’il est parti à la gare
acheter les billets pour les sports d’hiver de ses gosses », « qu’il
discute avec une vieille copine dans un couloir », « qu’il est chez le
coiffeur, ou chez le tailleur qui lui coupe les costumes très sobres
qu’il porte tout le temps » etc...

A l’Express, on sait qu’on travaille dans un grand journal. Alors comme
l’actualité est chaque semaine très importante, on suit l’actualité de
près, ou les « grands changements de société ». Les photographes qui
veulent montrer des photos ont vachement intérêt à ne téléphoner que
pour des choses ayant trait à l’actualité, ou aux « grands changements de
société », autrement c’est pas la peine.

Bonjour, je voudrai parler à Machine. Comment elle n’est pas là ? Mais
vous êtes sûr qu’elle travaille toujours chez vous, je n’arrive jamais à
la joindre. Ah bon, elle est débordée, j’avais peur qu’elle soit encore
en réunion, je rappellerai tout à l’heure.

 
 
Pierre Madrid
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Photographe

18 décembre 2001
 
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> L’Express pour nulle part
26 février 2002, message de Jean Charles Florani
 

Par hasard je suis "tombé" sur vos articles , j’ai lu l’ex^press et la croix ,

merci c’est décapant , aussi gentil
et cela apporte un autre regard

Jean Charles Florani
Embourg Belgique

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