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Lettre ouverte à Al Gore

par Michael Moore

Cher Vice-Président,

Salut Al, comment va ? Ca faisait longtemps ! Ca roule ? Mais assez plaisanté. J’ai reçu plein d’appels de tes potes et de tes supporters. Hé ben, ils en mènent pas large, dis-moi ! Ils pensent vraiment que tu vas perdre au Michigan. Tu parles d’un esprit d’équipe... Personne ne leur a dit que Bush n’a même pas gagné sa propre primaire dans le Michigan ? Un « état clé » pour l’élection ? Ah ! D’après tes troupes, il suffirait qu’on agite notre baguette magique, Ralph Nader ou moi, pour que les voix de Nader « reviennent à Gore ». Laisse-moi te dire que tu te fous le doigt dans l’œil ! Tu aurais déjà dû avoir renvoyé ce crétin des Appalaches dans son Texas natal avec un exemplaire de Babar sous le bras. Tu aurais déjà dû lui avoir fait mordre la poussière des plateaux de télévision au cours des trois débats que vous avez eu ensemble. Mais tu ne l’as pas fait. Et maintenant, tes sbires m’appellent moi pour me demander à moi de faire le boulot à ta place ! Tu crois pas que j’ai d’autres chats à fouetter ? Entre le boulot, Noël qui approche et ma cour à balayer... Il faudrait en plus que je sauve ta peau ? Pince-moi, je rêve !

Tu te rappelles la lettre que je t’ai envoyée en juin dernier, où je te demandais pourquoi diable je devrais voter pour toi et non pour Nader ? Tu m’a renvoyé une réponse de quatre pages, en me remerciant de mon « ton provocateur », et en soulignant les raisons mêmes pour lesquelles je savais dans quelle merde tu allais te trouver maintenant. Il y a quelque chose que tu sembles pas bien piger : c’est que si Bush peut devenir président, c’est à cause de toi et de tes copains démocrates. Au lieu de vous comporter en hommes (il n’y pas encore de candidate, chez vous, ou je me trompe ?) et de reconnaître vos erreurs, vous préférez faire porter le chapeau à un honnête avocat en fin de carrière qui essaie seulement d’être en accord avec sa conscience. Car Ralph Nader a tout de même consacré toute sa vie à rendre la nôtre plus vivable ! Qui a lutté pour que l’air soit respirable et que l’eau soit potable (Clean Air Act et Clean Water Act, lois sur la qualité de l’air et de l’eau) ? Qui a mis sur place une agence pour la protection de l’environnement, et une médecine du travail (EPA, Environmental Protection Agency, et OSHA, Occupational Safety and Health Administration) ? À qui devons-nous les airbags et la ceinture de sécurité obligatoires ? Et le droit pour tout citoyen d’accéder aux informations officielles le concernant (Freedom of Information Act) ? Et je pourrais continuer durant des heures... Et toi, as-tu jamais essayé de sauver une vie humaine, tandis que Nader en sauvait des millions ? Et tu oses attaquer cet honnête homme et ceux qui le soutiennent ? Soyons clairs : on ne t’a pas lâché, c’est toi qui nous as abandonné. Toi et tes « Nouveaux démocrates », vous avez abandonné les pauvres, la classe ouvrière et les classes moyennes. Ton soutien à l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain (Alena) a coûté leur emploi à des centaines de milliers de travailleurs : tes propres électeurs. Chez moi, à Flint, dans le Michigan, ce sont 32 000 postes qui ont été supprimés de chez General Motors depuis que tu es aux commandes avec Clinton. 5 000 postes de plus que pendant les 12 années de l’ère Reagan-Bush ! Est-ce que tu te rends compte qu’ici, les deux tiers des écoliers vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Et tu te demandes pourquoi la course est si serrée au Michigan ? Ces gens que tu as lâchés n’avaient d’autre choix que de voter Nader ou de s’abstenir, ce que vont faire la plupart d’entre eux. C’est toi et tes amis démocrates qui avez créé ce monstre qu’on appelle Bush. Il y a eu plus de licenciements l’année dernière aux États-Unis qu’au cours des dix dernières années. Il y a eu plus de faillites personnelles déclarées l’année dernière qu’au cours de toute notre histoire. Jamais depuis la Grande dépression la famille américaine moyenne n’a été aussi endettée qu’aujourd’hui. Et tu oses appeler ta campagne dans la région des Grands lacs « Tournée de la prospérité » ? As-tu songé que les États dans lesquels le résultat s’annonce si serré se trouvent dans la grande « Ceinture de rouille » (NdT : anciennes régions industrielles en friche comparables au nord de la France) qui va du Missouri à la Pennsylvanie ? Tu as essayé de faire peur aux électeurs de Nader, et tu t’es pris un retour de flamme ! Lorsque les premières affiches anti-Nader collées par des militants pro-avortement ont fleuri sur les murs du Minnesota, Ralph a bondi de 10 points dans les sondages ! Les gens ne sont pas si bêtes, tu sais... Tu peux toujours crier « Bush nommera des militants anti-avortements à la Cour Suprême comme Scalia et Clarence Thomas », ils savent qui a déjà voté pour la nomination de ce fêlé d’extrême-droite Antonin Scalia à la Cour. C’étaient des gens comme toi, Al Gore, sénateur du Tennessee, qui t’es levé pour dire « oui » le jour où la candidature de Scalia a été confirmée par le Sénat ! Si jamais nous perdons le droit à l’avortement, c’est TOI qui seras responsable et ceux d’entre nous, comme Ralph Nader, qui ont combattu la candidature de Scalia, n’oublierons jamais la façon dont tu auras mis en danger la vie de toutes les femmes des États-Unis. Tu n’es plus crédible sur ce sujet.

Alors, on fait quoi ? Une chose est sûre : George W. Bush ne doit pas mettre les pieds à la Maison blanche. Je vous ai rencontré tous les deux. J’en ai conclu que vous étiez d’accord sur la plupart des sujets, mais qu’il y a quand même une différence majeure entre vous deux : George W. Bush est un personnage banal, méprisable et corrompu. Toi, non. Entends-moi bien : tu penses de travers sur pas mal de sujets (quelle tristesse de te voir boire sans sourciller les paroles d’un Bush qui se délectait à l’idée d’exécuter trois hommes !). Pourtant je crois que tu es un type bien, bon père, bon mari et peut-être, au fond de toi-même, as-tu même un cœur et une conscience. Ça, je le crois sincèrement. Alors, pourquoi est-ce que je ne vote pas pour toi ? Je veux que Nader obtienne des millions de voix aux présidentielles. J’ai vu des rassemblements immenses se former dans tout le pays pour l’écouter. Il y a un mouvement politique progressiste qui se réveille en Amérique. Il faut que ça devienne un mouvement de masse. Maintenant, pas dans quatre ans. Je crois vraiment que Nader est plus proche de l’opinion de la majorité des Américains que toi ou Bush. Va voir dans la rue comment ça se passe... La plupart des Américains veulent une vraie sécurité sociale, un salaire minimal décent, un syndicat représentatif, une coupe dans les budgets de l’armée. Personne ne veut porter des vêtements fabriqués par un petit asiatique dans un atelier d’une « zone de libre échange ». Si toi et les médias n’aviez pas passé sous silence la campagne de Nader, si tu avais débattu avec lui, on aurait abordé les vrais sujets il y a des mois. Et tu aurais vite su comment pensent les Américains.

D’accord, tu as loupé le coche. Mais maintenant, tu nous demandes de te tirer de ta propre merde et de barrer la route au grand méchant loup ? Et comment tu veux qu’on fasse ? Qui va te ramener les voix des pauvres et des jeunes ? Je veux bien envisager toutes les solutions, sauf une : empêcher que Nader obtienne moins de 5% des voix. Il peut obtenir ce score sans que Bush gagne. Ces deux objectifs ne sont pas opposés. Mais la balle est dans ton camp, pas dans le nôtre. Je ne me sentirai pas du tout responsable si tu foires tout et que Bush est élu. La seule responsabilité que j’assume, c’est d’avoir voté pour toi et Clinton en 1992. Et j’ai fait tout ce que j’ai pu ces 8 dernières années pour essayer de stopper l’hémorragie que tu as provoquée.

Je t’ai jamais raconté l’histoire de l’école élémentaire de Flint ? J’ai filé un coup de main pour y installer une salle d’ordinateurs. Les gamins, dont 83% vivent en dessous du seuil de pauvreté, pourront comme ça avoir les mêmes chances que leurs camarades des quartiers riches. Mais toi et Clinton, vous avez supprimé les allocations de millions de mères pauvres. Cette année, l’une d’entre elles, qui vivait près de cette école, a été menacée d’expulsion. Elle a dû mettre ses gosses chez son frère pour pouvoir au moins conserver son boulot « Welfare to Work » [NdT : travail obligatoire en échange d’aides de l’état, censé redonner leur « indépendance » aux « assistés »]. À cause de toi et de ta politique , elle a dû se faire ramasser chaque jour par un bus et s’éloigner pendant 12 heures de chez elle pour travailler dans un restaurant de la banlieue chic fréquenté uniquement par des blancs. Son gamin de 6 ans était transformé en SDF. Un jour de février dernier, alors que sa mère gagnait ses indemnités à la sueur de son front, il a déniché le pistolet de son oncle, l’a amené à l’école et a tiré une balle dans la nuque d’une petite fille de son âge, alors qu’ils allaient travailler sur les ordinateurs que je leur avais offerts. M. Gore, avez-vous jamais entendu une institutrice appeler les urgences en essayant d’arrêter le geyser rouge qui jaillit du cou d’une petite fille de 6 ans qui va mourir ? Non ? Dommage. C’est le résultat de votre réforme de la protection sociale. Vous pouvez me joindre par téléphone ou par courrier électronique. Bien à vous,

Michael Moore (mmflint@aol.com)

 
 
Michael Moore
 

Traduit de l’américain par Rezk (rezk@bobsurfer.net)
Reproduit avec l’aimable autorisation de Michael Moore
(texte original).

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Cinéaste et journaliste américain, réalisateur de « Roger et moi » et de
« The big one », auteur de « Downsize this ! »

6 novembre 2000
 
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> Lettre ouverte à Al Gore
8 janvier 2007, message de danielli
 

Chaque fois que quelqu’un fait quelque chose de bien et d’intéressant, il n’est pas nécessaire de s’appesantir sur les actions négatives de son passé.
M. Moore a bien travaillé avec son film dénonciateur.Il peut avoir du ressentiment de ne pas avoir eu l’aide d’ al Gore à ce moment-là mais il serait bon aussi de regarder devant soi !!et de ne pas rester bloqué sur ce ressentiment là.
Chacun à son tour peut faire avancer les choses.
Le film/documentaire d’Al Gore est excellent et d’utilité publique.
Danielle vadel Mir

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> Lettre ouverte à Al Gore
30 octobre 2006, message de Joël
 

Cette lettre est plutôt mal écrite et ne fait avancer le smilblick du réchauffement et autres mineurs problèmes de la planète.

 
en ligne : Bof
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> Lettre ouverte à Al Gore
17 octobre 2006, message de cesari Patricia
 

Peut -on savoir ce que pense aujourd’hui Michael moore du film d’Al gore sur le réchauffement climatique ? Et ce que pense les américains de cette question.
Votre avis de l’autre côté de l’atlantique m’intéresse beaucoup et je souhaite voir s’exprimer chacun afin de me déterminer au mieux sans à priori sans avoir une seule perspective. D’avance merci
Patricia cesari6@aol.com

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NdT
19 mai 2001, message de Rezk
 

Pour ce qui est de la traduction, désolé pour les passages pas français, qui ont été rajoutés après coup sans que j’en sois informé…

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> Lettre ouverte à Al Gore
16 novembre 2000
 

Site très bien, tout ça, blabla !
Mais juste une remarque : pourriez vous avoir la délicatesse de mettre la véritable date des articles de Michael Moore ie sa date de parution sur son site que celle de votre traduction maison. Je ne vois pas là une manipulation perverse mais une bourde qui a le défaut de rendre étrange les propos "ante élection" de Moore dans un contexte "post élection".
Amicalement vôtre
Brett et Dany (nan, j’déconne, c’est Maedrox)

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> Lettre ouverte à Al Gore, 17 novembre 2000

C’est vrai que ça manque, pour ce texte en particulier. On va mettre de l’ordre dans tout ça. Merci, ;)

Philippe, du Minirezo

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