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Un apartheid masculin

par Michael Moore

Chers amis,

Les femmes ont l’habitude d’avaler pas mal de couleuvres, mais la
comédie présidentielle de cette année décroche vraiment le pompon.

Nous avons à présent quatre hommes en tête des listes des « deux »
principaux partis dans la course à la Maison-Blanche. Et pas un seul
candidat, démocrate ou républicain, n’a seulement fait mine d’envisager
qu’une femme puisse être vice-présidente. Quant à en désigner une
comme candidate, n’en parlons même pas.

Les femmes : 53 % de la population. Le sexe majoritaire en nombre.
Et, comme toujours, représentativité : zéro. C’est encore la minorité
qui gouverne, qui dicte la loi, qui tient les rènes du pouvoir. Ça porte
un nom : apartheid.

Vous savez ce que je trouve incroyable ? C’est que ni Gore ni Bush
n’aient même fait semblant d’envisager de nommer une femme à la
vice-présidence. Naguère, les candidats à la présidentielle - mâles à
100 % - jetaient au moins négligemment quelques noms féminins au
passage, ou annonçaient que Mme Unetelle figurait sur leur liste. S’ils
ignoraient les femmes de façon trop flagrante, se disaient-ils, elles
risqueraient d’en prendre ombrage. Donc ils ont donné le change. Ils
ont « auditionné » Pat Schroeder, ils ont dit qu’Elizabeth Dole était une
candidate « possible »...

Mais maintenant, on n’en est même plus là.

Cette année, en une espèce de version politicarde du « syndrome de la
femme battue », les bonshommes politiques se sont rendu compte qu’ils
n’avaient même pas besoin de lever le petit doigt pour apaiser les
électrices. Ils sont désormais convaincus que les femmes avaleront
la couleuvre. En silence.

Et de même que Dick Cheney montre le vrai visage de George Bush,
de même Joe Lieberman montre le vrai visage d’Al Gore. Le principal
soutien financier de Lieberman dans le Connecticut, ce sont les
assurances - et quand les assurances lui disent : « Saute ! », il bondit.
Il s’est même opposé à Clinton et à son projet de loi sur
l’assurance-maladie (pourtant bien édulcoré). Il est ennemi de
l’affirmative action. Il a voté des réductions d’impôts pour les riches,
a soutenu l’ALENA [1],
est favorable à une forme de prière à l’école
publique (la « minute de silence »), et fait partie, avec Al Gore, des dix
sénateurs démocrates qui ont soutenu Bush Ier au temps de la guerre
du Golfe.

Bref, un mec, un vrai.

Bon, ne cédons pas au découragement. Il y a aussi un candidat qui
rassemblerait actuellement - ainsi que Tim Russert l’a annoncé dans
Meet The Press dimanche dernier - entre 11 % et 15 % des intentions de
vote, selon les sondages, et ce candidat a choisi une femme pour le
seconder. Il s’appelle Ralph Nader, elle s’appelle Winona LaDuke. Née
dans le Minnesota, diplômée de Harvard, elle est d’origine
amérindienne. Elle a tout un tas de ces idées un peu dingues qui
viennent généralement aux femmes, des idées qui sans doute les
éloignent des autres listes électorales : par exemple tout citoyen
devrait avoir accès à une assurance-maladie ; toute mère qui travaille
devrait pouvoir mettre ses enfants à la crèche ; on devrait peut-être
construire un peu moins de sous-marins dans le Connecticut et un peu
plus d’écoles dans le Bronx. Des trucs comme ça. Des trucs de gonzesses,
tu vois. Des trucs que nous, les mecs, on met pas dans nos priorités.

Depuis qu’ils se sont présentés, les intentions de vote pour Ralph et
Winona ont triplé. Et ça ne fait qu’augmenter. C’est peut-être, je dis bien
peut-être, la majorité de la population - c’est-à-dire les femmes - qui
se lève enfin pour dire non à cet apartheid masculin.

Bien à vous,
Michael Moore (mmflint@aol.com).

 

[1Accord de libre-échange nord-américain (ou NAFTA, North American Free Trade Agreement), NDT.

 
 
Michael Moore
 

Traduit de l’américain par Sophie Anne BRISSAUD (sofiann@cybercable.fr)

Reproduit avec l’aimable autorisation de Michael Moore (texte original)

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Cinéaste et journaliste américain, réalisateur de « Roger et moi » et de
« The big one », auteur de « Downsize this ! »

 
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