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La présidence - un privilège de plus !

par Michael Moore

Cher Gouverneur et Président-en-attente Bush,

C’est sans doute la première fois dans notre histoire qu’un candidat qui
est en train de perdre à la fois le vote populaire et le vote électoral [1]
insiste pour être nommé Président des Etats Unis !

Je peux comprendre pourquoi vous pensez que ce titre vous revient.
Vous avez passé toute votre vie à obtenir les choses comme si elles
vous étaient dues. Vous n’avez jamais eu besoin de gagner votre place.
Votre argent et votre nom ont largement suffi pour ouvrir toutes les
portes. Et c’est sans effort, ni intelligence, ni ingéniosité que vous avez
hérité d’une vie de privilèges.

Vous avez appris très tôt qu’en Amerique, tout ce quelqu’un comme vous a
besoin de faire, c’est de se montrer. Vous avez été admis dans
une riche école de Nouvelle-Angleterre [2], simplement parce que vous
vous appeliez Bush. Vous n’avez pas eu besoin de mériter cette place-là :
elle vous a été achetée.

Vous vous êtes ensuite rendu compte que vous pouviez rentrer à Yale
avec une moyenne de "C", tandis que des étudiants plus méritants, qui
avaient travaillé dur pendant douze ans pour gagner leur place à Yale
ont dû essuyer un refus. Vous y êtes rentré parce que votre nom était
Bush.

Et vous êtes rentré à Harvard exactement de la même façon. Après
vous être lamentablement planté à Yale pendant quatre ans - en
conservant péniblement cette moyenne de "C" - vous avez
naturellement pris la place d’un autre à Harvard, une place pour laquelle
il s’était battu et qu’il avait gagnée.

Après ça, vous prétendez avoir fait votre service militaire comme
pilote dans l’armée de l’air, au Texas. Mais un jour, s’il on en croit le
Boston Globe, vous vous êtes tout simplement absenté de la base, pour
ne plus vous y représenter pendant... un an et demi. Vous avez pu le
faire, parce que votre nom était Bush.

Après avoir traversé des "années perdues" qui, étonnamment, ne figurent
pas dans votre biographie officielle, votre père ou un membre quelconque
de votre famille vous a donné un travail, puis un autre - des
emplois pour lesquels vous n’avez jamais eu à vous battre. Peu importe
le nombre d’affaires que vous couliez, il y en avait toujours une
autre qui attendait de vous être donnée. Enfin, vous avez obtenu d’être
l’un des associés d’une équipe de Base-Ball - encore un cadeau -
alors que vous ne donniez qu’un centième de l’argent nécessaire
à l’équipe, et vous avez ensuite convaincu les contribuables d’Arlington
de vous faire un autre cadeau, à savoir un stade de plusieurs millions
de dollars flambant neuf.

C’est pourquoi je ne m’étonne pas que vous pensiez mériter le poste
de Président. Vous ne l’avez ni durement obtenu, ni gagné - donc il
ne peut que vous revenir de droit !

Et bien entendu vous ne voyez rien de mal à cela.

Pourquoi le devriez-vous d’ailleurs ? C’est la vie que vous avez
toujours connue.

Je me souviendrai toujours de cette image mémorable où l’on vous voit
assis dans votre palais de Gouverneur [3] au moment où l’on a annoncé,
pour peu de temps, la victoire de Gore en Floride. Entouré de papa et
maman, votre frère gouverneur de Floride au téléphone [4], vous étiez la tranquilité
incarnée. Vous ne sembliez pas du tout inquiet. Vous avez même
déclaré à la presse que votre frère vous avait dit que la Floride était à vous.
Et si un Bush avait dit ça, ça ne pouvait être que vrai.

Mais voilà, les choses ne se sont pas passées de cette façon. Et quand vous
avez commencé à entrevoir le fait que la Présidence devait se mériter
ou se gagner par un vote du peuple - oui, le peuple ! - ça vous a rendu
malade. Vous avez donc envoyé James Baker, le guerrier (« On s’en fout
des Juifs, ils ne votent pas pour nous de toute façon ! » disait-il déjà à
Papa en 92) pour abreuver les Américains de mensonges et alimenter le
brasier des angoisses de la Nation. Quand vous avez vu que cela ne
fonctionnait pas non plus, vous vous êtes tournés vers la justice fédérale
et vous avez ordonné que le décompte des voix soit stoppé pour la
bonne et simple raison que vous connaissiez déjà le résultat.

Ce qui me tue, c’est que vous ayez demandé de l’aide au vilain grand
méchant gouvernement fédéral ! Est-ce que ce n’était pas vous qui
seriniez en permanence pendant votre campagne ce discours-là :
« Mes opposants font confiance au gouvernement fédéral. Moi je crois en
vous, le Peuple ! » [5]

Cette fois nous avons appris la vérité : vous ne faites pas du tout
confiance au peuple. Vous avez couru dans les bras de la Justice
fédérale [6] pour obtenir ce que vous vouliez (et vous leur avez dit
« Faites confiance aux machines, pas aux gens ! »). Mais le juge n’a pas cru
à ces boniments, et peut-être pour la première fois de votre vie,
quelqu’un vous a dit "non".

Qu’allez-vous faire à présent ? D’après le New York Times, 90 % des fonds
que vous avez récoltés pour votre campagne proviennent de seulement 775
millionnaires américains. Vous croyez qu’ils viendront à la rescousse ?
A votre place, je n’y compterais pas - ce n’est pas vraiment comme
s’ils avaient souffert financièrement pendant l’ère Clinton-Gore : ils
savent qu’ils se débrouilleront très bien avec l’autre rigolo. Cette
fois, mon ami, tu es tout seul.

Monsieur Bush, votre seul espoir maintenant, c’est qu’Al Gore soit une
poule mouillée et jette l’éponge. Il y a une quantité de choses qui
montrent que les Démocrates adorent se casser la gueule, et vous et vos
amis de droite savez bien qu’ils sont faiblards et veules. Vous vous
souvenez bien de la façon dont Al Gore et sa faction ont soutenu la
candidature du partisan de la fin du droit à l’avortement Scalia à la Cour
Suprême, et comment onze Démocrates ont servi de majorité d’appoint
pour y faire élire Clarence Thomas.

C’est ta chance. Fais croire à Gore et à son parti qu’un panel de
citoyens leur en veut vraiment, fabrique un sondage téléphonique
qui l’atteste, envoie des légions d’experts bidons se plaindre dans les
médias et taper sur la tête de ton rival, et peut-être qu’avec un peu de
chance, tu auras la seule récompense de pacotille qui manque à ta
collection.

Cordialement,

Michael Moore.

 

[1Une petite précision utile : le système de vote américain est
complexe ! Chaque état élit "son" président de la confédération, selon
la logique "the winner takes all" (le vainqueur ramasse tout). Ainsi,
chaque état dispose de "points", matérialisés physiquement par des
grands électeurs en proportion avec la population de l’Etat. Ceci
remonte au début du XIXe lorsque Nordistes et Sudistes - eh oui déjà ! -
n’étaient pas d’accord sur le système de votes : en particulier la Virginie, qui comptait une population énorme mais très
peu de votants (l’immense majorité était composée d’esclaves noirs,
bien entendu), refusait de participer à une confédération où jamais
aucun président sudiste ne pourrait être élu. Il fut donc décidé que
chaque état élirait son président selon le système des grands électeurs ... et
La Virginie eut beaucoup de grands électeurs pour peu de votants, les
noirs étant comptabilisés dans le calcul du nombre de grands électeurs
mais pas sur les listes électorales - ah ah ah le pays de la liberté !
Depuis, il y a eu beaucoup de changements dans les modalités, mais
l’histoire remonte à ce fait là. La différence entre population et
nombre de grands élécteurs tient dans plusieurs "lois" : par exemple, le
nombre de grands électeurs ne peut pas être en dessous de trois par
état. Ensuite, Washington DC a trois grands électeurs. Pourquoi trois ?
Parce que ... ce n’est pas un état ! etc etc etc ... chacun y va de sa
petite particularité, et le résultat c’est cette différence, bien
réelle, entre vote populaire et vote électoral.

[2Les Bush sont de l’arrière pays de Boston, vers le Maine.

[3« Governor’s mansion » c’est intraduisible, c’est l’Elysée au niveau de l’Etat !

[4Jeb Bush, le p’tit frère, sacrée famille.

[5"You, The People", fait clairement référence à
"We, the People", le début de la déclaration d’indépendance de Jefferson
et la profession de foi et d’existence de l’Amérique en 1776 -
difficilement traduisible aussi.

[6Là aussi, c’est difficile à traduire ! Aux USA, la
Justice existe au niveau des états mais aussi au niveau de la
confédération, contrairement à chez nous, et le fonctionnement est
différent entre ces deux cours.

 
 
Michael Moore
 

Traduit de l’américain par Michael (michael@well.com).

Reproduit avec l’aimable autorisation de Michael Moore (texte original).

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Cinéaste et journaliste américain, réalisateur de « Roger et moi » et de
« The big one », auteur de « Downsize this ! »

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