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17 octobre 2000
 
jeudi 26 octobre 2000
Chassons ces liquides importuns que nous ne saurions voir

Un mensonge totalement fluide

par Bidet Casserole
 

Nouvelle forme de psychanalyse publique, tentative de montrer qu’un cœur bat sous la lourde carapace d’acier d’un pétrolier… ? La dernière œuvre de la maison Total confirme que le trop gros pour être crédible est une notion étrangère au mensonge publicitaire.

Musique : blues, tempo plutôt lent

Sit there, hmm, count your fingers.
What else, what else is there to do ?
Oh and I know how you feel,
I know you feel that you’re through.
Oh wah wah ah sit there, hmm, count,
Ah, count your little fingers,
My unhappy oh little girl, little girl blue, yeah.

« Compte tes doigts petite fille... qu’y a-t-il d’autre à faire ? » nous susurre-t-elle d’un côté avec la voix voilée de Janis Joplin, « Comptez vos millions chers actionnaires » annonce-t-elle en se tournant vers un public plus restreint.
Quelle est cette personnalité capable de tenir deux discours aussi différents ? Il s’agit de la fabuleuse société Total Fina, et c’est vrai que pour elle, des millions de profits, il y en a beaucoup à compter en ce moment, même en euros (3 401 exactement, pour les 6 premiers mois [1] de l’an 2000). Alors, pourquoi ce coup de blues, cette petite déprime passagère ? Vous vous en doutez, Total a mal à l’image, cette petite entreprise ne se remet toujours pas que l’Erika ait raté un virage au large de la Bretagne en décembre 99.

Un petit rappel pour ceux qui n’auraient pas vu le film, actuellement diffusé parmi ces programmes courts que les chaînes de télévision intitulent pub ou publicité : une voiture modeste conduite par une jeune femme (pas moche/pas top model non plus, sinon l’identification « de proximité » ne marche pas) s’arrête dans une station Total. La question du plein d’essence est vite évacuée et on attaque les choses sérieuses, le nettoyage du pare-brise pendant que madame pleure à chaudes larmes. Comme il est sympa, Monsieur Total, avec son bon sourire, il a fait le plein de compassion avant d’entamer sa partie de raclette. Il essuie une première fois le pare-brise et les pleurs s’atténuent... puis reprennent, le deuxième passage de raclette s’avère décisif, les fluides importuns disparaissent de la vitre de la voiture et des joues de sa conductrice, le bonheur revient enfin sur le visage de notre cliente.

C’est soigné au quart de millimètre, la réalisation a été confiée à une des grandes stars british du 30 secondes, chaque détail est hyper travaillé : les éclairages sont chargés en vert lors des pleurs, puis débordent de couleurs chaudes lors du happy-end, la version de Little Girl Blue chantée, feulée, gémie... par Janis Joplin arracherait des larmes au fils caché de Slobodan Milosevic et Madeleine Allbright.

- Total aime les gens, Total lave plus blanc

Tout cela coule bien, très bien, trop bien... S’agit-il d’une supercherie, d’une tentative d’intoxication ou bien d’une mystification… ? Quelques doutes m’ont assailli lors de la vision de ce conte humide. Difficile de croire qu’il s’agit ici d’une simple opération de suggestion ou de conviction. Cela ressemble fort à une action de propagande destinée à implanter dans nos cerveaux, notre inconscient collectif, une « vérité » que les faits n’ont pas réussi à établir, à savoir « Total lave plus blanc ». Pourtant, à en croire les sponsors de cette œuvre d’art « Ne voyez pas dans ce film une métaphore de la France à consoler après la marée noire. » [2] Je ne sais pas pourquoi on pourrait imaginer ça. En plus, c’est sûr que dans ce genre de contexte on « teste la copie », c’est à dire qu’on valide la compréhension du film auprès de groupes de consommateurs et on leur demande si par hasard les images ne leur suggéreraient pas quelque chose, par association d’idées, quelque chose comme une histoire de pétrole déposé sur des côtes et d’opérations successives de nettoyage...

C’est marrant, moi j’ai eu un doute... Mais si les tests ont montré qu’associer ce film à une éventuelle purification post marée noire était impossible, et si en plus cela ne faisait pas partie des intentions de Total, il me faut bien convenir que j’ai pu me tromper. Ou alors, il faudrait supposer qu’un fleuron de l’industrie française puisse être soupçonné de nous cacher quelque chose... Mais peut-être ne font-ils que respecter une tradition ancestrale ?

- Le négationnisme, premier réflexe face à un problème ?

Dès qu’un problème grave intervient dans une « filière » énergétique, le réflexe n°1 des dirigeants semble être la négation. En 1986 à Tchernobyl (on se souvient des premières déclarations russes, puis du nuage radioactif qui avait « contourné » la France avec la précision d’un slalomeur évitant les piquets) comme parfois à la Hague quand les compteurs s’affolent ou dès qu’un pétrolier se répand dans l’Atlantique, on commence toujours par nous dire qu’il ne se passe rien, ou alors si peu, « un léger incident, en voie d’être maîtrisé »...

Il ne faut pas croire pour autant que nos entreprises ne savent pas anticiper. Prenons un exemple au hasard, le nucléaire. Vous en connaissez beaucoup des gens qui ont leur petite centrale nucléaire au fond du jardin ? Moi, non. Mais je suppose que ça doit exister, c’est sûrement pour eux que la société Cogema passe parfois de la pub dans des journaux et à la télé. Ou alors, il faudrait imaginer un truc pervers, du genre en distribuant quelques dizaines de millions en « achat d’espace », les dirigeants de la Cogema pensent acheter, la passivité, la neutralité, la complicité (rayez la mention inutile, s’il y en a une) des médias. Comme ça, si un jour une association de riverains ou d’écolos malfaisants tente d’embêter notre radieuse entreprise, celle-ci aura déjà le mérite d’avoir établi des relations de franche camaraderie avec ceux qui pourraient amplifier ou minimiser l’importance d’éventuels problèmes.

Parce que, le drame le plus terrible pour ceux qui dirigent Total Fina ou la Cogema n’est pas tant qu’il y ait des fuites de pétrole ou des radiations errantes, mais plutôt de ne pas parvenir à « maîtriser la communication » sur le sujet. Leur amour du nettoyage et de la purification porterait donc davantage sur la presse que sur un malheureux environnement.

 

[1Dans le langage poétique de la finance, on dit : le résultat net part du Groupe pour le 1er semestre 2000 hors éléments non récurrents s’établit à 3 401 millions d’euros, en hausse de 165 % par rapport au résultat net hors éléments non récurrents proforma du premier semestre 1999 – Chiffres fournis par le site d’utilité publique Transnationale, celui-là même qui t’informe sur les pratiques des grosses boîtes et la façon dont elles respectent ou non certaines valeurs fondamentales (à lire pour se convaincre de cultiver un potager bio...).

[2Les responsables de la communication Total cités in Stratégies n°1163 du 13/10/2000

 
 
Bidet Casserole
 

Une organisation belge a annoncé en septembre 2000 qu’elle ne ferait plus le plein de ses véhicules dans les stations de Total Fina. Ce n’est pas pour manquement à l’éthique publicitaire, ni pour une marée noire qui n’a pas atteint Knokke-le-Zoute. C’est pour marquer sa désapprobation par rapport au soutien que la société apporte au pouvoir de Rangoon (Birmanie ou Myanmar), l’une des plus féroces dictatures de notre joli monde.

Le nom de cette organisation pratiquant le boycott ? Le gouvernement belge, tout simplement.

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17 octobre 2000
 
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> Un mensonge totalement fluide
25 novembre 2005, message de Marc
 

Je viens de découvrir votre site et cet article.
Merci beaucoup pour ces moments de vérités et cet éclairage.

A propos de la note en bas de l’article :
je suis français et je me demande parfois si je ne dois pas en avoir honte.
Le fait que le siège de Total se trouve en France (Paris la Défense) me conforte dans cette interrogation.

Heureusement, avec Internet, toutes les sources d’informations sont disponibles. Cela ne peut amener qu’à une meilleure prise de conscience du monde et à l’émergence d’une intelligence collective. Je pense que cela ne peut être que bénéfique.

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> Un mensonge totalement fluide
18 mai 2005, message de lili
 

Bonjour,

félicitations pour ce site dynamique et raffraichissant ! ça faisait longtemps que je n’avais pas lu une salve d’articles aussi pertinents !

merci infiniment

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cherche fausse pub (film) totalfinaelf
24 mai 2002, message de gaëlle
 

bonjour,
je m’appelle Gaëlle et recherche (elle existe) une vraie fausse pub (film) de total.
Pouvez-vous m’aider ?

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> Un mensonge totalement fluide
18 janvier 2001, message de Pascal Braud
 

A noter que le premier actionnaire de totalfinaElf est COGEMA avec 20 millions d’actions.
la boucle est bouclée.
http://collectif.littoral.free.fr

 
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> Un mensonge totalement fluide, Sousmarin vert, 13 novembre 2002

Et l’inverse est réciproque...

Avec le Capital, tout est dans tout, ils se tiennent et se soutiennent tous...

Et nous on doit les supporter.

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> Un mensonge totalement fluide
26 octobre 2000, message de Olivier Zablocki
 

Pardon d’insister lourdement mais je cherche vainement dans ce texte le lien avec la ligne éditoriale d’uZine

Amicalement,

Olivier

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> Un mensonge totalement fluide, Loran, 26 octobre 2000

Les "acteurs de la nouvelle économie" entretiennent une confusion qui me semble assez grave : "c’est gratuit" et "c’est la pub qui paie". Dès lors il me semble important d’analyser le contenu de la pub. Je suis tout à fait d’accord avec l’auteur de cet article pour dénoncer régulièrement les manipulations des publicitaires.

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> Un mensonge totalement fluide, 1er novembre 2000

Je suis bien d’accord avec vous, la pub est un espace de supercherie, de mensonges, rempli de préjugés et de stéréotypes.

Pourions nous créer une association de citoyens pour faire face à tous ces industriels sans scrupules ??
Le NET nous le PERMET maintenant !!

Vous est il possible chez minirezo de tenter une structure comme celle ci ?

Azhmodan
20 ans, France

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