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Des crânes bien bourrés
 
vendredi 19 janvier 2001

Le bourrage des crânes au quotidien (2)

Sur la manipulation du terme
par Vykinge
 

Les gentils démocrates ne dirigent jamais un régime. Seuls les méchants...

Prenons le mot régime, puis prenons n’importe quel journaliste « de grand public », et, comme le cercle de Ionesco (mais pas pour cause de caresses), il deviendra vicieux.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, en effet, mais il n’y a que les gros méchants (loups) qui ont un régime. On nous a bien dit et répété, par exemple, que c’étaient les bombardements occidentaux (et du coup, la Serbie n’était plus occidentale ni même européenne) qui avaient fait vaciller puis avaient renversé le régime de Milosevic. Passons sur le mensonge grossier (c’est en effet sous la pression de la population serbe que le dictateur s’est retiré, et non sous celle de bombardements tellement chirurgicaux que pas un organe de la société serbe n’en est sorti indemne).

Ce qui nous intéresse ici c’est l’usage du terme de régime. Si les Tiberi commencent enfin à se révéler vraiment dangereux pour Chirac (ce qui serait la moindre des choses), aucune de nos têtes pensantes journalistiques n’ira titrer que :

« Le régime de Chirac vacille sous les coups du couple Tiberi ».

Parce qu’un Occidental, ça n’est jamais à la tête d’un régime, non. Un Occidental, ça gère un système quasi naturel (ou naturellement démocratique, ce qui est au moins aussi absurde). Aussi pourri soit-il, ce système n’est pas un régime, encore moins politique. Politique ? Pouah ! Régime ? Que nenni ! Il n’y a que les Slobodan Milosevic et autres Saddam Hussein pour être à la tête de régimes, c’est-à-dire de dictatures, c’est-à-dire que si des bombes leur tombent dessus, c’est bien fait pour eux, CQFD. A moins, évidemment, que cette pluie de bombes étranges car non occidentales (une fois n’est pas coutume) ne soient le fait d’un autre régime, auquel cas les démocraties auto-proclamées réfléchissent à la question et se rangent aux côté du régime qui peut leur rapporter le plus gros. Et que ces meneurs de régimes n’aillent pas, après, se plaindre que les enfants de leurs nations respectives n’ont rien à manger et crèvent d’uranium appauvri. Qu’on n’argumente pas non plus sur le fait que Milosevic avait été élu démocratiquement. Qu’est-ce que ça peut bien faire, puisqu’il dirigeait un régime.

J’invite donc tout le monde à traquer l’usage du mot régime (politique, s’entend, pas le dernier régime sans sel des Xavière ou autres) dans les médias, ça en dit long 1) sur l’objectivité de nos commentateurs adorés ; 2) sur la nocivité de termes aussi innocents en apparence que celui avec lequel j’ai déjà ici assez ennuyé mon lecteur potentiel.

 
 
Vykinge
 

Que tous ceux qui s’intéressent aux mensonges officiels sur l’uranium appauvri aillent faire un tour sur le site http://www.lecourrier.ch/ dont le dossier en la matière vaut le détour.

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Enseignant/traducteur

 
SPIP
Web indépendant


> Le bourrage des crânes au quotidien (2)
19 janvier 2001, message de Vandale
 

Moui... assez peu convaincu. A trop vouloir prouver...

Régime évoque un système politique, administratif, économique... En ce sens, on peut parler de régime dictatorial, de régime démocratique, de régime capitaliste, de régime communiste, etc.

Si les médias par facilité emploient l’expression régime de Milosevic ou régime de Mobutu, c’est qu’il s’agit dans ces cas-là de décrire des régimes autocratiques qui reposent bien souvent sur un homme et son clan. C’est sans doute assez caricatural (Milosévic était en effet loin d’être isolé) mais cela permet de traduire l’idée d’un régime dictatorial (au sens large du terme). D’ailleurs, le départ de Milosevic n’a-t-il pas signé la fin de son régime ? Vous auriez voulu qu’on dise quoi ? la République fédérale de Yougoslavie ? alors qu’elle n’avait de république que le nom, que la pseudo-fédération n’était qu’un moyen pour la Serbie de dominer le Montenegro et que la Yougoslavie dont elle reprenait le nom se réduisait à peu près à la seule Serbie ?

En sens inverse, on parlait peu du régime de Khroutchev, de régime de Brejnev ou de régime d’Andropov. Mais bien plutôt de régime communiste. Car le système communiste ne reposait pas sur la personne du dirigeant. D’ailleurs leur disparition n’empêchait pas la survie du régime.

Voilà pourquoi il est difficile en France de parler du régime de Chirac. Car le régime politique français ne tient pas à la personne Chirac. Si on est optimiste et qu’on s’en tient à la lecture des textes constitutionnels, le régime français est démocratique : il repose sur la souveraineté du peuple, et tout le tra la la : ce n’est donc pas le régime Chirac. Si on est un peu plus lucide et qu’on devine que notre République démocratique est de moins en moins une république et de plus en plus une oligarchie, ça n’autorise pas non plus à parler du régime Chirac. Car cette oligarchie dépasse de loin le clan Chirac : les oligarques se recrutent aussi au sein de la gauche officielle, des énarques, des grandes entreprises, des grands médias... Et cette oligarchie survivra à la défaite de Chirac à la prochaine présidentielle.

Il y a donc un peu d’abus à critiquer l’emploi du mot "régime" par les journalistes. Parler du régime Milosevic est certes simplificateur, discutable, mais reflète tout de même une certaine réalité. Réduire la France au régime Chirac, en revanche, c’est se leurrer lourdement : c’est soit croire que le départ de Chirac suffirait à instaurer en France une réelle démocratie laïque et sociale ; soit insinuer l’idée que tout se vaut et que la France d’aujourd’hui n’est qu’un régime de pouvoir personnel aussi condamnable que la Serbie de Milosévic. D’un côté, un angélisme comme on n’en trouve même plus rue de Solférino ; de l’autre une équation France = capitalisme = dictature du marché = dictature = Serbie, Nazisme, ...qui mène droit au relativisme. Dans les deux cas, on s’interdit de penser.

Ca n’exonère pas de critiquer les médias, leur conformisme, la novlangue qu’ils nous imposent : il est vrai par exemple que les médias sont plus prompts à dénoncer les défaillances de la démocratie et de la république ailleurs que chez nous. C’est vrai et il faut le dire. Simplement, je crois que l’exemple choisi (l’emploi du mot "régime") n’est peut-être pas pertinent. D’autres exemples auraient pu être choisis. En d’autres termes, dénoncer la langue de bois des médias est un combat urgent ; attention seulement à ne pas virer au pavlovisme anti-médias, ce qui décrédibilise le combat contre la pensée unique.

Je peux me tromper, bien sûr

Vandale

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> Le bourrage des crânes au quotidien (2), Pic, 19 janvier 2001

Merci d’avoir pris la peine de faire cette réponse, ça m’évite de le faire...

Dans la rubrique bourrage de crâne, cet article et le précédent ont effectivement bien leur place :)

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> Le bourrage des crânes au quotidien (2), 22 janvier 2001

Je remercie Vandale de sa critique constructive. Quelques remarques cependant.

Je pense qu’en matière de "vocables fous" comme en matière de vache(s) folle(s) il faut faire appel au principe de précaution. Il est donc fort possible que beaucoup de journalistes utilisent à bon escient le terme de "régime", mais je donnerais fort à parier que ce n’est pas le cas de tous.

Quant à l’application du vocable lui-même, ici comme ailleurs, il est question de limites parfois très ténues. S’il, on peut en convenir, il n’y a pas de régime Chirac, qui oserait nier qu’il y a bel et bien eu un régime Mitterand, sinon en France du moins en Afrique (voir F.-X. Verschave : Noir Silence et la Françafrique), ou un régime Thatcher en Grande-Bretagne ? Malheureusement, même dans notre belle démocratie, il y a place pour des systèmes politiques tenant à la personne de leur(s) dirigeant(s).

Et je ne vois pas où est l’angélisme là-dedans ni ce qui permet, dans mon petit texte, de déduire que je pratique des amalgames faciles.

Je ferai, c’est promis (si ma "chronique" devait faire des petits), attention à ne pas verser dans le pavlovisme anti-médias, mais toujours en faisant appel au principe de précaution, c’est-à-dire que mes analyses pourront toujours provoquer un sentiment d’injustice chez l’un ou l’autre. C’est la loi des généralisations, difficiles à éviter quand on s’attaque à l’idéologie.

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> Le bourrage des crânes au quotidien (2), Pierre Lecoi, 30 janvier 2001

Les réserves de Vandale me paraissent procéder d’un sens critique assez valable.
Néanmoins, je rejoins les interrogations de notre Vykinge sur l’utilisation du mot
en question par les politiques et les médias. Bravo pour avoir soulevé cette
question pertinente, discrète mais représentative de l’indolence occidentale.

On peut parler du terme "régime" au sens neutre et institutionnel, en tant que
mode de fonctionnement d’une organisation : dans ce cas tout système est
effectivement un régime. Mais le texte de Vykinge sous-tendait aussi l’autre
sens du mot : toute mesure ou tout processus qui est subi, et qui contraint le
sujet à adapter une partie de ses comportements (les méthodes d’amaigrissement
sont un exemple, mais notons aussi qu’un régime totalitaire vise à "amaigrir"
toute consistance critique... encore que la cible de ce processus soit désignée
du terme de "massse").

Le croisement des deux acceptions revêt une charge idéologique, et c’est cet
hybride qui est, volontairement ou non, assez bien répandu dans le discours du
sens commun. En Europe occidentale il n’existe de "régime" que l’Ancien.
On ne parle jamais des "régimes modernes". C’est là une pudeur quand
même significative. A mon sens elle témoigne bien de l’étanchéité orwellienne
qui nous isole de la dialectique du monde historique, réel, meurtri des
tragédies que la "modernité" lui inflige.

Par ailleurs, si vous dites, Vandale, que le régime français est théoriquement
démocratique en ce qu’il reposerait sur le principe de souveraineté du peuple,
donc de la prééminence de l’Assemblée nationale, il faut rappeler une énorme
contradiction. Notre gouvernement n’a pas eu besoin d’une décision du
Parlement pour engager ses forces navales et aériennes dans un conflit où
des populations civiles ont été massacrées au nom de l’Occident. De la part
d’une démocratie, c’est très fort.

Pour le coup, j’avancerai la thèse du "régime Jospin", où centrisme
malthusiano-libéral se conjugue avec autocratie brutale mais déguisée. (Et de
grâce ne me faites pas rire avec Chirac.)

Bien à vous deux,

Pierre Lecoi,
Citoyen et lecteur sous pseudonymat

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> Le bourrage des crânes au quotidien (2)
19 janvier 2001, message de Phynette
 

Quoi, c’est au "coin des débutants" qu’on vous trouve ? J’y crois pas. Des textes comme ceux que vous nous donnez à lire, j’en veux et j’en redemande, je donne même cinquante barils de lessive Pierre Madrid (on n’en est pas loin) pour une pépite de ce que vous écrivez. Il n’y a rien de plus fascinant que les réflexions sur ce que les mots veulent réellement dire.

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> Le bourrage des crânes au quotidien (2), Phynette, 19 janvier 2001

(addendum) "sur ce que les mots veulent réellement dire". Mais je découvre que vous êtes traducteur : il est vrai que ça prédispose. Non que tous les traducteurs en fassent autant, mais vous devez sacrément bien faire votre boulot.

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> Le bourrage des crânes au quotidien (2), 22 janvier 2001

Ben ! si, débutant en matière de rédaction d’articles à lire par tout un chacun. Et sans prétention, d’ailleurs. J’accpte en grande partie la critique de mon texte faite par Vandale. Faut bien commencer quelque part, n’est-ce pas ?

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