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Droits de l’Homme entre terre et mer

Les Marins oubliés de l’Olga J

Vivre debout
par Pascale Louédec
 

Certains naufrages se font à quai, dans les ports du monde entier. Ce sont des naufrages immobiles... ceux des « marins abandonnés », largués bien au-delà du pont de leur cargos rouillés, dans la pleine mer déchaînée d’une économie maritime profondément cynique.

Ainsi ces marins perdus de l’Olga J, embauchés à Dakar, et partis vers la Grèce, via le Cap Vert, le 20 mars 1998.
Ils ne sont jamais arrivés à bon port, floués de toute part - le capitaine ayant quitté le navire en emportant les instruments de navigation et l’armateur, « officiellement » en faillite, ayant également disparu...

A l’initiative d’un jeune journaliste « free-lance », Olivier Aubert, une mobilisation pourrait bien avoir lieu via Internet, et permettre la diffusion de ce qui se révèle un drame emblématique.

Les abandons de marins, de plus en plus fréquents, ne sont que le produit d’une logique de système poussée à son terme, dans le premier secteur d’activités historiquement « mondialisé ».

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L’Olga J, immobilisé à Bourgas, Bulgarie. Photo Olivier Aubert, avril 2000

A quai...

Bloqués depuis septembre 98 sur un quai de Bourgas, sur la mer Noire, en Bulgarie, où ils devaient faire escale pour de pseudo réparations, qui n’ont bien sûr jamais eu lieu, les marins de l’Olga sont restés démunis.

Laissés en rade sur leur cargo, comme de vulgaires outils-humains : corvéables puis jetables...voire enfin « oubli-ables ».

Leurs cas individuels ne semblent guère intéresser grand monde.

Olivier Aubert, journaliste qui s’est rendu sur place pour effectuer un reportage, se démène actuellement pour faire connaître leur situation, et tenter avec l’ITF- la Fédération Internationale des Transports - et l’ensemble du collectif « Marins abandonnés » de faire bouger les choses…

Il y a urgence…

Sans salaire et sans droits...

Bien souvent, dans les ports français, italiens, belges, par exemple, un tissu associatif et syndical permet de venir en aide aux marins. D’assurer la première urgence. Celle du corps. Car l’armateur en fuite ne laisse pas, on s’en doute, des années de ravitaillement derrière lui.

De cette présence associative, les employeurs véreux, un rien pervers, se jouent d’ailleurs de plus en plus souvent : on voit croître le nombre de ces navires-poubelles abandonnés en ports européens - la France en abrite une trentaine - dans les régions dotées de structures d’aide et de bonnes volontés... En ce domaine, comme en d’autres d’ailleurs, on a souvent recours à l’alibi des oeuvres humanitaires.

Mais l’abandon en Bulgarie, lui, est total, complet...
Pour les marins de l’Olga J, il dure maintenant depuis deux ans...

« Ces marins qui mendient chaque jour leur nourriture, ne survivent que grâce à la générosité des autres équipages de passage », explique Olivier.

Depuis deux ans, donc... tous les jours. On imagine l’humiliation, le vide d’espoir, l’abstraction retrouvée - implacable - du Temps, quand l’idée même d’un terme, reste évasive, en suspens...

Devoir mendier... se lever chaque jour et devoir se résoudre à cette contingence, cet arbitraire insupportable d’une charité de passage...

Coquin de sort pour ces hommes embarqués, marins professionnels, contrat à l’appui, censé les protéger, censé leur garantir un minimum de droits : leur permettre de travailler et de gagner leur vie, celle de leur famille.

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Emmanuel, ingénieur en chef à bord de l’Olga J, Bourgas, Bulgarie. Photo Olivier Aubert, avril 2000

Nourrir l’attente...

Lors mendier, donc... quand ces huit hommes, refusent obstinément le prix d’un marchandage inique : repartir mais se taire.

« Trahis par le syndicat qui les défendait, très probablement en collusion avec les autorités du port et leur ex-capitaine » selon Olivier Aubert, «  ils refusent de quitter le navire avant d’avoir touché les deux années d’arriérés de salaires qui leurs sont dûs mais [ils veulent] surtout que leur cas soit reconnu comme violation des Droits de l’Homme. Ne pouvant envoyer d’argent à leurs familles certains ont tout perdu, il ne leur reste que l’espérance de rentrer un jour chez eux victorieux et dignes ».

Mendier encore, puisque cela devient - paradoxe - un moyen de ne pas plier, de poursuivre la lutte... et de nourrir l’attente.

Justice ou corruption ? Les deux mon capitaine...

Ils refusent donc, ces marins de l’Olga J. Ils résistent :

- Malgré l’ironie du sort de cet ancien « Africa Queen »... Rebaptisé Olga, « [leur] navire, construit en 1956 [...] a effectué pendant de nombreuses années le transport des réfugiés pour l’UNHCR », précise encore Olivier.

- Malgré le cynisme et la corruption qui les environnent : « La police des frontières est déjà intervenue avec violence pour aider l’ex-capitaine à récupérer tous les documents et outils de navigation sans en référer à sa hiérarchie ».

Une fois déjà, les marins de l’Olga ont voulu porter l’affaire en justice...depuis la Bulgarie : « Un premier procès a eu lieu contre la compagnie qui les employait, qu’ils ont, à l’étonnement général, perdu ».
Bien étrange en effet... quoique...
vue « la situation locale dans la très corrompue Bulgarie [...] »

Personne n’a intérêt, à Bourgas, à ce que les droits de ces marins perdus soient enfin reconnus. Car, cela voudrait dire qu’un système tout entier, de corruption et de complicités, toutes plus ou moins criantes, soit reconnu et combattu.
Toute l’organisation d’une société bulgare affectionnée des armateurs, finirait donc sur la sellette... à un moment où ce pays souhaite intégrer rapidement l’Union Européenne, qui, soit dit en passant, ne manifeste guère d’empressement social en matière de droit maritime.

A l’usure

Les brimades administratives ou policières répondent à l’obstination des marins.
Le témoignage du journaliste français est accablant.
La Bulgarie ne craint pas les bassesses, et Olivier Aubert déplore à nouveau les bâtons officiels qu’on n’hésite pas, là-bas, à fourrer dans les roues des marins de l’Olga :

« Depuis le 30 Novembre, les autorités du port leur
interdisent de monter sur les bateaux de passage pour y mendier de la nourriture
 ».

Depuis plus d’un mois, aujourd’hui, ces marins doivent ruser davantage afin de se nourrir...
L’hiver est là, et leur santé risque bien d’en pâtir... On s’attend sans nul doute, à ce que ces rigueurs supplémentaires, les amènent enfin à céder, à accepter la reddition, le retour piteux en Afrique : « billet d’avion payé et 200 dollars en poche ».

Mais l’équipage encore une fois se refuse à capituler. Comment pourrait-il accepter cette véritable servitude qu’un seul rapatriement humanitaire, sans reconnaissance de leurs droits, sous-tendrait ?

« Tout le monde veut qu’ils partent et que l’affaire soit classée, tout le monde, sauf eux ».

Avec la poignée d’obstinés, qui à l’instar d’Olivier Aubert, persistent à leurs côtés.

« Extension du domaine de la lutte »

Rester debout, « rester vivants »... étendre si possible le « domaine de la lutte ». Ces titres de Houellebecq semblent mots de ces hommes, et pourraient nous donner le sens du soutien qu’il est urgent de leur montrer en les aidant financièrement.

Un compte chèque postal est ouvert afin de réunir des fonds leur permettant de porter plainte devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et de préparer l’après, peut-être un avenir, le retour vers l’Afrique.

Il faut constituer un dossier, recourir à des avocats, etc... Bref... Aller en justice a un coût.

Or, on ne peut envisager, humainement parlant, qu’ils puissent perdre un second procès. Une telle défaite serait universelle, avalisant la tolérance bon gré mal gré, d’une forme larvée, « acceptable », moderne ( sic) d’esclavage... sous le couvert bien confortable, hypocrite et faussement évident de la fatalité économique.

Contrer le cynisme

Pour contrer le cynisme et la résignation, pour répondre à l’urgence et préserver la possibilité d’autres combats, la nécessité d’une entraide est donc impérieuse. Pour eux, pour nous, pour tous ceux qui ne voient pas en ces mots, « Droits de l’Homme », une sentence vaine et irréalisable.

Il ne doit pas s’agir de charité, ni en aucun cas de pitié. Les marins de l’Olga sont au-dessus de celà.

Refusant le statut de victimes dans lequel il serait bien aisé de les enfermer, ils continuent à lutter pour leurs droits, leur reconnaisance, dignement, avec courage et ténacité. Leur exigence vaut pour le réel immédiat, et c’est une exigence universelle. On ne peut leur porter l’affront de la pitié.

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Nana et Félix, marins de l’Olga J, Bourgas, Bulgarie. Photo Olivier Aubert, avril 2000

Diffuser l’info

C’est par la coopération, la diffusion d’information, une pression accrue de l’opinion publique, peut-être susceptible de remuer enfin nos très prudes législateurs et bien sûr par le soutien financier de leur lutte, que l’on peut agir aujourd’hui, à titre individuel ou collectif.

Pour toute information, on peut aussi s’adresser à Olivier Aubert, qui tente encore actuellement de
« publier un reportage qui raconte en détail cette affaire, la vie quotidienne de ces marins ».

Une exposition sur le thème des Marins abandonnés en Europe, visible en novembre au Parlement Européen de Strasbourg est toujours disponible.

Olivier tient également à la disposition de tous ceux qui le souhaitent « plus de 2000 brochures en langue anglaise », qui permettront, de diffuser textes et images de ces naufrages immobiles, à ne pas oublier.

Il invite aussi chacun d’entre nous à lire et faire lire son communiqué : « Huit marins Africains au bord du naufrage ».

A nous d’y réagir de la manière qui sera opportune.

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[ à suivre...]

 
 
Pascale Louédec
 

Soutien financier pour les marins de l’Olga J

N°116017A centre CCP Lille - Chèques à adresser avec la mention « Solidarité Olga J » à :
Mission de la Mer -
13 Quai de la Citadelle -
59140 Dunkerque

En savoir plus sur le web

- Sur l’évolution de la situation de l’équipage de l’Olga J : consultez régulièrement le site du « collectif Marins Abandonnés »
- Exposition « Abandonned seafarers in Europe »
présentée au Parlement Européen de Strasbourg en novembre 2000, elle est encore visible sur le web.

Se procurer les brochures

Prendre contact avec Olivier, et surtout penser à lui envoyer les timbres pour la réponse.

Pour toute information supplémentaire

Olivier Aubert

Mail o.aubert@free.fr
Port : 06.82.48.60.00

Photos Olivier Aubert, tous droits réservés, avril 2000.

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