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12 février 2001
 
lundi 1er juillet 2002
Fable de la gouvernance

Le faisan et le pigeon

Le sommet mondial de la société de l’information
par Jean Rembert
 
 

Des réunions sont organisées en ce moment pour la mise en forme du prochain Mondial. L’un chassant l’autre, une rencontre préparatoire se tient à Genève début Juillet. La communauté internationale a en effet décidé d’organiser un Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui se tiendra en deux phases : à Genève en décembre 2003 et à Tunis en 2005. Vous ne savez pas ce qu’est la communauté internationale, moi non plus, mais c’est juste pour dire communauté, un bon mot qui fait solidaire, uni, reliant, coopératif, familial, amical, chaleureux...

Émancipons l’être humain...

En fait c’est l’Union Internationale des Telecommunications et les gouvernements, accompagnés de l’alibi communautaire, la société civile qui font une nouba rituelle :
« Le Sommet réunira des chefs d’Etat et de gouvernements, des représentants des parlements et des pouvoirs locaux, des représentants de la société civile, des dirigeants du secteur privé et les organisations internationales concernées. »


On sait bien que la société civile, ce n’est pas un être identifiable, ni représentable par quelqu’un, mais ce n’est pas grave, il suffit de l’appeler pour qu’elle se manifeste, la politique a horreur du vide, tout espace ouvert est nécessairement rempli (voir l’institutionnalisation). Pourquoi faire un sommet mondial ? Parce que
« La mise en place de la société de l’information est au cœur des enjeux politiques, économiques, culturels et sociaux auxquels nous sommes confrontés en ce début de XXIème siècle. Le sujet du Sommet n’est pas la technique mais l’avènement de la société mondialisée dans laquelle l’émancipation de l’être humain est en partie liée aux possibilités de communiquer et d’échanger des informations. »

On apprécie la langue de bois et le niveau élevé de l’enjeu, l’émancipation de l’être humain, ce n’est pas rien. En tant qu’êtres humains, nous n’attendions que cela avec impatience... Tu crois qu’ils nous prennent pour des pigeons ? Je suis d’accord. Mais ces pervers polyglottes ne s’en tiennent pas là, ils en rajoutent : « Sur quelles valeurs s’appuyer pour faire des nouvelles possibilités de communication des vecteurs de démocratie, de justice, d’équité, de respect des droits des individus et des peuples ? Comment la société de l’information peut-elle favoriser le développement social, l’épanouissement individuel et la prosperité collective ? » Et même « Comment valoriser les différences entre les peuples tout en construisant une société mondiale solidaire ?
Comment donner à chaque culture l’espace et la visibilité nécessaires pour participer à la dynamique collective du changement ?
 »

Le décervelage millennium du générateur de discours par mots-clés. Même pas cynique, les gens qui écrivent ça pensent qu’ils disent quelque chose, ils ont peut être fait des études de ça. Études supérieures de soupe tiède. Mais à défaut de formation approfondie, la seule fréquentation du milieu dans les rencontres périodiques produit l’effet d’apprentissage convenable.

...avec réalisme...

Pour bien préparer le machin mondial, il y a des réunions locales, par exemple la Conférence Régionale Africaine, de Bamako 2002. Ca donne une idée du produit à attendre in fine.
À l’issue des débats, communiqué final
« des représentants africains d’organismes gouvernementaux, du secteur privé et de la société civile... ». On invite gentiment des assoces de la société civile, en échange elles acceptent de se voir dites représentantes, et ainsi légitimées légitimantes... Ce n’est pas un trop gros effort pour elles.

Bref, ce qu’il faut obtenir, c’est
« la mise à la disposition de tous les citoyens des moyens leur permettant
d’utiliser les réseaux dans un esprit de service public
 ». Je suppose que les deux derniers mots sont entendus au sens du Dictionnaire. Mais le plus important concrètement, après la déclaration qui ne coûte rien, c’est la demande pour « le soutien et la mise à disposition des moyens aux différents réseaux et fondations qui oeuvrent pour la promotion des NTIC et la réduction de la fracture numérique, notamment au GKP et au Réseau ANAIS ».


Elle est bonne... Ca s’appelle l’appel au subventionnement, et c’est recyclé en interne, vu que l’Anais en question est produite par la Fondation du Devenir, qui assure le secrétariat société civile du Sommet Mondial... Et ça continue par un lèchebottage généralisé à tous les gros subventionneurs potentiels, non, ce serait grossier, disons autrement :
« à toutes les initiatives régionales et globales en cours visant à la réduction de la fracture numérique notamment au niveau de la CEA, de l’UAT, de l’IUT, du G8, du Groupe de Travail de l’ONU, du PNUD de l’UNESCO, de la CNUCED, de la Francophonie, de l’OCDE, de la Banque
Mondiale, de l’Organisation des Télécommunications du Commonwealth,
des institutions bilatérales et multilatérales de coopération des ONG et de
la société civile.
 »

Enfin, il faudra « élaborer des politiques et des stratégies nationales et régionales cohérentes en matière de développement des télécommunications et
des TICs (prenant en compte la convergence multimédia) en mesure
d’attirer l’investissement privé national et/ou international
 ». Ça, ça va être dur, parce que l’investissement, ben dame, ça marche s’il y a possibilité de retour sur, même dans un esprit de service public. Ou si ça ne coûte rien (aides diverses à l’investissement). Subventions nombreuses en perspective, soit pour aller investir avec l’aide de l’État (c’est à dire ta TVA, ton impôt sur le revenu, ce qui a été, est et sera prélevé sur les futurs bénéficiaires, par exemple), soit pour pouvoir acheter l’esprit du service sur place, avec, euh, avec la même chose. Le réalisme, il n’y a que ça de vrai.

...pour le bien de la commune gouvernance...

Mais tout ceci est secondaire, juste une question d’argent. Le principal, c’est la bonne gouvernance. « La société de l’information ne peut se mettre en place sans l’active contribution de la société civile, des pouvoirs locaux et du secteur privé. Les modalités de cette ouverture - qui préfigure la nouvelle gouvernance dans la société de l’information - seront l’un des enjeux de ce premier Sommet du XXIe siècle. » Comme on a vu pour Bamako.

Heureusement qu’ici comme ailleurs, on a des gérants de la société civile à la hauteur des exigences de la situation, on fait bien de les payer, en échange, leur objet social est simple. Tiens, une liste de verbes prélevés sur un site pour dire ce qui lui vaut des subventions : « Sensibiliser et informer », « Établir des diagnostics », « Apporter un appui méthodologique », « Mettre en réseau », « Valoriser les initiatives ». Voilà une bonne division du travail des verbes, quant aux autres (États, Privé) ce sera : « agir », « décider », « gérer », « investir », « capitaliser », « dominer », etc.

Et, tout de même, c’est une bien piteuse gouvernance, qui n’a que lointain rapport avec la discipline où la notion a été empruntée par les politiques (le management). Leur société civile, c’est ce qui reste quand on a ôté le reste identifiable avec sûreté. C’est le tiers imaginaire, et, à proprement parler, représenté.

...des pigeons

Dans les nouvelles féodalités naissantes sur l’internet et la société de l’information, ce genre de structure est nécessaire (sinon pas de gouvernance...). On les voit donc fleurir, et constituer une nouveau milieu professionnel dont la tâche prescrite consiste en cautionnement des puissants, et représentation des autres, qui n’ont rien demandé. En échange, c’est la vie subventionnée, les relations semi-mondaines, les échanges d’adresses sur filofax haut de gamme (le bas de gamme est moyen). Pas la grande vie, mais mieux que le revenu minimum d’insertion, ils sont déjà sur-insérés, ces gens-là, bien que méprisés par leurs commanditaires, par la bourgeoisie ordinaire, par les intellectuels et par les agriculteurs.

Cette technocratie de lèches culs avec langue de bois s’épand. Je préfère nettement les ingénieurs de l’e-biz... Est-ce à dire qu’il ne faut pas y aller, à ces réunions, vu la fréquentation malsaine des échangeurs de cartes et des hagiographes de dictateurs, qui sont là parce que le Sud c’est bien, pour les bien pensants de l’Ouest et les malins de partout ? Non, on peut y aller dire ce qu’on veut, les auditoires ont la politesse de l’indifférence, ou si l’on veut passer une petite vacance qui vide la tête en bord de Léman, ça ne change rien, participant tu es pigeonné, mais non participant aussi...


Tout ça, c’est si ça roule normalement. On peut aussi espérer que les relations intergouvernementales génèrent de juteuses conneries propres à modifier le champ, et à attester de manière très crue notre propos. Exemple amusant du jour. À la préparation de Genève, on annonce in extremis que certains pays (des dictatures à caresser dans le sens du poil, en bonne gouvernance) « étaient très réticents sur la participation active de la
société civile au sommet, et qu’une situation de blocage prévalait
actuellement... qu’en l’état actuel des choses il était hors de question que les ONG soient associées à la négociation sur les modalités de leur
participation au sommet. Les délégations gouvernementales
entendent donc débattre à huis-clos des questions de procédure, pendant
que les ONG sont supposées se cantonner à des discussions générales sur
les grands thèmes du sommet
 ». Bingo, on peut sortir le démanche comanche. Ça remet de la réalité chaude dans la soupe tiède. Et même, pour bien montrer aux pigeons que leur place n’est que celle qu’il plaira de donner, « Seules les sessions plénières intergouvernementales, dont l’objet est la
présentation de déclarations générales, seront ouvertes aux ONG
accréditées uniquement
["en fonction des places disponibles" !], qui
pourront y prendre la parole sur inscription préalable
["en fonction du
temps disponible" !] ».

Manque de bol pour les technocrates, il n’y a pas que des associations subventionnées, et comme on sait, chez les pigeons on peut trouver des brebis galeuses : « Face à cette situation, la colère des ONG est allée crescendo et leur réaction n’a pas tardé. Nous avons donc décidé d’organiser les
conditions d’un rapport de force pour montrer clairement que le SMSI ne
pourrait se faire qu’avec la participation pleine et entière des ONG
. »

Ah mais dites donc, si les pigeons râlent, on ne va pas les réinviter de si tôt. Faudra trouver d’autres sociétés civiles, ce n’est d’ailleurs pas difficile.

 
 
Jean Rembert
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Jean Rembert
3 juin 2002
14 avril 2002
 
SPIP
Web indépendant


Réglementation de la chasse (à propos de l’article :"le faisan et le pigeon")
5 décembre 2002, message de Adam Church
 

L’ivresse de l’indignation peut monter à la tête et l’admiration de sa propre prose conduire à passer à côté des vrais sujets.

Ce que vous vouliez dire tiendrait en quelques mots :

Oui, ce WSIS est pour l’instant organisé par les gouvernements, dont certains ne veulent en aucun cas d’une participation d’autres acteurs ;

oui, la prepCom de Genève fut en partie une pantalonnade qui a révélé toute l’ambiguité du processus ;

oui, le risque existe que des groupements associatifs complaisants ou naïfs acceptent de servir d’alibi aux gouvernements en échange d’une forme de reconnaissance institutionnelle et peut-être financière.

Certes. Tout cela n’est pas faux et même largement justifié. Mais ensuite, où va-t-on ? Quelle est la proposition ? On cherche vainement après ce long torrent d’ironie bien tournée la moindre lueur d’espoir et même, en apparence, le moindre intérêt de fond pour le sujet. Quoi ? N’y aurait-il pas d’enjeu à vos yeux ?

Défendre la liberté d’expression ou le respect de la vie privée, rééquilibrer les règles de propriété intellectuelle et maintenir le caractère mutualisé du réseau internet ne vous paraîtraient pas nécessaires ? et cela au plan mondial ?

Je n’en crois rien. Votre rage dit trop justement l’intérêt que vous devez porter à ces sujets. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est une nationalisation, une gouvernementalisation et une commercialisation de la plus collective des innovations. C’est par de nombreux côtés hélas, la négation de l’esprit même de ceux qui ont construit l’Internet et le WEB et particulièrement de Tim Berners Lee.

Vous savez bien qu’un cadre de débat devient indispensable entre les acteurs publics, privés et du secteur associatif : chacun ne possède aujourd’hui qu’une partie des moyens qu’il est nécessaire de mobiliser. En outre, la société civile a besoin d’un instrument de pression au-delà de sa nécessaire mobilisation dans la rue.

Or, à ce jour, le processus du WSIS (l’ensemble des trois années, d’aujourd’hui à 2005, date du second sommet) est le seul à permettre d’ouvrir un véritable débat sur la place de la société civile dans l’élaboration des règles de la communauté mondiale.

Mieux : il deviendra de plus en plus évident qu’en la matière, sans une véritable participation de la société civile (quoi que l’on mette derrière ce terme) il n’y a tout simplement pas de sommet viable.

Par ailleurs, dans quelle autre enceinte traiter au niveau mondial les thèmes transversaux que je citais plus haut ?

Certes, ce processus ne tient pas pour l’instant ses promesses mais il a le mérite de fixer une échance, ce qui permet de mobiliser les énergies. En outre, les gouvernements qui le convoquent ont affirmé par écrit leur volonté d’associer la société civile. Qu’ils soient donc pris au mot !

La priorité est donc de réclamer un sommet ouvert à tous les acteurs, ce que la disposition même des lieux permettra pour la première fois dans un sommet des Nations Unies.

L’indécision actuelle des gouvernementset la faiblesse des moyens de a structure de préparation ouvrent la possibilité à un ensemble d’acteurs déterminés de peser sur le processus. Qu’on le veuille ou non, le WSIS avec ses incroyables défauts est la première occasion d’expérimenter de nouvelles pratiques de gouvernance internationale.

Il est beaucooup trop tôt pour prétendre de bonne foi qu’aucun résultat ne peut être obtenu. Renoncer avant d’avoir combattu est une facilité de l’esprit.

Sur ce sujet, il faut s’en tenir à quelques idées simples :

1) il y a des sujets importants à traiter, ne serait-ce que les choix de société fondamentaux qu’induisent les technologies de l’information

2) ils ont clairement une dimension globale

3) ils exigent une participation active de la société civile pour pour-voir être traités, les gouvernements ne peuvent ni ne doivent le faire seuls

4) il n’existe pas actuellement de cadre international approprié permettant un tel débat de fond

5) à ce jour, le processus du WSIS est le seul qui soit mis en débat

6) il est en outre le seul processus international à afficher, au moins formellement, un objectif d’ouverture

en conclusion, j’aimerais rappeler les judicieuses règles de fonctionnement du World Wide Web Consortium. En présence d’une proposition, il n’y a que trois attitudes autorisées : la soutenir, l’améliorer, ou la refuser, mais dans ce dernier cas sous condition de proposer une alternative.

Refusal without alternatives is not an option.

Vos alternatives seront bienvenues. Même les critiques.

Mais en tout cas, respectez ceux qui se battent sincèrement pour ouvir le jeu. Leur enthousiasme et leurs efforts méritent mieux que le mépris facile.

Plutôt que tirer à votre tour sur les pigeons, ne souhaitez-vous pas plutôt contribuer à réglementer la chasse ?

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Suite à votre article > Le faisan et le pigeon
8 juillet 2002, message de marc aumon
 

Le Pigeon vole,

Le sommet de Bamako 2002 ne ma pas laissé aussi noire que vous, il ma semblé au contraire qu’il a permis la mise en avant d’acteur du Sud et notamment l’ex président du Mali, Alpha Oumar Konaré.

Si le candidat africain réussit, à obtenir la présidence du processus préparatoire du Sommet ce sera une chance supplémentaire pour que les intérêts du continent noir soit défendus jusqu’au bout.

Une prise de conscience et une véritable volonté d’agir et de créer. Certes toutes ces recommandation et ces axes identifiés restent théorique et souvent lié au profit de certain (toujours les même d’ailleurs).

Mais tel qu’il l’a été dit lors de ce sommet, il y a pour les PD et principalement pour l’Afrique, un véritable enjeu dans les NTIC et donc à Genève 2003.

L’Afrique ne doit pas loupé sa révolution numérique comme l’industrielle, l’Asie du Sud Est l’a bien compris et surtout bien exploité et en tire aujourd’hui un vrai bénéfice.

Les TIC joue et doivent jouées un vrai rôle dans le développement durable, notamment au niveau culturel et social.

Je suis par contre tout à fait d’accord avec vous sur la super représentation de la société civil.

Je ne parlerais même pas de la représentation des voies innovantes, et des acteurs de cette innovation, à Genève 2003. ...

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