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Le CSA
 
lundi 31 juillet 2000

Petite leçon de procédés rhétoriques malsains

par ARNO*
 

La démagogie est un art subtil : elle requiert un aplomb certain et une bonne connaissance des procédés rhétoriques. Dans ce domaine, Hervé Bourges est un maître. Ses discours sont des chefs-d’oeuvre d’arguments d’autorité, de citations de propos qui n’ont pas été tenus, et de mensonges éhontés.

Au rayon des arguments d’autorité, le plus beau est, depuis longtemps, la « déclaration auprès du CSA des sites Internet  ». Par une lecture terroriste de son propre mandat, le CSA prétend qu’avant de publier en ligne, il faut que chaque citoyen se présente à ses bons soins. Le webmestre qui met sur le Web les photos de son chat est donc prié d’indiquer les « titre et adresse du service audiovisuel », le « responsable de la rédaction », le nom et l’adresse du centre serveur. Foutaise absolue, bien sûr ; on se demande tout de même quelle tête feraient les employés du CSA si les dizaines de milliers de Français hébergés chez Altern, Multimania, Le Village, Geocities, etc, se mettaient soudain à remplir ce formulaire... « M. Bourges, c’est incroyable, il vient encore de se créer 200 nouveaux services audiovisuels en France cet après-midi ! »

Mais un argument d’autorité ne serait rien s’il n’était certifié par des experts, spécialistes et autres gourous. Ainsi, lorsqu’il déclare qu’« une régulation est nécessaire, c’est la conclusion à laquelle tous les acteurs et tous les analystes parviennent » (annonce du sommet des régulateurs du 30 novembre 1999), il anticipe d’un bon mois les conclusions d’un sommet dans lequel s’exprimeront quelques dizaines d’experts de la régulation mondiale. Quant aux « acteurs » de l’Internet, ils ne partagent certainement pas tous cette opinion, ce que le présent mouvement « Article 11 pour l’internet » va lui rappeler. Il suffit d’ailleurs de se reporter au document préparatoire publié par le CSA lui-même : « il n’y a pas urgence à réglementer », « les actions positives ou "constructives" semblent préférables aux velléités de "réglementation" ». Visiblement « tous les acteurs et tous les analystes » du CSA ont encore du chemin avant de parvenir à la conclusion que leur attribue leur patron.

Puisque les experts n’y suffisent pas, on peut encore isoler un article paru dans la grande presse : « Le New-York Times soulignait il y a quelques jours (le 9 mars dernier) qu’une intervention législative à caractère déontologique devenait urgente pour Internet, face à l’explosion de jurisprudence qui tente de répondre au vide réglementaire qui existe en la matière » (même table ronde). Sur cette histoire de « vide juridique », rappelons que c’est un mythe pur et simple.

Mais il y a mieux que la presse, il y a les « attentes » du public : « La presse américaine se faisait aussi l’écho la semaine dernière des attentes qui s’expriment vis-à-vis de la mise en place d’une autorité de régulation indépendante qui mettrait des barrières d’accès à certains sites dont le contenu serait jugé trop indécent, ou trop violent pour être vu par les enfants ou les adolescents » (même source). Il vaut mieux en effet se justifier au nom d’« attentes » que de ligues de vertu réactionnaires, et taire les véritables mouvements de résistance, aux Etats-Unis, à toute entrave pour cause de bonnes moeurs au premier amendement de la Constitution américaine sur le réseau.

Les attentes, les journaux, très bien. Mais c’est encore mieux s’il s’agit de la loi de la nature : « Internet est un marché neuf, il est naturel qu’il ne soit pas encore excessivement régulé » (même source). Ce qui l’amène à expliquer qu’il est donc tout naturel, après coup, de réguler excessivement (pour l’occasion, il s’agit de « sagesse »). La loi naturelle, la sagesse, tout cela fleure bon le charme désuet des grenouilles de bénitiers, on ne s’étonnera pas que M. Bourges participe volontiers aux colloques organisés par Chrétiens-Médias (27 avril 1998).

Lorsque toutes les autorités sont épuisées, il reste la Ministre : « Je reprendrai simplement les paroles de Mme Trautmann [...] à Manchester les 15/17 mars derniers : "Il ne faut pas oublier que les technologies ne sont que des moyens au service des individus et de la collectivité : ne nous contentons pas de favoriser le développement de ces technologies, pensons aussi aux usages qui en seront faits" » (même table ronde à l’OCDE). C’est un vieux truc de l’argument d’autorité : au milieu d’un texte truffé de contrevérités, balancer une citation d’un personnage important, citation tellement banale qu’il ne viendrait à personne l’idée de la contredire.

Après les arguments d’autorité, les ennemis imaginaires (procédé orwellien s’il en est). Le problème pour M. Bourges, c’est que les pédophiles sur l’internet sont très discrets : ils ne passent pas à la télé pour dire à quel point ils veulent plus de liberté, moins de policiers, moins de lois contre leur vice... Qu’à cela ne tienne, l’ami régulateur va donc s’inventer de toute pièce des « ultra-libertaires » tenant des propos inadmissibles.

Ainsi, pour affirmer qu’il faut réguler les messages à caractère public, il imagine ce qui arriverait si l’on appliquait les règles de ces messages publics aux communications privées : « Faudrait-il, au nom de la convergence, renoncer à la confidentialité des télécommunications ? » (Table ronde sur la convergence des communications, OCDE, Paris, 24 mars 1998). Pour conclure, rassurant : « Ce serait une grave régression démocratique, une atteinte à l’Etat de droit tel que nous le concevons, et à la légitime protection de la vie privée. » Autre question grave : « À l’inverse, quel sens pourraient avoir toutes les règles de contenus, les quotas, les barrières qui protègent l’enfance et l’adolescence, les règles en matière de pluralisme, d’équité et d’éthique de l’information, si nous en venions, en vertu du même principe d’uniformisation réglementaire, à les étendre aux télécommunications privées ? » Mais heureusement, « cela signifierait contrôle des consciences et entraves à la liberté individuelle... Et là encore, nous serions conduit à remettre en cause, insidieusement, des principes de liberté qui sont essentiels, dans toute démocratie libérale. ». Que c’est beau, qu’il est admirable de voir un homme aussi attaché à la protection des libertés individuelles ! Sauf que personne (rigoureusement personne, j’ai beau chercher dans cet affreux amas subversif qu’est l’internet), personne n’a proposé d’appliquer aux communications privées (email, téléphone, etc.) les lois sur l’expression publique.

Il paraît encore qu’il se dit fréquemment que : « Tout est permis sur Internet, donc tout doit être permis partout. » (même table ronde). Diantre, y’a des sauvages, sur l’internet... reste plus qu’à les trouver !

Tout ça, c’est la faute aux inventeurs du réseau : « J’ai parlé d’utopie : il y a une certaine beauté dans les utopies libertaires des pères d’Internet... ». Il fait ici référence à « une sorte d’utopie ultra-libertaire, plutôt que libérale, à mi-chemin entre les idéaux de mai 1968 et la griserie commune aux savants et aux ingénieurs, l’utopie de la liberté absolue et de l’auto-régulation naturelle des individus... ». Les utopies ultra-libertaires des concepteurs d’un réseau (Arpanet) destiné à la recherche atomique militaire, ça laisse rêveur.

« Internet, qui est partout présenté comme l’archétype de la convergence, est déjà dans une bonne mesure saturé, et la compression numérique n’est pas infinie ». M. Bourges s’improvise technicien et prophète (le progrès technique s’arrête demain matin).

Ayant bien conscience de n’être suivi par personne, il précise : « Je crois que cette réflexion mérite d’être tenue, même si elle est à contre-courant de l’état d’esprit majoritaire aujourd’hui. Il ne faut pas craindre, parfois, d’avoir raison trop tôt ». Ben voyons... Puisqu’il a raison et que tout le monde se trompe, on pourrait tout aussi bien commencer par abolir le droit de vote et nommer Hervé Bourges « Grand décideur de tout avant tout le monde ».

Et ce niveau de mensonge éhontés, à base d’arguments d’autorité et d’ennemis fantasmagoriques, il est clair qu’il ne s’agit pas d’incompétence. C’est du foutage de gueule pur et simple. Et ça voudrait nous imposer des règles de déontologie...

 
 
ARNO*
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Vainqueur 1982 du concours « Chateau de sable » du Club Mickey des Pingouins à Sainte-Cécile.

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