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Le médiateur du Monde se révolte

La déontologie est-elle soluble dans la publicité ?
par Marc Laimé
 

Quotidien français de référence, Le Monde s’est doté d’un médiateur. M. Robert Solé est le « garant du pacte de lecture » conclu avec les - fidèles - lecteurs du Monde. M. Robert Solé dispense ainsi régulièrement bonnes et mauvaises notes à son journal. Et se fait donc l’écho des récriminations de ses lecteurs. Fait notable, il arrive même que M. Robert Solé s’indigne lui-même des pratiques, en l’espèce coupables à ses yeux, du journal qui l’emploie. C’est ainsi que M. Robert Solé s’est élevé à trois reprises depuis un an, sans succès, contre la publication par Le Monde de suppléments publicitaires, en effet très critiquables.

L’amusant en la circonstance c’est que M. Robert Solé met directement en cause M. Jean-Marie Colombani, directeur dudit Monde, certes sans le nommer. Au demeurant la révolte de M. Robert Solé doit apparaître passablement incompréhensible à ses lecteurs. Il se garde en effet de porter à leur connaissance des éléments qui seraient pourtant de nature à les éclairer. Voire à les mobiliser. Qu’on en juge. M. Robert Solé concluait ainsi l’une de ses rubriques publiées au mois d’octobre 2000, et titrée « Le deuxième journal » :

« Je m’en voudrais de conclure cette chronique sans rappeler les vives protestations que suscitent, chaque fois, les cahiers publicitaires consacrés à des pays. Ces "communications" financières, et dont Le Monde souligne en grosses lettres qu’il n’a pas participé à leur élaboration, réussissent la performance de traiter d’une économie en développement sans jamais parler de pauvreté ou de conflits sociaux. J’ai déjà dit à deux reprises ce que j’en pensais, mais cela n’a pas l’air d’émouvoir la rédaction. »

Assurant M. Robert Solé de notre compréhension, nous nous permettons de lui rappeler ci-après la teneur du « courrier des lecteurs » que nous lui avions adressé il y a près d’un an. En regrettant certes de n’ avoir jamais reçu depuis lors, ne serait-ce qu’un accusé de réception... Dans ce courrier nous interrogions précisément M. Robert Solé sur les fameuses « communications financières » qui suscitent toujours son ire.

Ayant pu vérifier depuis lors auprès d’un confrère de M. Robert Solé, tout comme lui révolté, que chacune de ces « communications » rapporte 1 million de francs au Monde, qu’elles ont été imposées par M. Jean-Marie Colombani, qu’elles suscitent des récriminations de nombre de journalistes dudit Monde, nous ne doutons pas que nos questionnements trouveront asile dans le nouveau cahier que Le Monde projette de consacrer sous peu au courrier de ses lecteurs.

À défaut, c’est hélas avec une révérence sans cesse déclinante que nous poursuivrions notre lecture attentive, si contrainte et forcée, du quotidien français de référence...

« À l’attention de M. Robert SOLÉ,
médiateur du quotidien
Le Monde.

Paris, le 27 décembre 1999.

Le Monde et la déontologie des médias

Dans son édition du 9 décembre dernier, Le Monde relatait avec un grand luxe de détails les "dérapages déontologiques" survenus au Los Angeles Times. Affirmant que "le quotidien californien vient de commettre un grave faux pas avec un supplément magazine entièrement consacré au Staples Center, la nouvelle arène sportive du centre-ville.
À l’insu des rédacteurs comme de la rédaction, la direction de la publication avait décidé de partager les revenus publicitaires de cette édition, soit la coquette somme de 2 millions de dollars (12,4 millions de francs), avec le Staples Center, dont le quotidien est un des partenaires financiers."

Dès le 19 décembre dernier, M. David Shaw, spécialiste des medias du L.A. Times, publiait dans les colonnes de son quotidien une enquête de 14 pages, dénonçant un "iceberg déontologique aux proportions inquiétantes". M. David Shaw s’est vu il y a quelques années décerner le prix Pulitzer pour les nombreuses enquêtes qu’il a réalisées et qui auscultent avec une rigueur impitoyable la déontologie des médias américains, sans en exclure le titre qui l’ emploie...

Or Le Monde a diffusé à plusieurs reprises depuis le début de l’année 1999 avec le quotidien des "suppléments" consacrés à la promotion de pays étrangers. Les politiques de certains d’entre eux, et notamment les violations répétées des droits de l’homme qui y sont perpétrées, sont régulièrement dénoncées dans les colonnes du Monde...

Le médiateur a discrètement témoigné de son désaccord avec ces publications dans l’une de ses chroniques. Ces suppléments mentionnent par ailleurs explicitement que la rédaction du Monde n’a pas participé à leur réalisation. Autant d’indices qui témoignent pour le moins de l’embarras de la rédaction du Monde et de son médiateur.

La mission du médiateur emporte notamment le respect du "contrat de lecture" entre Le Monde et ses lecteurs. Ce "contrat de lecture" n’engage-t-il pas Le Monde à informer ses lecteurs de l’accord commercial qui le lie à l’agence de communication qui réalise ces suppléments diffusés avec le quotidien ?

Ou bien faut-il se résoudre à prendre acte du jugement sans appel émis par plusieurs correspondants de grands medias étrangers en poste à Paris, dont le témoignage a été recueilli dans un ouvrage publié en octobre 1999 - et dont aucun media français n’a annoncé la parution - correspondants estimant que leurs collègues français "ne font que de la publicité... le travail dans les quotidiens est de prendre l’AFP et de l’embellir... ils écrivent pour ne rien dire... catastrophiques surtout en économie... ils se croient très importants et indispensables... Ils sont au service du gouvernement..."

Le livre dont sont extraits ces commentaires porte pour titre L’Arsenal de la démocratie, Médias, Déontologie et Mars. Publié aux éditions Economica en octobre 1999, il a été réalisé sous la direction de M. Claude-Jean Bertrand, professeur émérite à l’Institut Français de Presse, et auteur d’une dizaine d’ouvrages consacrés aux medias et à leur déontologie. Il présente un tableau mondial et un historique exhaustif des initiatives propres à développer la déontologie des médias : médiateurs, conseil de presse, association de téléspectateurs, courrier des lecteurs, revues critiques, recherche scientifique, formation universitaire des journalistes, etc...

Cet ouvrage mérite-t-il une analyse critique du Monde ? Les lecteurs du quotidien français de référence seront-ils informés des accords qui lient leur journal à une agence de communication assurant la promotion de pays étrangers dont certains sont régulièrement condamnés par nombre d’organisations non gouvernementales, à raison des violations des droits de l’Homme que commettent leurs dirigeants ? Ou doit-on se résoudre à ce qu’en matière de déontologie les médias français, dont Le Monde, s’en tiennent à de timides opérations de relations publiques ? »

 
 
Marc Laimé
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Journaliste, coordinateur du dossier « La Folie de l’Internet » du Canard Enchaîné

29 août 2000
 
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> Le médiateur du Monde se révolte
24 octobre 2004, message de Ernesto G.
 

On est en droit de se demander à quoi sert ce fameux "médiateur", non ?

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> Le médiateur a bonne mine !
27 janvier 2001, message de Fabrice Massé
 

Je me demande quel est le nombre des lecteurs de ces suppléments ? Pour ma part, jamais une ligne,leur contenu etant clairement étiqueté « propagande », je n’en vois pas l’intérêt. M’est avis que leur impact est même plutôt négatif. Alors si ça rapporte 1 million au Monde, je soutiens que l’opération est positive. Pour les lecteurs et pour Robert Solé, dont la rémunération se trouve ainsi justifiée (sic).

Je m’occupe de la régie publicitaire de publications très engagées. Ca marche plutôt bien. Et la raison en est simple : les annonceurs sont contents des retours, les lecteurs plutôt demandeurs (si, si : on leur a demander. Et pas moi. Un étudiant qui en fût tout surpris !) et les responsables de la publications, dont l’indépendance financière se trouve ainsi renforcée, en profitent largement et s’en donnent à cœur joie. Y compris dans des directions tout à fait discutable, ce qui me posent à moi un problème plutôt rude !

J’irai même plus loin. Pourquoi ne pas envisager que loin de servi la cause de l’annonceur, ces publications bottent plutôt contre ces pays (leurs dirigeants), en exacerbant leur opposition et celle des lecteurs du Monde ? Je l’ai constaté plus d’une fois, alors que j’ai accepté des pub « sensibles ». Le rejet est évident : courrier, coups de téléphone, remarques des copains ...

Je crois que le problème du Monde est de peser le pour et le contre en matière d’image de marque. Ils l’on fait depuis bien longtemps, et que le résultat pèse pour l’instant largement dans leur sens. Qu’ils aient engagé Robert Solé pour faire écran me semble plus criticable que les publicités elles-même. Elles dénotent un réel cynisme de la direction du Monde : nos lecteurs sont des crétins, un médiateur, même payé par nous, sera à leur yeux un gage d’objectivité. Ils en sont encore là...

Remarque : lorsque le canard enchainé acceptera de reconnaître que la pub est un gage d’indépendance, il un contre-pouvoir autrement plus efficace.

Bises

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> pfff... jamais content ...., Solalbe, 1er février 2001

Monsieur Marc Laimé augmenterait nettement notre agrément de lecture en renonçant à donner du "monsieur" à tout le monde... Je le perçois comme une façon un peu grossière de prendre de la distance avec les personnes dont on parle, une façon de se raconter qu’on entre dans le jeu ni de la "connivence" entre journalistes et politiques, ni dans le jeunisme et la fausse décontraction de la machine libérale à tout récupérer... En fait, cette pratique suggère plutôt le bâton dans le cul (oops !) c’est-à-dire la peur... Cela suggère surtout l’attitude du flic ou du juge faussement révérencieux avant de vous passer les menottes et vous mettre au trou...

Je sais Le Monde Diplo fait ça aussi, mais le Monde Diplo n’est tout de même pas parfait ! D’ailleurs eux aussi publient des suppléments publi-reportages... ainsi à plusieurs reprises ces dernières années a-t-on eu droit à des tartines aussi dythirambique (allo Larousse ?) sur/par la CFDT, la société semi-publique française qui raquette le business du coton en Afrique de l’Ouest (au détriment des cultures vivrières et tout ça, on connait..)... Est-ce-que c’est grave ? Je suppose que non.. juste une tâche sur la belle image du Monde Diplo. Une tâche sur le journal qui pour beaucoup représente la meilleure source d’oxygène en ce bas-monde...

Quant à l’ex-maison-mère, Le Monde, leur jésuitisme hautain m’a souvent détourné de la bonne info qu’ils délivrent souvent, mais quand ils ont instauré ce médiateur et ses circonvolutions ampoulées, j’ai définitivement arrêté de le lire...

Ceci dit, monsieur Marc Laimé, votre papier est très bon !

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