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jeudi 14 septembre 2000

« Défendre ses espaces clandestins »

Le Net, un moyen de retrouver la gratuité de la culture
par Mona Chollet
 

Les médias culturels n’échappent jamais à la logique d’écoulement d’une production. Le réseau, lui, a donné une visibilité nouvelle aux discussions entre amis, aux échanges informels de livres et de disques, qui autrefois avaient lieu dans un cadre privé, et qui ont de tout temps assuré la vitalité et la circulation de la culture. Il permet de se rappeler que celle-ci est avant tout une affaire intime, pour laquelle on n’a pas à rendre de comptes. Il permet de parler de littérature, de cinéma, de musique, loin des impératifs de promotion, juste pour le plaisir, juste pour améliorer la vie.

Quels ont longtemps été les deux seuls cadres, dans la société, où l’on parlait publiquement de culture ? L’université et les médias. L’université remue le terreau culturel : elle dissèque les œuvres produites au cours des siècles par différentes civilisations, les analyse, réfléchit à leur sens et à leur portée. L’inconvénient est que ce travail reste le fait d’un petit groupe de personnes, dans un cadre soigneusement cloisonné du reste de la société, à l’écart de la marche du monde, et que ni les professeurs, ni les étudiants ne font le moindre effort pour changer cet état de choses. Au contraire, même : ils s’appliquent à renforcer autant qu’ils peuvent les remparts de leur tour d’ivoire, en manifestant un dédain souverain pour tout ce qui peut toucher à l’actualité, et en se forgeant un jargon, qui, destiné d’abord à permettre la manipulation de concepts les plus fins possibles, se transforme bien souvent en un moyen d’exclure le plus grand nombre, et de se sentir « entre soi », membre initié d’une caste de savants se gargarisant de leur supériorité culturelle et intellectuelle. D’avance, je m’excuse sincèrement auprès des universitaires qui par hasard liraient cet article et se trouveraient être les contre-exemples de cette théorie : c’est toujours possible, car ils existent. Mais ils ne sont pas utiles à cette démonstration.

Les médias, quant à eux, parlent de culture sous l’angle de son « actualité ». Enfin, les médias… Disons la presse et la radio, puisque la culture, à la télévision, n’existe que sous la forme du divertissement et de la promotion réduite à sa plus simple expression. La suppression de l’émission Zazie, sur France 3, a fait la démonstration de l’incompatibilité définitive de la télévision – du moins dans sa logique de fonctionnement dominante – et de la littérature. Les médias culturels sont plus ou moins sensibles, plus ou moins soumis aux impératifs de la promotion, impératifs que leur dicte leur structure économique, ou le groupe industriel de communication auquel ils appartiennent. Il reste sans aucun doute, çà et là, dans la presse et à la radio, la possibilité d’exprimer une opinion de critique, de défendre ou de flinguer une œuvre sans autre critère que l’appréciation et l’implication personnelles d’un journaliste. C’est cela qui est impossible à la télévision. Comme disait la cinéaste Laetitia Masson : « Dire « je » à la télévision, c’est indécent. » Et émettre une opinion critique revient à dire « je ». C’est pourquoi on laisse les intérêts économiques décider à la place des individus de ce qui doit être promu et de ce qui doit être passé sous silence, afin d’assurer la « décence » du système.

Journalisme culturel : les cadences infernales

Mais, même dans les cas où les journalistes disposent d’une marge de manœuvre personnelle, ils sont enchaînés par le fait qu’ils doivent avant tout suivre la cadence. Ils vivent au rythme des parutions de livres, des programmations théâtrales, des sorties de films : des événements. Et ces événements se produisent en si grand nombre, qu’ils ne peuvent se consacrer qu’à en rendre compte. Ils n’ont que quelques dizaines de minutes, quelques feuillets pour les traiter : déjà il est temps de passer au suivant. Impossible de ne parler que d’un film, en négligeant toutes les autres sorties de la semaine : tout au plus pourra-t-on consacrer plus de place ou plus de temps aux uns qu’aux autres. Mais, ne serait-ce que pour des raisons concurrentielles, on se placera toujours dans une logique de quasi-exhaustivité, de « service » – fort utile, au demeurant – rendu au public en débroussaillant pour lui le panorama culturel du moment. Le lecteur ou l’auditeur fera le choix de ce qu’il ira voir ou non, de ce qu’il lira ou non, selon le crédit qu’il accorde à tel média, à tel journaliste, selon l’impression qu’a produite sur lui l’auteur ou le metteur en scène dans les interviews qu’il a données.

Une vague de parutions ou de sorties chasse l’autre. Quels que soient les débats sincèrement passionnés et passionnants qu’il puisse susciter, le traitement médiatique de la culture reste toujours au service de l’écoulement d’une production. La logique économique, même « douce », domine. Parler de culture en se plaçant au service du lecteur ou du spectateur en tant qu’individu, et non en tant que consommateur de biens culturels, permettre à une logique totalement gratuite de s’exprimer, cela reste un luxe impensable pour un média au fonctionnement économique classique. Il faut pourtant rappeler que la culture, fondamentalement, ce n’est pas – pas toujours, du moins, ou pas seulement – remplir son devoir de consommateur branché. C’est aussi et surtout s’écouter et suivre le fil de ses envies les plus ténues, les plus obscures, en se foutant des a priori et des étiquettes, en fouinant dans des lieux habités (petites librairies que l’on affectionne, bibliothèques, ciné-clubs, centres culturels), en s’en remettant pour ses découvertes au hasard, aux conseils des amis, aux intuitions. C’est accumuler une collection d’œuvres singulières, d’œuvres que l’on a cherchées, vers lesquelles on a eu la curiosité d’aller en sortant des sentiers battus, comme on reliait au crayon des points numérotés, lorsqu’on était petit, pour faire apparaître un dessin que l’on devinait peu à peu. C’est se les approprier, les ruminer, y revenir, en être obsédé, revoir un film trois fois, relire un livre dix fois – tout en sachant que, pendant ce temps, ce sont autant d’autres livres qui s’accumulent dans la bibliothèque et que l’on n’ouvre pas, autant d’autres films ou spectacles que l’on rate ; mais tant pis. La sociologue Chantal Thomas, auteur d’un sublime petit essai, Comment supporter sa liberté (Manuels Payot), disait dans une interview (Télérama, 2 septembre 1998) :

« Une des premières difficultés, devant la situation d’abondance [de l’offre culturelle] où nous nous trouvons, c’est de ne pas se laisser submerger, de ne pas se laisser guider par des pressions extérieures subtiles et séduisantes, mais de se mettre à l’écoute de soi. Sans narcissisme, sans complaisance. Juste décider de ce qu’on va faire en fonction de notre curiosité, d’un élan qui nous est propre, de notre inquiétude, aussi. Il faut assumer notre goût, même s’il est fragile. (…) Notre époque se complaît à croire que tout ce qui est de l’ordre du plaisir vient tout seul, alors que le travail, l’effort, sont toujours pénibles. Comme s’il fallait encore attendre la fin du cours ennuyeux pour jouir de la récréation. Ce sont des idées d’enfants ! Il y a ainsi une insistance publicitaire sur des lieux de vacances très éloignés, exotiques, comme si le quotidien était si pénible que, pour rompre avec lui, il faille absolument aller le plus loin possible. En réalité, passer du travail au loisir, trouver le plaisir dans l’effort, c’est une question de bonne distance et de souplesse affective et intellectuelle. Je ne pense pas du tout que ça ne touche qu’une élite. Chacun peut voir autour de lui des gens heureux qui vivent ainsi. Il s’agit juste d’être capable d’avoir un rapport vrai avec soi-même, qui s’acquiert en laissant advenir les choses sans précipitation, en se tenant à l’écoute de ses curiosités. (…) Il faut défendre ses espaces clandestins. Beaucoup de luttes, de guérillas commencent comme ça. On nous offre un certain nombre de loisirs, une certaine vision de la consommation culturelle, on n’est pas obligé de jouer le jeu, d’être là où on nous attend. »

Remplacer la subjectivité commerciale par la subjectivité personnelle

Aider ses lecteurs ou ses auditeurs à se tenir à l’écoute de leur curiosité, ce n’est pas le boulot de la presse et de la radio. Cela peut être en revanche celui des webzines, qui n’ont aucun impératif ni d’exhaustivité, ni de promotion. Dans un webzine, on peut rendre compte d’un livre paru il y a vingt ans ou il y a six mois, si on estime qu’il est encore, ou qu’il est particulièrement pertinent à ce moment-là – cette pertinence sera établie selon des critères très subjectifs, mais peu importe : un choix personnel affirmé, l’impulsion donnée par l’enthousiasme d’une découverte, le fait de suivre sa propre « actualité », seront toujours des critères plus valables que ceux, purement économiques, qui poussent les médias de masse à matraquer leur public pour assurer la promotion d’une superproduction à la con ou d’un roman taillé sur mesure pour les prix littéraires. Bien sûr, cela ne revient pas à négliger forcément l’actualité ; mais on en parle alors différemment. Le défrichage opéré par les médias classiques offre une sorte de matière première. Il permet d’affiner, d’affirmer des choix et de chercher à les expliquer, à en dégager du sens. Il permet de tisser patiemment, tranquillement, des mises en relation avec d’autres œuvres plus anciennes, de creuser à loisir ce que les journalistes professionnels n’auront eu que le temps d’ébaucher.

Chantal Thomas disait encore : « Il faut se reconstituer un univers à soi, se demander : qu’est-ce qui me plaît ? Certainement pas un circuit balisé. » Sur Internet, les circuits ne sont pas encore aussi balisés qu’ailleurs, bien que les Steve Case (PDG d’AOL, qui veille avec une férocité particulière à ce que ses abonnés ne naviguent qu’à l’intérieur même des services AOL, et non sur l’ensemble de la Toile) de tout poil s’y emploient. La question : « Qu’est-ce qui me plaît ? », on est obligé de se la poser lorsqu’on navigue de site en site. On est obligé de « se reconstituer un univers à soi ». L’« actualité » n’existe pas ; le contact avec une œuvre résulte forcément d’une recherche, d’une démarche, d’un choix solitaire ou impliquant un petit groupe de personnes. N’ayant pas pour mission ni pour ambition d’informer ceux à qui l’on s’adresse de l’ensemble de l’actualité culturelle, ne disposant pas de la même audience, mais ne touchant que quelques personnes à la fois, et discutant avec elles sur un pied d’égalité, on ne cherche pas non plus à leur dicter ce qu’il faut penser, ce qu’il faut aimer, dans la production du moment. On se contente de leur dire ce qu’on connaît, ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas et pourquoi, et d’écouter ce qu’elles ont à nous dire en retour. La discussion pourra remettre en circulation des objets sortis depuis longtemps du circuit culturel classique, ou n’y étant jamais entrés : un livre retrouvé dans un grenier, gardé pendant des années dans sa bibliothèque, ou offert par un proche bien inspiré ; un texte ou un morceau de musique inédit déniché directement en ligne… Le résultat est un brassage beaucoup plus complet et beaucoup plus profond de toute la culture existante, alors que la presse ou la radio ne traite que de la mince couche des parutions les plus récentes.

Echapper à l’uniformité

Jusqu’ici, on était un peu à l’étroit dans le champ médiatique : journaux et magazines, radios et télévisions parlent tous à peu près des mêmes films, des mêmes livres, des mêmes spectacles, au même moment. Tout au plus a-t-on une presse « installée », faisant la promotion de certains ouvrages, d’une certaine idéologie, et, en face, une presse contestataire, faisant la promotion, en réaction, d’autres ouvrages, d’autres idéologies ; mais une certaine uniformité règne de part et d’autre. En un sens, cette uniformité – très relative, il est vrai – est nécessaire : la vie sociale serait ennuyeuse à mourir sans débats publics, et pour alimenter ces débats, il faut bien que certaines productions focalisent l’attention, forcément au détriment des autres. Internet peut toutefois jouer un rôle de complément, et remplir une autre fonction : celle d’aider chacun à se frayer des chemins de traverse, à « supporter sa liberté », à « ne pas être là où on l’attend », à la première séance des nouveaux films de la semaine ou devant les étalages des romans de la rentrée. Sans compter que ces petits trafics intimes, que chacun noue avec lui-même, peuvent aussi aboutir, indirectement, à réoxygéner le débat public. De leur vitalité à l’échelle individuelle dépend la qualité de la vie intellectuelle d’une société.

Ce qui, de tout temps, a maintenu la culture en vie, a assuré sa diffusion et sa vitalité, ce ne sont ni son traitement médiatique, trop mercantile, ni son traitement universitaire, trop élitiste : c’est sans aucun doute sa circulation et son épanouissement dans les recherches personnelles, les discussions entre amis, les conseils, les échanges informels de disques et de livres. Amazigh Kateb, le chanteur du groupe Gnawa Diffusion, en parle très bien :

« Je pense que c’est important d’éveiller les sens des gens, parce que les sens des gens sont complètement rabougris, endormis en ce moment. C’est la standardisation de tout. Tout se ressemble : les distributeurs de billets se ressemblent, les villes, en Europe et ailleurs, se ressemblent. Londres, Amsterdam, Paris, Tokyo, c’est les mêmes buildings, c’est le même business. Il n’y a que l’art qui puisse éveiller les sens des gens d’une manière personnalisée. C’est la différence quand toi, tu écoutes une musique, elle te plaît et tu dis à tes potes : « Ça c’est bien, prenez ça », ou ils sont chez toi pour l’apéro : « Je vais vous faire écouter un truc. Ça c’est mortel. » Et tu leur mets ça et les gens, ils sont soufflés. Pourquoi ? Parce que c’est un ami qui conseille. C’est pas une pub à la télé, c’est pas le tarabustage. Le tarabustage, ça fait vendre plus de disques. Mais d’une manière bête et méchante comme un consommateur à la con. Alors que la petite promo du lascar qui offre un pot ou un pétard à ses potes et qui veut faire écouter la musique, c’est autre chose. C’est un truc qui reste . C’est de cette nature-là. »

Trafics privés, trafics publics

Parce que les simples quidams, qui de tout temps pratiquaient ces échanges de bons procédés, hors de toute préoccupation marchande, se sont emparés d’Internet avant les industriels et les grands médias, ils y ont naturellement créé une traduction virtuelle de ces pratiques. A travers le MP3, les sites personnels de passionnés, les listes, les forums, les webzines, ils ont donné une visibilité publique à un intense et fructueux trafic qui jusque-là demeurait de l’ordre du privé – et de l’invisible. Le réseau est d’autant plus facilement devenu un espace où circulent avec la plus grande fluidité les matériaux culturels, qu’il avait été conçu pour cela : « Tout, dans l’informatique, est fait pour permettre la circulation des informations, souligne Philippe Breton dans La tribu informatique (Métailié, 1990). La libre communication des données est la raison d’être même de l’ordinateur. C’est donc bien l’amour et le respect de la machine qui poussent les pirates à tout faire pour que la promenade dans les réseaux informatiques, jusqu’au cœur même des ordinateurs les plus sophistiqués, soit sans contrainte. (…) Il est évidemment intéressant de constater ici que cette position les place en porte-à-faux vis-à-vis du système législatif en vigueur, qui protège la propriété individuelle ainsi que le secret industriel et militaire. Mais, comme le dit un des slogans du Chaos Computer Club : « Après nous le futur ! » »

On avait fini par s’habituer à voir les disques et les livres conditionnés, emballés sous vide dans les supermarchés de la culture, bardés d’autocollants vantant leur prix attractif, entassés dans un amoncellement indifférencié qui laisse le visiteur repu et blasé. On avait fini par s’habituer à céder au matraquage, à se laisser avoir. La possibilité qu’offre Internet de parler de culture autrement, de se la réapproprier, de la traiter d’une manière qui corresponde davantage à sa vraie nature et à sa vocation première, a de quoi ranimer les enthousiasmes. Le réseau donne soudain à une conception « gratuite » de la culture une dimension et une puissance phénoménales, dont les internautes semblent les premiers surpris – ils s’étaient lancés dans l’aventure sans mesurer la portée d’un comportement qui leur semblait tout naturel –, et qui terrifient les industriels du disque et les éditeurs. Ces derniers n’auraient sans doute pas réclamé avec autant de virulence le « prêt payant » (joli oxymore) dans les bibliothèques, en France, au printemps dernier, s’ils ne se sentaient pas, plus ou moins confusément, menacés par l’hydre Internet. Il n’est pourtant pas certain qu’ils aient raison d’avoir aussi peur. Plusieurs enquêtes ont montré que l’usage du MP3 fait exploser le budget d’achat de CD. Tous les défenseurs du prêt gratuit ont mis en avant le fait que la fréquentation des bibliothèques pousse à l’achat de livres : un enfant boulimique de lecture, à qui l’on permet d’emprunter autant d’ouvrages qu’il le souhaite, cinq, dix par semaine s’il en a envie, deviendra sans aucun doute, plus tard, s’il en a les moyens, un client des librairies. Et s’il n’en a pas les moyens, il continuera de fréquenter les bibliothèques, et ce sera très bien comme ça.

La variation des supports

Un internaute n’est jamais seulement un internaute. Il ne se dématérialise pas par son usage, même intensif, du réseau : il continue d’arpenter les rues, d’entrer dans les librairies et les magasins de disques. Les professionnels de la culture, pour peu qu’ils soient motivés par autre chose que l’appât du gain, ne peuvent que se réjouir de l’intensification des échanges sur Internet. A long et même à court terme, une irrigation plus profonde du corps social par la culture ne peut qu’être bénéfique pour eux. Certains l’ont compris, comme Michel Valensi, des éditions de l’Eclat :

« L’apparition du numérique nous oblige à reconsidérer la question des supports, écrit-il. (…) Une cassette audio renvoie à la plus grande qualité sonore d’un CD. Une vidéo nous donne quelquefois envie d’aller au cinéma. Un « livre » téléchargé confirme que le Livre est sans équivalent. D’autant que : « Même si deux choses servent à la même chose, ce n’est pas la même chose. » »

Il a décidé de mettre en ligne, pour peu que ses auteurs soient d’accord, l’intégralité de son catalogue, afin que chacun ait le loisir de lire un livre en entier s’il le souhaite avant de l’acheter, quitte à l’acheter ensuite s’il lui plaît, pour l’avoir dans sa bibliothèque, pour l’offrir à un ami.

« Pourquoi ne pourrait-on pas lire les livres intégralement avant de les acheter ? Parce qu’un livre, une fois lu, perd tout intérêt ? - Qui dit cela ? Parce que les éditeurs ont intérêt à ce qu’on ne sache pas à l’avance à quel point ce livre est sans intérêt ? - Ce doit être le cas quelquefois. Permettre aux lecteurs de lire intégralement un livre avant de l’acheter présente finalement quelques avantages : les livres d’un jour, qui empoisonnent le marché, encombrent les librairies, monopolisent les médias, s’accompagnent de gros à valoir versés à des pseudo-auteurs, etc., n’auraient plus de raison d’être ni sur les tables des librairies, ni dans les bibliothèques. On les consulterait sur le Net et, avant même d’en avoir fini la lecture, l’actualité - qui focalise l’attention des lecteurs - serait déjà passée à autre chose (et nous avec). Les faux-livres seraient plus facilement démasqués. Les livres qui pullulent de nos jours et qui tiennent sur 3 pages format A4, gonflées pour faire 70 pages vendues 10, 20, 30 ou 40 francs tourneraient sept fois leur encre sous leur jaquette avant de passer au brochage. »

Mi-physique, mi-virtuelle : géographie de la clandestinité

L’enjeu est de constituer ce que Valensi appelle une « communauté de bienveillants » : un public qui ait suffisamment conscience de la place que peut prendre la littérature ou la musique dans sa vie, de la façon dont elle l’enrichit, y ajoute des dimensions, de son pouvoir de le modifier de fond en comble, pour être prêt à adopter à son égard un comportement avisé et responsable. Il ne s’agit pas de morale, mais seulement de cohérence et de plaisir. Quiconque a fait l’expérience de la vraie nature de la culture sera prêt à rechercher toutes les façons de l’aborder qui respectent cette nature : en publiant un webzine pour faire connaître ce qu’il aime, en farfouillant dans la caverne d’Ali Baba du Net, en s’approvisionnant chez de vrais libraires, là où règne une atmosphère propice à la magie et aux découvertes, en fréquentant les salles deux fois obscures des petits ciné-clubs… Tous lieux où il aura affaire à des gens qui songeront à le nourrir, et pas uniquement à se nourrir. La géographie de la « clandestinité » passe par le Net, mais elle le dépasse largement pour déborder dans tous ces espaces physiques que l’aseptisation mercantile n’a pas encore touchés. La « gratuité » s’entend au sens où l’individu et son épanouissement, la société et son degré de civilisation et de raffinement intellectuel, y priment les impératifs économiques d’écoulement d’une production. Parfois, cette gratuité est gratuite au premier sens du terme ; parfois elle se paie. Mais, dans tous les cas, on n’a rien à y perdre, tout à y gagner.

 
 
Mona Chollet
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> « Défendre ses espaces clandestins »
14 avril 2003, message de nadia
 

J’apprecie le fait que vous fassiez reference aux dires de Amazigh Kateb, chanteur de Gnawa diffusion.

Il a la grande faculté de se démarquer et surtout refuser de faire partie d’un moule et d’etre un "mouton", j’aime beaucoup sa personnalité.

Bravo à vous !

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> « Défendre ses espaces clandestins »
14 juin 2002, message de michto - marseille
 

je te kiffe toi...

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> « Défendre ses espaces clandestins »
26 octobre 2001
 

Je cherche à prendre contact avec Mona Chollet pour effectuer une interview, et ce pour Couleur 3.
Mais le mail me revient, alors j’essaie ici.
Karelle Ménine
076 394 92 88
Si quelqu’un sait comment je peux joindre cette personne, merci !

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