Le prétendu « anonymat » des internautes servirait aux pédo-nazis et autres calomniateurs à se déchaîner sur le WWW. Vérifions cette assertion avec le business des « profils anonymes » accumulés par les sociétés de pub et de marketing direct. Anonymes ? Pas si sûr.
Selon une étude de Forrester Research, le commerce électronique aurait pu engranger 12,4 milliards de dollars supplémentaires si les internautes ne flippaient pas tant en matière de protection des données personnelles et de la vie privée en ligne. « Sur Internet, les prospects sont non seulement anonymes, mais aussi inconnus. C’est contre-productif et pour lui, et pour le marchand », estime quant à lui Jean-Claude Jamet, président et fondateur de Profil For You, une start-up qui vient de lever 65 millions de francs...
Vous en connaissez beaucoup, vous, des « start-ups » qui arrivent à lever de l’argent aujourd’hui, et autant d’argent, 65 millions de francs ? C’est que Profil For You a le bon business plan : cette start-up créée en 1999 développe des outils de statistiques et de profilings destinés à mieux identifier les internautes, et à les transformer en bons clients. 01Net nous explique ainsi que « chaque nouvel internaute se voit attribuer un cookie et un profil par défaut, correspondant à celui du visiteur moyen d’un site. Ce profil est ensuite pondéré et affiné, selon l’intérêt que la personne témoigne dans son surf ». Mais « Profile For You a fait le choix d’un profiling qui respecte avant tout la vie privée des internautes et leur volonté d’anonymat », dixit leur charte de transparence éthique. Profile For You a même lancé un Portail de l’éthique du Net, c’est dire !
Le Boston Globe consacrait récemment un article consacré aux business des bases de données « anonymes », elles aussi. On y apprenait que Cogit.com connaît l’adresse, le salaire, le type de voiture, le nombre d’enfants, les préférences culinaires ou culturelles, etc. de 17 millions de « profils ». Cogit croise en effet les noms et adresses fournis par les internautes sur les sites partenaires, ou clients, avec une base de données recensant plusieurs dizaines de millions de foyers américains. Le profil est établi à partie des données du recensement, les ventes immobilières et d’automobiles, les registres de naissance et de mariage, de ventes par correspondance, etc. Cogit, grâce à ses deux services, RealTarget, et RealProfile, entend ensuite faciliter l’acte d’achat des internautes lorsqu’ils débarquent sur un site.
Si Cogit affirme que les profils sont « anonymisés » (les noms sont effacés au profit d’un n° d’identifiant...), le processus n’en est pas moins paradoxal, en tout cas inquiétant, un peu à la manière d’Oreka, en France, qui enregistre toutes les URL des sites visités, avant de les trier : s’ils s’agit de sites commerciaux, les publicités affichées sur le bandeau d’Oreka seront adaptées à votre profil, s’il s’agit de sites politiques, syndicaux, sexuels ou religieux, ils seront effacé de la base de donnée (sic - voir les Conditions générales d’abonnement, aussi appelées Charte éthique). Tous, bien entendus, crient haut et fort qu’ils ne revendront jamais leurs données. Soit.
Sauf qu’elles bien souvent sont mal protégées, cf les exploits répétés de Kitetoa en matière d’intrusion non-létale dans les bases de données. D’autre part, ces sociétés-là peuvent faire faillite, ou bien être rachetées, et leurs fichiers avec, les start-up, devenues start-down, faisant désormais commerce des restes de leur « nouvelle économie », sorte de nouveaux faillitaires high tech. Ainsi, les 20 000 identifiants clients de Koobuy City ont été rachetés par Impact Net, une société spécialisée dans la commercialisation de fichiers d’e-mails. Et Bertelsmann a acheté pour près de 2 millions de francs les bases de données clients de Boxman. C’est légal. Aux USA, qui n’ont pas de CNIL, et pas de loi spécifique en matière de vie privée, ça ne l’est pas : la Federal Trade Commission et quarante-trois Etats américains ont ainsi refusé la cession du fichier clients de Toysmart. Selon 01Net, Disney, propriétaire de 60% de Toysmart, aurait finalement accepter de racheter ledit fichier, fort de 250 000 identifiants (données de facturation, préférences d’achat, profils des familles, nom et dates de naissance des enfants), afin... de le détruire. Histoire de faire dans la légalité. Ce qui est d’autant plus paradoxal que Disney fait aussi tout son possible pour empêcher les USA de renforcer leur législation en matière de protection des données personnelles...
DoubleClick, leader de l’identification préalable et continue des internautes, se vante quant à elle d’avoir délivré 61 milliards de bandeaux de pub en un seul mois l’an dernier. Quand on sait que la régie pub cherche par tous les moyens (cookies et web bugs, sans compter le rachat, pour 1.8 milliard de dollars, d’Abacus, la plus importante des bases de données des foyers US) à traquer les comportements et préférences des internautes pour en dresser des « profils consommateurs », il y a aussi de quoi s’inquiéter. Engage, l’un de ses principaux concurrents, se targue quant à lui de disposer d’une base de données forte de 800 types d’entrées (« préférences ») et de 84 millions de profils... eux aussi « anonymes ».
Sauf que le terme est on ne peut plus sujet à caution, comme le révélait une récente étude universitaire rapportée par Transfert : « 87% des citoyens américains sont identifiables sur Internet rien qu’en croisant trois données : leur date de naissance, leur sexe et leur code postal »... trois des données « anonymes » qui servent justement à élaborer ces « profils ». Ou quand l’« anonymat » sert à mieux profiler le langage marketing... Les amateurs chevronnés, ou professionnels aguerris, peuvent aussi se faire une idée plus précise de cette nouvelle économie du commerce des identifiants grâce au dossier consacré aux « outils de mesure d’audience » (ou comment personnaliser, rentabiliser et optimiser les audimatés) du Journal du Net.