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Grandeur et décadence des friconautes
 
vendredi 13 octobre 2000
Le Web indé survivrait-il à une attaque nucléaire ?

Survivor

par ARNO*
 

Tous les ans, on nous promet la killer-app qui balaiera le Web tel que nous le connaissons. « Le Web indé, c’est fini », voici la devise qui nous est systématiquement opposée par les journalistes, les politiques et les marchands. Au mieux, le Web indé, c’est un épiphénomène sympathique, qui aura existé à un moment sur l’internet, mais destiné à disparaître ; « c’est dommage, mais voici la killer-app qui va vous faire disparaître ».

Ce qui est encore plus dommage, ce sont les milliards investis dans des killer-app qui n’ont pas survécu, alors que l’expression des citoyens en ligne ne cesse de progresser...

- 1995 - Les marchands vont vous remplacer... adieu Web indé

C’est à partir de 1995 que le grand public a pu commencer à se connecter à l’Internet en Europe. Dans l’esprit des marchands et des journalistes, le grand public est une masse imbécile, dont le seul but dans la vie est la consommation.

Donc, dès 95, on nous a expliqué que l’Internet allait changer : d’un réseau d’échange d’information, il deviendrait un réseau de consommation de l’information. Dès ce moment, les citoyens qui s’expriment sur le réseau sont désignés comme des « résistants » (notion totalement imbécile, presque autant que considérer qu’un citoyen qui utilise son bulletin de vote est un « résistant »), destinés à être submergés par la vague marchande.

Apparaît donc une prétendue loi naturelle selon laquelle, les utilisateurs du réseau étant de plus en plus nombreux, les usages du réseau seraient de plus en plus consuméristes et passifs.

Manque de bol, tout est alors venu contrarier cette prévision : les fournisseurs d’accès se sont vus contraints, par la demande, d’offrir avec leur abonnement d’accès (accès = consommation, pensait-on) un espace d’hébergement pour les sites persos des abonnés. En 1995, on disposait pour s’exprimer en ligne d’un espace de quelques centaines de kilo-octets (moins que l’équivalent d’une disquette !), l’année suivante les « consommateurs » réclamaient des méga-octets. Et tous les services d’hébergement gratuit (Mygale, Geocities, Altern...) devenaient les serveurs les plus visités sur le réseau ; l’email resterait encore l’un des principaux usages (en terme de traffic) sur le réseau...

Aujourd’hui, rien qu’en France, pour deux ou trois millions d’utilisateurs connectés régulièrement, on compte entre 600 et 800 000 sites Web de particuliers (en 1996, on recensait 170 000 sites pour le monde entier). Bref, l’internaute qui se connecte n’est pas un consommateur passif, il utilise au contraire largement le réseau pour s’exprimer.

Pourtant cette croyance en la passivité des utilisateurs du réseau nous est expliquée quotidiennement, et justifierait toutes les mesures liberticides. Aucune statistique n’indique que plus le grand public se connecte, moins les internautes désirent s’exprimer ; pourtant cette vieille lune nous est servie avec une régularité sidérante.

- 1996 - Les évolutions du HTML et l’arrivée des graphistes... adios

En 96 et 97, le butineur Netscape impose des évolutions importantes au langage HTML utilisé pour créer des pages sur le Web. Auparavant, les pages Web étaient d’une simplicité rudimentaire : les balises (les instructions que l’on utilise pour décrire une page) étaient très peu nombreuses, et avec une dizaine de balises on obtenait le même résultat que les sites les plus coûteux. Dorénavant, ce sont plusieurs dizaines de balises (et de variations subtiles de ces balises), de la couleur, des tableaux, la possibilité de mise en page complexe qui apparaissaient. Ce à quoi il faut ajouter un langage nommé Javascript, qui permet d’ajouter un peu plus d’interactivité.

Le Web indé, nous a-t-on alors expliqué, ne saura pas s’adapter, comprendre toute la complexité de ce langage, maintenant c’est un travail de professionnels. Grosso modo, oui les particuliers pourront continuer à s’exprimer, mais ils le feront avec des pages moches (sur fond gris perle, comme auparavant) qui ne répondront pas aux exigences de qualité graphique qu’attend le grand public. Le Web indé deviendra une « niche » pour des utilisateurs appréciant les sites laids...

C’est à cette époque l’arrivée des graphistes professionnels sur le réseau, des sites d’entreprise vach’tement beaux, avec plein de truc qui t’en foutent plein la vue. À cette époque, la « killer-app » sur Internet, c’est le graphisme ; les journaux s’emplissent de copies d’écrans de sites d’entreprise tous plus chiadés les uns que les autres ; quand aux indés, on en parle désormais comme d’un phénomène sympathique, mais voué à la disparition, écrasés par autant de créativité graphique.

Les graphistes professionnels, alors, venaient du cédérom et découvraient Internet. Leur logiciel de prédilection était Director, et ils reportèrent illico leurs habitudes tirées de ce logiciel sur le Web. Un cédérom était conçu comme une succession d’écrans de taille fixe et sans défilement vertical : ils réalisèrent donc des sites Web conçus pour une taille d’écran fixe, format horizontal, sans défilement ; et si un texte était un peu long, il était découpé pour tenir sur plusieurs pages courtes (credo inepte que l’on entendait à l’époque : « l’utilisateur ne sait pas utiliser l’ascenseur vertical qui permet de faire défiler le texte »). Surtout, le cédérom était entièrement graphique ; très souvent, même le texte était une image, afin de conserver la typographie : hop, leurs sites Web seraient entièrement graphiques, y compris le texte.

Sauf que... les pages méga-graphiques avec plein de trucs qui bougent, des javascript dans tous les sens avec des fenêtres qui s’ouvrent à tout bout de champ, personne n’en veut. En particulier : personne ne peut visiter ces pages... Tout le monde utilise alors un modem à 28,8Kb/s (pour beaucoup, c’est encore l’époque du 14,4Kb/s) : la méga-page d’accueil reproduite dans le journal, personne n’avait la patience d’attendre qu’elle s’affiche ; attendre plusieurs minutes pour charger une page d’accueil, sur un site ne contenant aucune information (à part de zolis graphiques en pleine page), avec une chance d’obtenir un message d’erreur (et un plantage de Javascript une fois sur deux), c’était un luxe que personne ne pouvait se permettre.

À l’inverse, le Web indépendant s’adaptait, les pages d’information sur les subtilités du HTML (la grande époque du guide UNGI) mettaient à la portée de tous les bases indispensables, et puisque ce Web privilégiait le fond sur la forme (sans la sacrifier pour autant, mais avec une économie de moyens techniques que les sites professionnels mettront longtemps à comprendre), cette mode des beaux sites cons a disparu (presque...), et le Web indé l’a enterré.

- 1997 - Le cédérom hybride

Devant l’échec des sites Web très graphiques, on nous a alors annoncé un nouveau concept révolutionnaire : le mariage du cédérom et de l’internet. Puisqu’il était trop lourd de mettre beaucoup de graphisme sur un site, on livrerait un cédérom contenant tous les éléments graphiques, et on profiterait du réseau pour mettre à jour l’information.

Autant vous dire que ce concept a été l’un des plus beaux bides de l’histoire du réseau. J’ignore s’il s’est vendu un seul de ces cédéroms hybrides, et s’il y a eu la moindre mise-à-jour réalisée à partir d’une connexion au réseau. Personne n’a jamais voulu de ce machin qui cumulait les inconvénients des deux systèmes : la lenteur de connexion et le prix des communications de l’internet (et, à l’époque, la difficulté pour effectuer un réglage universel de connexion au réseau), et la fermeture du cédérom.

Cette approche avait été tentée et abandonnée par tous les fournisseurs à des réseaux propriétaires auparavant, mais cela n’a pas empêché le microcosme de nous prédire la fin de nos petits sites, anihilés par ce génial concept novateur (etc.). Combien de millions jetés alors à la poubelle ?

- 1997 - Les plug-in de Netscape

Voilà que débarque une technologie méga-révolutionnaire coco : Netscape 2 permet à n’importe qui de fabriquer des petits logiciels, qui se greffent sur le butineur, et lui ajoutent des fonctionnalités (généralement vach’tement multimédia, les fonctionnalités, coco).

C’est la première déferlante de la nouvelle-économie : des milliers de start-up se montent, chacune ne développant qu’une seul et unique concept, un plug-in génial leader dans son secteur (et tout et tout...).

L’avantage du plug-in : la partie qui permet à l’utilisateur d’utiliser ce type de fichier multimédia est gratuit, mais le logiciel qui permet de fabriquer fichier correspondant est payant. Bien entendu : tout le monde va utiliser des plug-in qui te font un site Web vach’tement plus attractif, aussi le Web indé (qui ne peut se payer les logiciels auteurs) va disparaître, ringardisé par autant de maestria technologique.

Les journalistes qui, fin 1999, début 2000, nous ont fait bouffé de la net-économie à tout bout de champ, auraient dû se souvenir de l’aventure des plug-in, car ce fut le plus exemplaire avénement de cette « nouvelle » forme d’économie, et son plus flagrant plantage. Des dizaines de millers d’emplois créés dans la Silicon Valley (en particulier), des milliards investis par le capital-risque, le principe génial de l’entreprise qui entre en bourse avec un seul et unique produit, des employés payés en stock-options (motivantes pour les technologies innovantes...), au final la plus belle gabegie qu’on puisse imaginer. Des milliards déversés dans un mirage rempli de rien.

Combien reste-t-il de ces plug-in ? Pas plus de trois ou quatre ont réellement réussi à s’imposer : Flash, Real, le plug-in d’Acrobat, Quicktime. À l’époque, ce sont pourtant des milliers d’entreprises qui se sont créées.

Mieux : combien de ces start-up ont survécu ? Aucune. C’est le plus beau : les plug-in qui se sont imposés sont le fruit d’entreprises énormes, et pas de start-up : Macromedia, Adobe, Apple, Microsoft. Désolé pour la géniale nouvelle économie qui permet aux cyber-djeunz qui n’en veulent de se faire une place au soleil...

Au fait, pourquoi ? Facile : si vous mettez un plug-in exotique sur votre page Web, vous faites fuir tous les utilisateurs qui ne l’ont pas. Bien sûr, vous pouvez le proposer gratuitement au téléchargement, mais pourquoi un utilisateur irait-il ralentir sa navigation en perdant le temps de récupérer le plug-in et de l’installer (ce qui signifie quitter son butineur) alors qu’une information similaire se trouve sur un autre site (sans plug-in).

Ajoutez le fait que les plug-in sont systématiquement des formats fermés et propriétaires, alors que l’apprentissange du Web se fait sur des formats ouverts et libres (pour apprendre le HTML, il suffit de voir comment les autres pages sont programmées ; pour apprendre à utiliser le moindre plug-in, payez-vous un stage de formation multimédia).

Et le Web indé dans tout cela ? Il est toujours là, merci, sans plug-in...

- Les mondes virtuels

Les mondes virtuels en trois dimensions, c’est le vieux serpent de mer de la nouvelle économie. On nous le ressort généralement lorsqu’il y a une pause dans la succession des autres killer-app.

Il s’agirait d’offrir à l’utilisateur un environnement entièrement en 3D, et si possible vach’tement interactif. Cette lubie est née avec le langage VRML, conçu pour décrire des espaces virtuels en 3D. Deux types de mondes reviennent régulièrement : les mondes parallèles (Paris virtuel...) et les supermarchés en 3D.

Un supermarché en 3D, ça ressemble à s’y méprendre à un vrai supermarché, tout aussi kitch, sauf que c’est une image qui bouge sur votre écran. Vous vous baladez entre les rayons en trois dimensions, et vous sélectionnez des produits en trois dimensions que vous déposez dans votre caddie en trois dimensions ; à la caisse en trois dimensions, vous payez avec vos vrais sous (y’a une morale, tout de même !). Le problème, c’est qu’un supermarché en trois dimensions, c’est encore plus laid qu’un vrai ; et pour l’aspect pratique, ça ne vaut pas mieux (pourquoi le pain est-il planqué au fond près de la bière, alors que la confiture est à l’opposé près du matériel automobile ?). Bref, la plus navrante connerie qu’on puisse imaginer... m’enfin on a droit à des articles enthousiastes avec des copies d’écran tous les six mois dans la presse.

Le monde parallèle, c’est un vrai monde, exactement le même que vous connaissez quand vous éteignez votre ordinateur ; mais dans ce monde virtuel, vous avez besoin d’un ordinateur et d’une carte de crédit. Personne n’a jamais pu expliquer quel en était l’intérêt, m’enfin ça nous a valu des articles plein d’entrain, et des dizaines de millions investis dans des projets sans avenir.

Ah oui, dans ces mondes, vous êtes représentés par un « avatar » (encore un mot à la con à connaître si vous voulez faire branché).

Là encore, killer-app, coco, le Web tel que vous le connaissez va disparaître (et vous avec).

Sauf que tout s’oppose à un tel ras de marée. D’abord les machines qui permettent d’explorer de tels monde sont toujours celles qui sortiront l’année prochaine (et encore, dans le haut de gamme). Les données nécessaires sont trop lourdes (du coup, on nous ressort le principe - mort - du cédérom hybride). Aucun standard ne s’est établi (surtout pas le VRML), aussi chaque monde est totalement fermé aux autres.

Et surtout : les mondes virtuel ont trouvé une application beaucoup plus rentable que l’internet : les jeux vidéo. Ainsi les professionnels de ce domaine ne perdent pas leur temps sur des sites qui ne seront jamais rentables, ils développent des jeux pour PC et consoles. Les vrais bons de la 3D ne sont perdent pas leur temps dans des start-up de l’internet : ils développent des jeux vidéo ou bossent pour Hollywood.

Dernier inconvénient : ça coûte très très cher. Si une entreprise présente son catalogue en ligne de manière traditionnelle (du HTML avec une base de données derrière), ajouter un produit en ligne demande quelques minutes, et il suffit d’un petit scanner de bureau pour ajouter des photos ; l’opération peut être réalisée rapidement à l’intérieur même de l’entreprise. Dans un supermarché virtuel, votre produit doit être redessiné en 3D par un professionnel, qui va y passer sa journée et vous facturer 10 000 balles la moindre modification.

C’est d’ailleurs assez marrant : depuis quelques temps, les ordinateurs individuels, munis systématiquement des cartes 3D puissantes (pour les jeux), sont la norme, mais aucun site entièrement en 3D n’existe encore de manière crédible.

Une killer-app purement virtuelle, donc. (Ce qui n’empêche qu’on en entendra encore beaucoup parler.) Seule application : quelques systèmes de chat. Des millions de francs, et une utilisation totalement marginale et anecdotique..

Le Web indé ? Ca va merci. D’ailleurs, même à imaginer qu’un jour émergent des « communautés virtuelles », on ne voit pas pourquoi elles feraient disparaître les sites en 2D (c’est-à-dire du texte qui se lit à plat avec des images autour et des liens hypertextes au milieu).

- Les network computers

Autre serpent de mer, qui connait des retours réguliers mais de moins en moins spectaculaires sur le devant de la scène : les network computers. En gros, ce sont des ordinateurs aux fonctionnalités très limitées, sans écran et sans clavier, et souvent sans disque dur. Vous les branchez sur votre écran de télévision, et vous utilisez une télécommande pour naviguer sur le Web. Bien entendu, c’est connecté à l’internet... La dernière ressucée vaguement crédible : la possibilité de se connecter au réseau avec la PlayStation 2. On a aussi d’autres bidules dans les cartons, à base de Linux ou de Java.

Là encore, on nous a souvent expliqué que cette killer-app révolutionnerait l’internet : « c’est comme ça que les gens vont se connecter, donc le Web indé va disparaître, puisque les citoyens n’auront plus d’ordinateur permettant de fabriquer des sites Web ». En plus, personne ne viendrait plus visiter les derniers sites amateurs survivants, parce que les utilisateurs ne pourraient pas taper (sans clavier) leurs adresses ; le traffic se concentrerait sur les sites référencés sur les portails associés à ces web-computers.

Sauf que, ben non, ça ne prend pas. Personne n’en veut. Trois raisons principales : la première est que tout l’intérêt de l’internet (à force de le répéter, on va peut-être le comprendre) réside dans la participation, la possibilité de collaborer, manipuler, transmettre et retransmettre l’information ; et ça, sans disque dur et sans clavier, c’est pas évident... Internet à sens unique, il va falloir l’accepter, ça n’intéresse pas grand monde : sinon on se serait contenté des cédéroms et de la télévision. La seconde raison : tant qu’à s’acheter une machine pas chère pour aller sur le réseau, autant choisir un véritable ordinateur complet. Et là, pour le même prix, il y a le choix : non seulement les PC bas de gamme (souvent moins chers que les quelques network computers déjà sortis), mais aussi le marché de l’occasion (j’ai chez moi un vieux 486 sous Linux, avec Netscape 4.7, connecté à l’ADSL, croyez-moi c’est une solution tout à fait crédible - un matos qu’on peut se procurer gratuitement quand sa boîte change son matériel). Enfin, qui prendrait le risque d’acheter une machine qui n’évolue pas pour se connecter à un réseau qui s’invente des killer-app tous les six mois ?

Les network computers passent, le Web indépendant reste. Que sont devenues la Netgem et la SurfTV ?

Notez, parce que c’est un signe qui ne trompe pas : alors que les connexions par câble (« pour 100 balles, en plus de la téloche, t’as internet ») sont de plus en plus nombreuses, absolument personne ne dispose d’un sous-ordinateur bridé à la noix avec marqué « network computer » dessus...

- 1997-1998 - Le push

« Sur le Web, l’utilisateur doit aller chercher l’information (modèle "pull"). Le modèle "push", à l’inverse, apporte l’information sur le poste de travail de l’utilisateur. Inutile d’aller la chercher ! » (voir les « diapositives » enthousiastes de David Menga).

Mieux que les plug-in, l’histoire du push est le plus bel exemple que l’on doit donner à ceux qui s’enthousiasment pour les technologies innovantes de la nouvelle économie et pour leurs concepts novateurs (et autres nouveautés nouvelles). La presse toute entière, pendant un an, n’a parlé que de cela.

Le push, l’avenir de l’internet. Alors là, c’est sûr coco, vos petits webs indépendants, c’est terminé ! Retournez jouer dans votre coin ; la cour des grands, maintenant, c’est le push...

À l’époque, ceux qui expliquaient que le push était une connerie sans avenir, parce que les défauts l’emportaient très largement sur le minuscule avantage qu’il présentait, étaient regardés de très haut : « va donc, hé ringard ! ».

Trois entreprises se battaient pour imposer leur propre logiciel client de push, et tous les gros fournisseurs de contenu se battaient pour passer au push.

Le plus drôle, c’est qu’aujourd’hui, ceux qui n’ont pas connu cette époque ne savent même pas ce qu’est le push, et ceux qui l’ont connu auraient du mal à vous citer le nom des logiciels qui permettaient d’y accéder (pourtant, ces trois boîtes étaient citées chaque jour dans la presse) !

Inutile de perdre du temps à vous expliquer le principe inepte du push ; tout l’intérêt, ici, c’est de savoir que la presse n’a parlé que de ça pendant une bonne année, que tous les professionnels de la profession tenaient salon pour expliquer cette évolution (cette révolution, même) de l’internet, comment ça allait réellement rendre service aux gens, faciliter le travail des entreprises, créer des milliards de bénéfices (créer des emplois, lutter contre la faim dans le monde et soigner le SIDA et le cancer...). Et, toujours, cette affirmation : le Web tel que vous le connaissez est déjà mort, maintenant c’est le push, et vos petits sites sympathiques vont disparaître.

Le push est mort. Totalement. Le Web indé est toujours là, merci... Quand au principe d’envoyer l’information à l’utilisateur sans qu’il ait besoin de se connecter à un site Web, ça existe toujours ; mais ça se fait très bien par email (l’un des systèmes les plus anciens et rudimentaires de l’internet) !

Un conseil : si vous rencontrez un abruti gouroufié par la nouvelle économie, parlez-lui du push et demandez-lui « mais alors, pourquoi ça n’a pas marché ? ».

- 1999 - Le portail

Le portail, l’agrégateur de contenus, ça c’est l’avenir, coco. Séminaires loufdingues d’encravatés experts et notes d’information de l’Atelier à l’appui, le portail devait nous révolutionner l’internet. La killer-app, la vraie, définitive, incontournable. Tu fais un portail ou t’es mort ! Le mythe a tenu presque un an, un record pour une killer-app.

Bien entendu, par la magie du portail, le Web indé devait disparaître : « vous n’intéressez pas les portails, vous ne serez jamais référencés, ciao bambino ».

Le portail, ou « agrégateur de contenu », consiste tout simplement à faire travailler les autres à son propre profit. Cherchez bien : ça ne marche pas et ça n’existe pas.

Si un site se contente de faire des liens vers d’autres sites, ce qui est la base de l’internet, il ne rapporte rien et n’intéresse personne. Car il y aura toujours un concurrent pour offrir, en plus du référencement, des contenus orignaux (ce qui contribue immédiatement à tuer le modèle économique du portail).

Par ailleurs, imaginez un internet constitué uniquement de portails (ce qu’on nous prévoyait, rappelons-le) : quel contenu ces portails référenceraient-ils ? À part des communiqués de presse triomphants du genre « Notre portail de référencement Zeniaux.com a été enfin référencé par le portail de référencement Yahoo », je ne vois pas.

Bien entendu, le mot « portail » perdure : mais il ne s’agit alors que d’un terme marketing signifiant « site à la con leader sur son secteur avec des liens vers les sites pas leaders ». Grosso modo : n’importe quel site Web dont les concepteurs pètent plus haut que leur cul.

Exemple pratique : le jour où le moteur de recherche Altavista a décidé de devenir un portail, il s’est fait laminer par un concurrent nommé Google, qui ne fournissait rien d’autre que la fonction de moteur de recherche, à l’exclusion de toute classification du type « toute l’info d’un seul clic » et de tout enrichissement graphique. Réplique du portail Altavista : un service nommé Raging, copié sur Google, à l’opposé du principe du portail. De là à dire que les internautes ne veulent pas perdre leur temps sur les portails...

- 1999-2000 - La nouvelle économie

Je ne m’étendrai pas, nous y consacrons de nombreux articles par ailleurs. Les politiques vont serrer les mains des navrants de Silicon Sentier et de Republic Alley, et dénoncent la dérive pédo-nazie sur Internet. C’est clair : ceux qui créent de la richesse, ce sont les petits escrocs de la nouvelle économie ; les autres vont disparaître (bande de pseudo-libertaires, va !).

En réalité, la « nouvelle économie » est une forme légalisée de l’escroquerie, dont l’alibi est déjà une série de « killer-app » (achat groupé, portails bidons, vente de produits trop chers à des crétins trop branchés, communautés virtuelles, loteries attrape-gogos...).

Ami du Web indé, la courbe chaotique (et dégringolante) du Nasdaq est ton meilleur argument... En un an, les « valeurs de croissance » ont copieusement « décroissé ».

L’Europe a découvert avec quelque retard les charmes des jeunes puceaux abreuvés de stock-options et de Palm Pilot. Ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont condamnés à la revivre : c’est le but du présent article que de rappeler la courte et riche histoire de ces killer-app. Malheureusement, ils sont nombreux ceux qui vont revivre le calvaire des années 80 : ses costards ridicules, ses coupes de cheveux navrantes et sa musique pitoyable (et, accessoirement, sa fascination immodérée pour les parvenus).

- 2000 - Le Wap

Nul ne sait exactement ce qu’est le Wap. Une chose est certaine : ça a déjà coûté des milliards et c’est déjà mort. Aujourd’hui les téléphones « Wap-inside » sont dans le commerce, mais personne ne les utilise.

Depuis le début de l’année, on nous pondait des notes d’information sur le Wap, c’est génial, c’est l’internet du futur (« dans pas longtemps, l’internet mobile représentera 99% du marché »), depuis quelques semaines, plus personne n’oserait miser un centime là-dessus.

Accélération du rythme des killer-app : elles sont désormais ringardes avant d’avoir existé.

- Le Web c’est nous... faute de mieux

On en arrive à cette situation paradoxale : les seuls survivants de cette succession de killer-apps, c’est nous, nous auxquels chaque vague de killer-app promettait un avenir funeste. Le Web citoyen, indépendant, non marchand. L’utilisation simple et naturelle d’un média pour communiquer.

Nos petites pages modestes et géniales sont la seule constante de l’internet, la seule richesse qui ne disparaît pas, le seul principe qui ne trépasse pas avec les modes. Toujours plus nombreuses, toujours meilleures, sans bruit et sans killer-app.

N’empêche : surveillez les informations. La prochaine révolution de l’internet est là, l’application qui va révolutionner le réseau est déjà prête, l’article qui prédit notre disparition au profit d’une méga-nouveauté géniale et marchande est déjà écrit.

Jésus crie et la caravane passe.

 
 
ARNO*
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Vainqueur 1982 du concours « Chateau de sable » du Club Mickey des Pingouins à Sainte-Cécile.

28 septembre 2003
15 septembre 2000
6 octobre 2003
 
SPIP
Web indépendant


Complement
14 octobre 2000, message de VBP
 

Quelque elements a ajouter a la longue liste :

- Les reseaux proprietaires style Compuserve et AOL, qui juraient leurs grands dieux que les vrais gens preferaient une interface unifiee et controlee plutot que le bordel ambiant du Web. Alors on leur fourguait une interface proprietaire, du contenu pre-selectionne et un browser nullissime (pour que les accros puissent aller se rendre compte que le Web ne vaut pas le "home sweet home" de maman AOL). Ce n’etait qu’une question de temps avant que le grand public disparaisse du Net en-dehors de ces reseaux proprietaires. Avant de completement changer d’avis et de se rendre compte qu’ils ne sont qu’un fournisseur d’acces et que leur contenu proprietaire ne vaut rien face au Web, et en particulier au Web independant.

- L’arrivee de la presse etablie (journaux, chaines de TV...) sur le Web, les Dernieres Nouvelle d’Alsaces en tete (pour la France). Merci les petits sites artisanaux, mais maintenant que la vraie info est dispo sur le Web vous allez disparaitre. Ce qu’on voit plutot c’est que la presse ne sait toujours pas par quel bout prendre le web (un coup il faut s’abonner, un coup ca va etre finance par la publicite, un coup c’est gratuit). Vous vous souvenez de la premiere version du Monde ou on etait cense avoir un porte-monnaie electronique et acheter chaque article ?

- L’explosion des banners. C’etait cense etre bientot le seul moyen de se faire connaitre. Si tu ne peux pas te payer des banners t’es fini, plus personne ne viendra te voir. Aujourd’hui le bouche a oreille reste de loin le meilleur vecteur de promotion et l’action Doubleclick est a $12 contre $135 en janvier.

En ce qui concerne les logiciels de push, je seche sur le troisieme. Je me souviens de Marimba et Pointcast (dont le seul nom fait aujourd’hui hurler de rire ceux qui en chantaient naguere les louanges). Arno, pitie, rappelle-moi le troisieme nom ou je ne vais pas en dormir cette nuit.

Juste pour se rappeler un instant le bon vieux temps, voici comment Pointcast presentait alors triomphalement sa geniale reinvention de la TV (en plus lent) :

"Headlines move dynamically across the screen, the colors pop and all you have to do is keep your eyes open. Effortless. No surfing required." C’etait fin 1996...

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Les logiciels de push, ARNO*, 14 octobre 2000

Je n’ai pas meilleure mémoire que toi : déjà se souvenit des noms de Marimba (par Castanet) et PointCast (I-Server) c’est pas de la tarte. Pour les autres j’ai eu un peu de mal...

Le troisième auquel je pensais était le NetCaster lancé en fanfare par Netscape, qui devait définitivement résoudre la discussion. Manque de pot, il y avait eu juste avant les « channels » de Microsoft Explorer 4 (un machin bizarre censé faire le lien entre Web et push).

A part ça, plusieurs lecteurs me demandent de préciser l’expression « killer-app ». Ca signifie « killer application », « application de la mort qui tue » ; application signifiant indifféremment un logiciel « révolutionnaire » ou une utilisation (en terme de contenu, d’agrégation, d’interactivité...) du réseau.

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> Les logiciels de push, KP, 13 janvier 2002

une troisieme solution de push etait fournie par Backweb ...

je crois que c’est ce que vous cherchez...

Répondre
> Encore un complément, yann schwartz, 15 octobre 2000

On pourrait ajouter à la liste des killer applications qui se sont surtout tuées elles-mêmes :

1) Les applets Java qui remplacent le Web.
Ca devait être en 96-97. Java était présenté comme LE langage pour Internet. Plus de problèmes liés à HTTP, plus de problèmes de rendu, tout serait réalisé par des applets (le discours était un peu comparable à celui qu’on nous fourguait pour les plugins et contrôles ActiveX).
Résultat, aujourd’hui, tous les Kakous ont une applet Java sur leur page (la même, celle qui fait des vaguelettes à partir d’une image fixe) et Java ne s’utilise plus que dans les coulisses, très loin, sur les serveurs (ce qu’il fait très bien, au demeurant).

2)Flash, ou le Grand Retour des graphistes.
Après la première génération des graphistes recyclés dans le Web, on a vu arriver les super développeurs Shockwave reconvertis à la sauce vectoriel.
La grande mode des pages d’introduction en Flash est fort heureusement retombée, on s’est rendu compte que les petits jeux vectoriels étaient à peu près aussi pourris que les petits jeux en applets Java, qu’il était impossible de paramétrer un tant soit peu un Flash pour faire des sites réellement dynamiques (pas dynamiques comme "regardez, ça bouge", mais dynamiques comme "regardez, le contenu change en fonction des interactions de l’utilisateur et du système") et Flash n’est plus au fond qu’un format d’images parmi d’autres.

3)Napster-Gnutella-etc.
Bon, là c’est plus de l’ordre de la prédiction qui du fait accompli, mais quand tout le monde aura récupéré le même MP3 de Britney Spears, les super-applications-participatives-partageuses vont finir par montrer leurs limites (en bande passante, en contenu, et surtout en mentalité des participants).

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> Encore un complément, Guillaume, 19 décembre 2000

Je ne suis pas d’accord avec la prédiction de mort de napster et consorts à cause d’une trop grande uniformité des morceaux échangés. Je pense comme toi que Britney Spears accapare une bonne partie de la bande passante, mais on trouve des collectionneurs sur napster qui valent le détour. J’utilise Napster pour dénicher les inédits et introuvables plutôt que les vieux tubes qu’on paie au poids dans la collection "best of nice price prix ultra-vert fluorescent" à la fnac. Grâce à ces collectionneurs de mp3, j’ai mis la main sur des morceaux dont j’ignorais l’existence (Bowie en concert avec nine inch nails, un grand moment...) ou sur des succès éphémères, disparus des bacs depuis longtemps (qui se souvient de Holy Gang ?). Cela suppose que quelque part sur la planète quelqu’un s’est fatigué à compresser en mp3 un morceau d’un groupe oublié, à partir d’un CD couvert de poussière trouvé dans le grenier, pour la plus grande joie de 10 allumés anonymes à l’autre bout de la planète. Moi j’aime bien cette mentalité, pourvu que ça dure...

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> Complement, Michel, 19 octobre 2000

dans le titre de l’article "faisez" est une vraie faute ou une faute virtuelle que je n’ai pas appréciée à sa juste valeur ( page d’accueil pas forcément avec l’article)
Sinon bravo
Michel

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