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13 octobre 2000
 
mardi 7 mars 2000

MultiMania : un déficit en forte croissance

par Pierre Lazuly
 

Au début, moi aussi j’y avais cru. C’était drôlement
impressionnant : 1100% d’augmentation du chiffre d’affaires en à
peine une année, ça faisait forcément rêver. Et 58%
d’augmentation de l’audience en 6 mois, ça avait de quoi laisser
baba. Alors imaginez ma joie quand on m’a dit que j’allais pouvoir, pas
plus tard que demain, acheter des actions MultiMania !

L’entrée en Bourse d’une start-up, on aura beau dire, c’est toujours
un moment vachement émouvant. C’est sa seule raison d’être, alors
elle ne peut pas se permettre de la rater. Elle annonce fièrement sur
son site l’introduction de ses actions, avec des tas de chiffres
mirifiques qui vous donnent aussitôt envie d’en acheter. Et qui finissent
par vous donner envie d’aller y regarder de plus près, tellement ça
vous semble suspect.

L’ami Erwan avait déjà relevé, dans son dernier édito, la
malhonnêteté profonde de cette prétendue « progression du chiffre
d’affaires de 1100% entre le 4ème trimestre 1998 et le 4ème
trimestre 1999 » : quand on sait que c’est précisément au début du
4ème trimestre 1999 que MultiMania a lancé sa grande campagne
publicitaire radio-télé (20 millions de francs), on est déjà moins épaté.
Surtout quand on apprend que ces 20 millions de francs claqués en
publicité auront finalement peu rapporté : les recettes publicitaires de
MultiMania, pour ce même trimestre, ne dépassent pas 4 millions de
francs. Le chiffre d’affaires a beau progresser de 1100%, ça fait quand
même un déficit en forte progression : en 1998, MultiMania perdait 6,8
millions pour un chiffre d’affaires de 2 millions ; en 1999, elle perd 34
millions pour un chiffre d’affaires de 9 millions. Net progrès.

Alors bien sûr, il y a l’autre chiffre : l’augmentation de l’audience. 58%
d’augmentation entre août 99 et janvier 2000, a priori ce n’est pas rien.
Mais le mois d’août n’a sans doute pas été choisi pour rien. Si on prend
la peine d’aller lire la page 51 de la note complète de la COB
(Commission des Opérations de Bourse), on apprend en effet que « la
société s’attend à ce que son activité revête un certain caractère
saisonnier ; l’utilisation de l’Internet et donc l’accès au site
MultiMania étant moins importants durant les vacances d’été ».
Comparer l’audience du 15 août et celle du 15 janvier relève donc, là
encore, de la plus grande malhonnêteté : les 58% annoncés n’ont
absolument aucun sens. C’est même carrément faiblard, comparé aux
quelque 500% d’augmentation observés par exemple sur
menteur.com entre le 15 août et le 15 janvier. (Et encore, j’ai pas
claqué pour 20 millions de francs de publicité. Si on me les donne, je
vous le dis tout de suite, je préfère acheter un voilier et partir avec
mon équipière préférée).

En fait, c’est triste à dire, mais si on regarde ces malheureux 58% de
progression de l’audience, péniblement obtenus entre le creux d’août
et le pic de janvier en claquant au passage 20 millions de francs, on ne
peut pas s’empêcher de penser que l’audience de MultiMania aurait
plutôt tendance à décliner. Il était donc largement temps de
l’introduire sur le Nouveau Marché, de rafler la mise et de laisser le
petit porteur s’endormir en rêvant à des croissances de 1100%. (On a
les rêves qu’on peut).

Quoi qu’il en soit, le petit investisseur, faudra pas qu’il vienne pleurer si
ses actions MultiMania viennent à dégringoler. La COB l’aura
prévenu : « En raison des caractéristiques spécifiques des
entreprises destinées à être cotées sur le Nouveau Marché et des
risques qui peuvent en résulter pour l’investisseur, ce dernier est
invité à lire avec attention les documents soumis à la COB ». Et là,
c’est un véritable festival : autant le résumé de la note de la COB est
optimiste, plein de croissance et d’espérance, autant la note complète
est indéniablement plus inquiétante, pleine d’incertitudes et d’aveux.
Bon, ça fait quand même 80 pages, mais vous pouvez vous contenter
des pages 50 à 60, c’est amplement suffisant : incertitudes sur le
Business Model de la société, fluctuation potentielle de ses résultats,
dépendance vis-à-vis du développement de la publicité et du
commerce en ligne, incertitudes légales, responsabilité liée au contenu
des sites hébergés... Une dizaine de pages qui avouent tranquillement,
bien au-delà du cas précis de MultiMania, toute la rouerie de la
« nouvelle économie », l’incertitude absolue de toutes les prédictions,
le caractère trompeur de toutes les prévisions. Les pages 50 à 60,
j’insiste, sont pleines d’enseignements.

Mais la petite différence, le petit « plus » de MultiMania, c’était
naturellement ses gentils membres, ces braves bénévoles à la Mygale,
qui vous pondaient joyeusement de jolis sites pour pas un rond. Il
suffisait de leur imposer des bandeaux, compter sur leur talent et en
empocher les royalties. Comme l’écrit la COB, « la société est
fortement dépendante de ses membres et de leur engagement continu
à améliorer le contenu et à effectuer, en particulier, la promotion de
leurs pages personnelles, et d’une manière générale, du site autour
d’eux. La société dépend plus particulièrement des efforts de
certains membres très motivés et très actifs dans le développement
du contenu du site pour attirer de nouveaux internautes sur le site.
La société compte ainsi sur la forte implication de ces membres pour
réduire le besoin de ressources extérieures nécessaires à
l’enrichissement du contenu du site et à la promotion de celui-ci.
Toutefois, il ne peut y avoir aucune garantie que les membres
continueront à créer un contenu intéressant ou à promouvoir le site.
[...] Le développement et les résultats financiers de la société
pourraient dès lors être affectés si les membres les plus actifs
n’étaient plus satisfaits des services proposés par la société ».

La COB a raison de le souligner : il n’y a effectivement aucune
garantie que les gentils membres continuent à créer gratuitement du
contenu intéressant « pour réduire le besoin de ressources
extérieures nécessaires à l’enrichissement du contenu du site ».
MultiMania, comme disait l’autre, c’est pour faire ses brouillons.
Quand on commence à avoir des visiteurs, c’est une question de
respect, on s’arrange pour ne pas leur imposer des fenêtres de
publicité. On déménage chez l’ami Valentin ou chez un autre copain.

« Devenir actionnaire de MultiMania c’est franchir un pas de plus
dans la communauté », ose encore écrire MultiMania dans sa dernière
lettre gnan-gnan adressée à tous ses gentils membres. « Parce que
communauté commence comme commerce », je suppose. En tout cas,
le gentil membre qui a bien fait ses pages HTML, il a le droit d’acheter
des actions, tellement il est mignon. « Vous pouvez participer à cette
fabuleuse aventure en devenant vous-même actionnaire de
MultiMania. Les souscriptions sont ouvertes du 2 au 7 mars 2000
inclus et une offre préférencielle (sic) vous est proposée, à vous,
Membre de MultiMania. Vous n’avez donc que 5 jours pour en
profiter ». (Surtout pas plus, vous risqueriez d’avoir le temps de
réfléchir). « Cette opération va nous permettre de franchir un
nouveau pas dans notre développement, en obtenant les moyens de
financer de nouveaux services dont vous pourrez profiter en priorité.
La création d’un service d’achat groupé en partenariat avec Akabi,
disponible dans les prochaines samaines (sic), en est la parfaite
illustration ».

C’est surtout la parfaite illustration que MultiMania prend vraiment
ses abonnés pour des cons.

 
 
Pierre Lazuly
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