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mercredi 12 juin 2002

L’Internationale Situnaturiste

Les chiens de garde se retrouvent à poil
par Lirresponsable et ARNO*
 
 

Sur l’internet, ce réseau où le CSA ne parvient pas à interdire que l’on profane nos valeurs les plus sacrées, une bande de canadiens décomplexés blasphèment quotidiennement en présentant la Grand-messe de l’information en tenue d’Adam. Pour accompagner vos vacances à la plage, nous vous proposons une analyse post-situ du phénomène de l’infotainment avec des photos de gens tous nus dedans et des citations de Baudrillard autour.

L’infotainment (information + entertainment) désigne le mélange de l’information et du divertissement. Le terme s’applique :
- aux programmes de divertissement qui adoptent les codes formels de l’information (Exclusif, sur TF1),
- aux informations qui adoptent les codes formels du divertissement (Le vrai-faux journal de Karl Zéro),
- plus rarement, aux organes d’information lorsqu’ils se consacrent au divertissement (l’omniprésence des résultats sportifs, les Unes consacrées à Loft Story, la vie des célébrités dans les journaux...).

L’infotainment est évidemment vanté par les marchands, pour son énorme succès d’audience, et vilipendé par les médias « sérieux » puisqu’il représenterait une perversion de l’information « sérieuse ». Notre point de vue est tout autre : l’infotainment n’est pas un avilissement du système médiatique, c’est au contraire sa forme la plus pure ; il n’y a pas d’un côté une bonne information de masse objective, et de l’autre un divertissement stupide que serait l’infotainment : l’ensemble n’est que l’imposition des « actualités » comme modèle autoréférentiel, un système purement spectaculaire. Lorsqu’il est réussi (et nous prendrons comme modèle le site NakedNews.com, dont nous pensons qu’il s’agit d’une des formes d’infotainment les plus abouties), l’infotainment devient, involontairement, un outil subversif en faisant apparaître l’information médiatique pour ce qu’elle est : un mauvais divertissement (au sens de la diversion) habillé d’une propagande autojustificatrice.

En France, le site NakedNews.com a plutôt rencontré le dédain des médias.
Peu évoqué, sauf sous l’angle de la farce ou des impératifs de salubrité publique (une nouvelle dérive de l’infotainment). Naked News va cependant beaucoup plus loin.

Dans les pays anglo-saxons, le phénomène a fait l’objet d’un peu plus d’attention et, après un débat similaire en Russie, a provoqué sa petite polémique. En Sicile, au climat moins rigoureux que l’hiver sibérien, l’apparition d’une émission d’information présentée par de jeunes femmes dévêtues a néanmoins provoqué le courroux de l’Église et de la mafia (Nude news outrages Church and Mafia, Bruce Johnston, The Daily Telegraph, 12 novembre 2000)

Archéologie de l’objet

Description historique

L’origine semble être l’émission La vérité nue, lancée sur une chaîne de télévision de Moscou, M1. Peu avant minuit, une jeune femme présente des informations très sérieuses et des interviews d’hommes politiques tout en se déshabillant.

The Naked Truth
Svetlana Pesotskaya présente The Naked Truth sur la chaîne moscovite M1.

Arrivée aux informations sportives, elle ne porte plus que ses sous-vêtements, et à la fin de l’émission, elle est totalement nue, un objet judicieusement placé dans le décor ou une position appropriée permettant d’occulter la partie la plus intime de son anatomie.

Mais c’est avec Naked News, site Web né à Toronto, que le phénomène prend de l’ampleur. D’abord parce que c’est accessible sur l’internet depuis n’importe où dans le monde, qu’un programme quotidien y est visible gratuitement, que c’est en anglais, et que cette fois la nudité est absolument totale. Énorme succès, et une dot-com qui a semble-t-il très bien survécu à la crise.

Longtemps financé uniquement par la publicité et la vente de produits dérivés (casquettes, T-shirts...), le site offre à présent une version gratuite (proposant environ cinq minutes d’information quotidiennes, avec une qualité d’image passable), et une version payante constituée d’un programme d’information complet d’environ vingt minutes avec des qualités d’images d’excellente qualité (à condition d’avoir un accès haut-débit). Les informations existent en deux formats : le programme féminin, et les mêmes informations présentées par des hommes (au total, donc, pour ceux que les deux versions intéressent, dans les trente-cinq à quarante minutes de vidéo quotidienne).

Timing

L’ensemble se présente sous la forme d’un journal télévisé relativement classique : environ huit minutes consacrées à l’information internationale, et trois minutes aux informations nationales (nord-américaines), deux minutes pour le sport, une minute d’un programme « Life & Leisure » (questions médicales, gadgets inutiles...), un segment de deux minutes « In Focus » sur un sujet unique (généralement consacré au cinéma), deux minutes pour la météo et son indissociable « Image du jour », deux minutes d’information économique, et deux minutes diverses sur des infos improbables (« Fringe news »).

Grosse différence avec un journal télévisé : il n’y a aucune image vidéo illustrant un sujet (donc pas d’opinion des politiciens impliqués, pas de micro-trottoires...), pas de faits divers (le genre « un bus rentre dans une cabine téléphonique » suivi de sa mini-polémique à la noix, « indemnisation des victimes : les assureurs de France Télécom et de la RATP se renvoient la balle et réclament une aide de l’État »), pas d’interviews d’experts qui viennent d’écrire un livre ou de chanteurs qui viennent de sortir un disque. Évidemment, ces absences sont dues à des impératifs économiques, mais au final cela vous donne vingt minutes d’information extrêmement denses.

Antifascisme new-look
Les médias français nous ont fait fort opportunément remarquer que CNN avait consacré un breaking-news aux élections présidentielles ; aucun ne semble cependant avoir remarqué que les canadiens de NakedNews y avaient aussi consacré un sujet.

Analyse

Ce qui frappe immédiatement, c’est le ton extrêmement professionnel dans le traitement et la présentation de l’information.
Ainsi les voix sonnent exactement comme celles des journalistes de l’autre grand network d’information internationnal (CNN) - peut-être moins pour les hommes, le ton très typique des news américaines est beaucoup plus marqué chez les femmes. Malgré l’absence d’inserts vidéo d’illustration (« nous retrouvons Machin devant la permanence de Jacques Chirac, allô Machin vous nous entendez ? », « oui Patrick, je vous entends, ici l’ambiance est à la fête mais Jacques Chirac et son épouse ne sont pas encore arrivé », « merci Machin, n’hésitez pas à intervenir si du nouveau advenait »...), l’ensemble est réalisé avec professionnalisme : les présentateurs sont filmés sur fond bleu et insérés dans des décors en image de synthèse, des changements de plans rythment les séquences, et les sujets sont suffisamment variés ;

Vous l’avez déjà remarqué : tout le monde est tout nu. Du coup, contrairement au plan rapproché qui transforme les présentateurs des JT en hommes-troncs, ici c’est un plan américain (cadré en bas à mi-cuisses) qui permet de montrer ce qu’on ne voit pas d’habitude (comme les bas-résille d’Alain Chabat ou les pantoufles de Joseph Poli).

Les présentatrices n’ont rien de mannequins californiens à la Playboy. Seins de toutes tailles et toutes formes, hanches plus ou moins larges, proportions diverses et variées ; ce sont certes de jolies personnes, mais relativement communes. Les hommes, eux, correspondraient plus aux critères de beauté habituels des news magazines (abdominaux reluisants, pectoraux reluisants, etc.).

Rayons maquillage et coiffure, c’est limite quelconque. On est loin des choses très élaborées ou caricaturales de la télévision (essayez la Rai Uno pour ses VIP en collagène, c’est assez épatant). Du côté de la garde-robe, c’est aussi plutôt médiocre mais là, c’est compréhensible.

Les pauses des présentateurs n’ont à première vue rien d’érotique, dans le sens d’aguicheur, comme peut l’être l’exhibition d’une excitation sexuelle (réelle ou feinte). Ce qui correspond sans doute à la différence de contexte culturel entre le monde latin et le monde anglo-saxon, et plus particulièrement sans doute à l’érotique des canadiens anglophones. La gestuelle est minimaliste. Et lorsqu’il faut se déshabiller (certains présentateurs commencent leur segment habillés, et enlèvent leurs vêtements au fur et à mesure de l’énoncé des infos), les gestes ne sont pas du tout élaborés. Comme le note Chronic’art,
« Dans des mouvements précis et aiguisés, les présentatrices du JT se débarrassent mécaniquement de leurs oripeaux. Le degré zéro de l’excitation. ». Bref pas de strip-tease avec dramatisation (pas musique langoureuse type l’ange bleu ou les choeurs de l’armée rouge, pas de gestuel suggestive, etc.).

L’érotisme de l’information ou du désir d’être informé

Une fois le principe posé (des gens tous nus qui présentent des informations sérieuses), la question d’être choqué par la nudité semble peu intéressante, car relevant principalement de jugements culturels, qui valorisent ou dévalorisent la nudité [1]. Puisque c’est le principe fondamental de Naked News, le « concept », au sens de procédé narratif et dispositif de présentation, s’étonner de la nudité dans Naked News reviendrait à s’étonner que les personnages ont envie de faire l’amour dans un film porno ou qu’il y a des explosions et plein de flingues dans un film d’action.

Cependant, on peut bien sûr trouver le principe choquant en lui-même en ceci qu’il mélange deux genres qui semblent opposés : l’information relevant du genre journalistique (défini par une charte de déontologie, les notions de véracité, d’objectivité, etc.) et le strip-tease relevant du genre divertissement (marqué par les notions de plaisir, d’audience, de bénéfice), sous catégorie « spectacle pour adultes ». Il y aurait là confusion des genres et le pire monstre hybride, c’est-à-dire l’infotainment.

L’intérêt de Naked News est qu’il pose la question du désir d’information et montre par une juxtaposition surprenante et à la fois d’une simplicité biblique que l’information relève par nature du divertissement. Thèse forte que nous allons essayer d’établir, contrairement au présupposé qui veut que l’information ne soit pas du spectacle, le spectateur est conduit à cette révélation : le journal de Naked News l’informe aussi bien qu’un journal traditionnel, mais en plus lui démontre par le disposif de diversion (l’oeil observe le corps nu) l’extrême relativité du contenu informatif.

On peut objecter que le journal de Naked News ne serait en fait que l’alibi pour jouir de la contemplation de corps nus, bref l’intérêt et le plaisir seraient celui du voyeur qui se donne bonne conscience à peu de frais : je ne regarde pas des corps nus (je ne suis pas un pervers, un obsédé, etc.), c’est seulement le journal télévisé en ligne (je suis quelqu’un de responsable qui se tient au courant des nouvelles du monde). C’est-à-dire que l’intérêt intellectuel pour l’information (ce qui est jugé noble pour la conscience et du point du vu social) joue le rôle de rempart à la censure moral qui réprouve ce type de spectacle (prendre du plaisir à contempler des corps nus).

Or, premièrement les corps nus sont communs, contrairement au sens spectaculaire des programmes érotiques ou pornographiques que l’on trouve en ligne (nous l’avons indiqué, les corps ne sont pas ceux de playmates californiennes, et la gestuelle est minimaliste), et deuxièmement le contenu informatif du programme est véritablement comparable aux autres journaux, il ne s’agit pas d’un simple texte-alibi de piètre qualité.

Le problème du genre pornographique

On objecte alors que c’est justement le mélange des genres qui est érotique, dans le sens où la modalité sérieuse comme négation de l’érotisme renforce la dimension érotique de la scène. Recette que l’on trouve dans le goût pour les films pornographiques amateurs (jugés plus vrais, réalistes car non-fictifs et donc plus excitants) ou même dans le procédé narratif des films pornographiques, dont les scénarios jugés souvent indigents comportent tout de même une occultation de leur nature fictive et donc fabriquée (on ne filme pas l’équipe, les acteurs et actrices jouent des rôles [2]). Ce qui les classe donc bien comme oeuvre cinématographique.

Or pour en revenir à Naked News, il n’y a pas d’actes sexuels filmés, ni, on l’a vu, à proprement parler de strip-tease. Le spectateur est donc reconduit à la nature même du spectacle qu’est l’information. Aux signes de sérieux et de légitimité habituels (l’apparence de cadre de direction des présentateurs) est substitutée la nudité qui symbolise ici la vérité comme l’absence d’artifice.

Contrairement d’ailleurs aux journaux classiques qui utilisent des procédés de dramatisation, afin de maintenir l’audience : direct sur l’événement, quand bien même il n’y a aucune image, aucun commentaire informatif, aucune information, type Guerre du Golf, Afganisthan, ou les mêmes images en boucle (les avions qui percutent les tours du WTC), montage, reconstitution, musique, ton grave du présentateur, etc.

On a donc une épure du spectacle, au delà du slogan « nothing to hide » (rien à cacher) : les informations en elles-mêmes sont aussi inintéressantes qu’ailleurs, c’est pourquoi l’intérêt explicite est dans la nudité du présentateur (le differentiel produit du côté de la chaîne) ou le ce pour quoi le spectateur désire dans un premier temps regarder ce journal.

D’où l’intérêt paradoxal de ce spectacle : voilà un dispositif qui démontre, par la simplicité des moyens, l’effort de mise en scène de l’actualité (les « vraies » informations) qui rigoureusement n’a de sens qu’en tant que musique d’accompagnement du spectacle.

L’expérience Naked News, interprétation

On pourrait donc conclure que l’ensemble n’est absolument pas érotique au sens usuel ou vulgaire (« de la fesse »), mais évoque en quelque sorte la dialectique platonicienne, sur l’éducation du désir (eros) dans le Banquet :
« Voilà donc quelle est la voie qu’il faut suivre dans le domaine des choses de l’amour ou sur laquelle il faut se laisser conduire par un autre : c’est, en prenant son point de départ dans les beautés d’ici-bas pour aller vers cette beauté-là, de s’élever toujours, comme au moyen d’échelons, en passant d’un seul beau corps à deux, de deux beaux corps à tous les beaux corps, et des beaux corps aux belles occupations, et des occupations vers les belles connaissances qui sont certaines, puis des belles connaissances qui sont certaines vers cette connaissance qui constitue le terme, celle qui n’est autre que la science du Beau lui-même, dans le but de connaître finalement la beauté en soi. »

De l’attirance pour les beaux corps, mouvement naturel et légitime (et aujourd’hui normatif sous des dehors de contestation), un deuxième mouvement critique interroge la nature du premier par un examen portant sur les opinions, sur ce qui est véritablement désirable. Les informations sont-elles désirables ? Sont-elles des connaissances profitables à l’âme ? Méritent-elle d’être l’objet de mon désir ?

Le présupposé moderne et répété sur toutes les fréquences est une réponse affirmative : oui les informations sont importantes, elles sont un vecteur de connaissances d’où l’impératif médiatique « il faut suivre l’actualité », « être au courant de l’actu » (dans le sens large : aussi bien « avoir un avis sur le conflit entre l’Inde et le Pakistant », que « être d’avis que M-O. Fogiel est un pitt-bull »). Et plus la réceptivité à ce flux médiatique est parfaite, plus celui qui est au courant de la vie des médias est socialement reconnu. Attitude comparable à celle que Platon raille dans la République avec la célèbre allégorie de la caverne : « Et s’ils [les prisonniers de la caverne] se décernaient alors entre eux honneurs et louanges, s’ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l’oeil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme [celui qui a été libéré de la caverne] fût jaloux de ces distinctions, et qu’il portât envie à ceux qui, parmi les prisonniers, sont honorés et puissants ? » (516d).

Or ici, grâce au dispotif de Naked News, le spectateur prend conscience de l’extrême relativité d’une telle assertion, justement par le référentiel : la nudité qui signale le dispositif (comme absence de dispositif habituel). Ceci est légèrement paradoxal, car on croit d’ordinaire que le dispositif (la mise en scène) est uniquement du côté de Naked News, qui ferait du spectacle (mauvais strip tease) comme si le journal télévisé des autres chaînes lui n’était pas un spectacle. Or bien-sûr, rien n’est plus faux : le journal est un dispositif technique et narratif (les sujets sont choisis, construits, élaborés, présentés, ordonnés - cf. « Leçon pratique : comment préparer un sujet pour le 20 heures », in Florence Aubenas & Miguel Benasayag, La fabrication de l’information, La découverte, 1999) -, le présentateur est une star du prompteur, etc. Illusion qui consiste à croire que des personnes habillées sont plus naturelles ou sincères que des personnes nues. Naked News renverse cette manière de voir.

Les signes ostentatoires de légitimité sont inversés, par rapport au modèle classique (même si l’équation « vérité = nudité » est elle-même déterminée), de telle sorte que le spectateur perçoit directement la nature spectaculaire de l’information. Mouvement dialectique donc, saisie de l’essence du divertissement qui est le genre dans lequel tombe l’information, par la diversion qu’est la nudité. L’opinion selon laquelle l’information est de nature différente du divertissement, et même son opposé, ne résiste alors pas à l’examen proprement libératoire de l’expérience Naked News. Dévoilement de l’essence de l’information qui est en même temps saisie de ma liberté ; et de quitter la caverne si possible...

Les avis de la profession ou de la défense catégorielle

Mon dieu, elle est nue !

Cependant, une certaine Eliza Gano, sur le site « Online Journalisme » de l’université de Californie du Sud, semble très choquée : « J’ai vraiment essayé d’écouter, et de regarder, une émission complète. Vraiment. Mais j’ai été un peu choquée quand la caméra a reculé et montré la nudité frontale de la présentatrice sportive. Je me suis dit, "Mon dieu, elle est nue !" ». Arran Yarmie, dans le magazine « Thunderbird » consacré au journalisme, de l’université de Colombie britannique, se demande carrément s’il s’agit d’une évolution vers la pornographie.

L’érotisme n’est bien entendu pas totalement absent. Il y a bien d’ailleurs un souci esthétique : les présentatrices sont soigneusement épilées là où il faut, ou totalement rasées, les hommes sont bien dégagés derrières les oreilles, et présentent une avantageuse, quoique discrète, turgescence. Pour l’anecdote, une des présentatrices est apparue pendant les neufs mois de sa grossesse (on se souviendra du scandale provoqué par les photographies de l’actrice Demi Moore nue et enceinte) ; certains petits sujets sont tournés dans la rue (ce que les ricains nomment « flashing »). Ce qui nous éloigne du simple naturisme sauvage (le corps à l’état brut).

Sur cette question, la porte-parole du site, Kathy Pinckert, explique au site Acid Logic que « la nudité est à un certain niveau un choix vestimentaire, comme vous pourriez poster une jupe, ou une chemise et une cravate, ou un T-shirt et un short. Cela fait seulement partie de l’image et rien de plus ». La mauvaise foi est évidente, le télescopage entre l’information sérieuse et une nudité même peu sophistiquée produisant une charge érotique minimale. Lorsqu’il n’y avait pas encore de présentateurs masculins, 80% des visiteurs étaient des hommes. Mais justement, ce choc érotique confronté à l’information donne tout son intérêt à l’émission.

La météo à Paris
13°, des nuages et de la pluie.

Même pas journalistes !

Une critique sous-jacente commune aux différents articles consacrés à Naked News consiste à rappeler systématiquement que les présentateurs ne sont pas des journalistes. Ils se contentent de lire les informations rédigées par d’autres membres de l’équipe.

La BBC rappelle que Lucas Tyler était un conseiller en investissement dans une banque canadienne, Wired indique que Paul Fitzgerald était peintre en Floride et a tenu de petits rôles d’acteur à Hollywood, que Kitana Baker a travaillé pour une émission de la chaîne de Playboy, Night Call 411, etc. Tout, sauf des journalistes.

Ce qui permet à Samantha Shatzky, reporter d’informations nationales pour la CTV, d’asséner (sans rire) que « l’entraînement au journalisme est absolument impératif. Un homme-tronc peut faire un excellent présentateur, mais cela ne suffit pas. S’ils ne connaissent pas leur affaire, ça se voit et le public s’en rend compte ».

Exemple pratique de l’information la plus attendue : la météo. Depuis très longtemps, des « journalistes » ont supplanté les ingénieurs de Météo France à la télévision française (en Italie, ce sont les carabiniers). Journalistes qui aiment à utiliser le jargon de la météorologie (front froid, front chaud, anticyclone, cumolo-nimbus...) afin d’assoir la légitimité de leur discours. Et, c’est la moindre des choses, à se congratuler annuellement dans un « Festival international de Météo », forme qui mime la reconnaissance des pairs comme instance de validation dans le champ du savoir, auquel ils n’appartiennent pas. La jeune femme de Naked News vous donne le temps qu’il fera demain, elle sourie et elle est nue. Il est vraissemblable que le public se soucie peu de savoir si celle ou celui qui annonce « Paris, 13°C, demain nous fêterons les Mathilde » lorsqu’à l’écran s’affiche « Paris 13°C » possède ou non une carte de journaliste.

Eliza Gano enfonce le clou : ce qui compte, c’est l’information, pas le présentateur : « Voir la main de Peter Jennings ou le front de Tom Brokaw me suffit. Je ne m’intéresse pas à la personne qui me donne les informations - elle n’est pas le sujet. » La contradiction est évidente : on peut tout à la fois reprocher aux présentateurs déshabillés de Naked News d’être plus importants que l’information et citer les noms de journalistes vedettes, tout en prétendant que la personne n’a pas d’importance. Il va donc, à en croire Eliza Gano, falloir revoir à la baisse les salaires de Peter Jennings et Tom Brokaw, puisqu’ils n’ajoutent aucune valeur au produit information et ne contribuent en rien à la richesse de la chaîne. De plus, si l’on veut véritablement l’information brute, la consultation des dépêches d’agence en ligne suffit.

Autre tonalité, le magazine Time se fait provoquant, en expliquant que Naked News est « Sous-estimé : le site canadien Naked News offre la meilleure couverture de l’information internationale après la BBC ; la nudité est la cerise sur le gateau ».

Avec environ huit minutes d’informations internationales quotidiennes présentées à un rythme soutenu et sans interruptions (pas de sujets illustratifs), le site fait effectivement largement aussi bien que nos journaux télévisés. On remarque par exemple que le passage de Le Pen au deuxième tour des présidentielles françaises a été évoqué, avec une mention à la montée des droites extrêmes en Europe.

Jacques Chirac appelle les français à lui donner une majorité aux législatives
Attitude réellement professionnelle : une belle information qui n’intéresse personne.

Banaliser l’information

La critique la plus intéressante concerne le risque de banaliser l’information en la transformant en spectacle. Ainsi, Attan Yarmie : « La popularité mise à part, il y a des critiques évidentes à Naked News, la principale étant qu’il banalise les événements actuels et risque d’éloigner l’attention des spectateurs de sujets de société importants. »

La porte-parole de Naked News tente de faire croire (Acid Logic) qu’« on peut fournir une information avec dignité et classe avec ou sans vêtements. Nous partons simplement sur des bases totalement différentes, et ce que nous faisons, c’est attirer l’attention des gens. Un des aspects les plus sympathiques des mails que nous recevons proviennent de gens qui ne suivaient pas les informations, ou qui s’étaient détournés des news. [...] Et avec Naked News, ils s’y intéressent à nouveau. Au départ, c’est "je regarde pour voir", et ensuite ils s’y intéressent. »

Semblant confirmer cette idée, un certain monsieur Saliyi (« And now stay tuned for the latest nudes », Marc Warren, The Daily Telegraph), expert en fraude électorial, justifie son passage dans l’émission russe « La vérité nue », en prétendant qu’il essayait de briser le tabou des grands médias russes face aux problèmes de détournement de votes.

Sergei Moskvin, directeur de la chaîne moscovite M1, qui diffuse le show, est nettement moins faux-cul (ibid.). Il explique carrément qu’« une femme qui se déshabille et des informations sérieuses sont totalement incompatibles. Ensemble, cela donne de la comédie. Les spectateurs arrêtent d’écouter et restent la bouche ouverte. » Au moins c’est clair, celui-là sait ce qu’il vend.

Non seulement il y aurait un risque de banalisation, mais certaines informations particulièrement dramatiques rendraient la nudité moralement inacceptable. Un jeune homme présente Naked News sur le site StudentCanada : « La première fois que j’ai regardé le programme, j’ai été littéralement choqué lorsqu’une des présentatrices parlait d’un horrible accident d’un volcan en Amérique latine tout en enlevant son soutien-gorge ».

Réponse de la porte-parole : « Nous faisons attention aux informations sérieuses, ou aux informations dramatiques, ou à celles qui sont poignantes. Si cela fait partie des informations internationales, que Victoria Sinclair présente, elle peut garder ses vêtements. Lorsque le premier ministre Trudeau est mort - je sais qu’elle était une de ses grandes fans -, elle a présenté l’information en gardant ses vêtements. ». Porte-parole n’est certes pas un métier facile...

Nous y reviendrons : cette critique du risque de banalisation de l’information et sa transformation en spectacle ne constituent pas un « risque » ; c’est tout l’intérêt de l’affaire.

L’information nue se retourne contre l’information pas nue

La critique contre Naked News se retourne finalement contre l’information « noble ». Le pire de l’infotainment est-il en effet tellement plus mauvais que l’information normale ?

On constate par exemple que les journalistes qui critiquent Naked News ne se hasardent pas trop sur le terrain de la qualité de l’information diffusée. Ils insistent sur l’absence de compétences journalistiques des présentateurs, mais pas sur celle de ceux qui rédigent leurs textes ; ils critiquent le détournement d’attention, mais jamais ils ne disent que l’information est mauvaise (Time prétendant même le contraire).

Si l’on se contente d’écouter l’émission, et notamment la partie des informations internationales, elle se révèle aussi complète que les journaux télévisés normaux ou que les bulletins d’information de la radio. Huit minutes extrêmement denses sur un ton très professionnel. Objectivement, si l’on écoute l’information diffusée, on est largement aussi bien informé qu’en regardant la télé ou en écoutant la radio.

Et pourtant, c’est une information de très mauvaise qualité. Il s’agit ni plus ni moins que d’une compilation de dépêches d’agences. La lecture quotidienne des dépêches sur Yahoo vous en apprendra plus. Seul travail vaguement journalistique : le tri et le choix de ces dépêches, rien de plus. Sachant que ce copier-coller de dépêches représente l’essentiel du travail des journalistes dans les grands médias normaux, et plus particulièrement dans les médias audiovisuels, on ne s’étonnera pas de l’absence de cette critique à l’encontre de Naked News. Bref, des commentaires qui feignent de ne pas constater qu’il s’agit d’une information de la même qualité.

Du coup, la critique se focalise sur la banalisation due au mélange des genres. C’est réellement la critique importante face à l’infotainment. Un étudiant renvoit la critique journalistique dans ses cordes sur l’« Online Journalism Review » : « Il est plutôt difficile d’accuser Naked News de prostitution journalistique quand les journaux télévisés ont déjà mis leur propre intégrité en vente. Le réseau CBS et les stations locales consacrent une large partie de leur temps d’information au suivi du reality-show "Survivor en Australie" ; MSNBC fait souvent la promotion croisée de la prétendue analyse politique du Saturday Night Live et du monologue de Jay Leno ; et ABC hésite rarement à vanter la dernière offre Disney ». Si l’on veut devenir un dictateur célèbre, il vaut mieux éviter de massacrer ses opposants le jour de la finale de la coupe du monde...

À ce stade, l’existence de Naked News pose déjà une énigme intéressante : comment le critiquer sans désavouer tout ce qui, en fin de compte, constitue l’information audiovisuelle et une bonne partie de la presse ? La nudité est-elle un argument suffisant pour désavouer un tel programme ? Est-ce son aspect raccoleur et purement mercantile ? Est-ce réellement plus mauvais que les journaux télévisés et leurs centaines d’heures consacrées à l’insécurité ?

Extradition des slips
« La lecture du journal du matin est une sorte de prière matinale réaliste », Hegel, Aphorismes de l’époque de Iéna, n°31.

Du dernier obstacle

Mais il reste un obstacle que la critiques des médias n’arrive pas à franchir : elle repose sur l’idée :
- que l’existence d’un « bon » média est possible,
- que le suivi quotidien d’une « bonne » information est indispensable à la vie du citoyen (donc qu’un « bon » média est nécessaire).

La critique habituelle des médias porte donc sur les tares supposées par rapport à un média idéalisé, par rapport à une rigueur journalistique objectivée. Il s’agit donc de corriger un système médiatique en critiquant sa forme, non de l’abolir en critiquant son essence même [3].

Comme si le citoyen n’avait pas lui-même la possibilité d’être un média, c’est-à-dire sa propre source d’information, parce qu’il est témoin et analyste de certains événements qui lui sont très proches, et en tout cas infiniment plus proche que l’homme-tronc du vingt heures et tout son staff. Et ensuite d’organiser lui-même la diffusion de cette information.

Une bonne information de masse est-elle possible ?

La critique des médias de masse fait comme si de bons médias étaient non seulement souhaitables mais possibles sans changer leur nature.

Comme si l’information fournie par un système médiatique pouvait être autre chose qu’une marchandise. Comme l’écrit Jean Baudrillard (La société de consommation), « L’événement brut est échange : il n’est pas matériel d’échange. Il ne devient "consommable" que filtré, morcelé, réélaboré par toute une chaîne industrielle de production, les mass média, en produit fini, en matériel de signes finis et combinés - analogues aux objets finis des productions industrielles. [...] On "fabrique" un modèle en combinant des traits ou des éléments du réel, on leur fait "jouer" un événement, une structure ou une situation à venir, et on en tire des conclusions tactiques à partir desquelles on opère sur la réalité. [...] Dans les communications de masse, cette procédure prend force de réalité : celle-ci est abolie, volatilisée, au profit de cette néo-réalité du modèle matérialisée par le medium lui-même. » Baudrillard analyse alors la publicité, « un des points stratégiques de ce processus » : « Journalistes et publicitaires sont des opérateurs mythiques : ils mettent en scène, affabulent l’objet ou l’événement. Ils le "livrent réinterprété" - à la limite, ils le construisent délibérément. [...] On pourrait pousser plus loin l’analyse du discours publicitaire dans ce sens, mais aussi élargir cette analyse aux différents media modernes, pour voir que partout, selon une inversion radicale de la logique traditionnelle de la signification et de l’interprétation, fondée sur le vrai et le faux, c’est ici le mythe ou le modèle qui trouve son événement, selon une production de la parole désormais industrialisée au même titre que la production de biens matériels. »

L’ouvrage de Baudrillard, poursuivant dans cette logique, est consacré au « plus bel objet de consommation : le corps ». Ce qui renforce l’idée que la nudité associée au journalisme dans Naked News n’est pas une perversion de l’information, mais la manifestation de son essence même. Le corps est à la fois capital, et objet de consommation, fétiche (même si l’analyse de l’esthétique des mannequins n’est pas directement applicable aux modèles de Naked News).

On connaît l’aphorisme de Noam Chomsky. À la question d’un étudiant : « J’aimerais savoir comment au juste l’élite contrôle les médias ? », il répondit : « Comment l’élite contrôle-t-elle General Motors ? La question ne se pose pas. L’élite n’a pas à contrôler General Motors : cela lui appartient. » (cité par Serge Halimi, les nouveaux chiens de garde, p.32)

En tant que processus et enjeu industriel, l’information de masse n’est donc ni bonne ni mauvaise selon des critères d’objectivité journalistique, car là n’est pas son essence (d’où les discours incantatoires sur une déontonlogie jamais appliquée en France). L’information de masse ne cherche pas à témoigner des événements bruts, elle ne peut livrer que sa propre réinterprétation du monde (un mythe) selon ses propres intérêts ; c’est par définition un spectacle, ou un discours publicitaire, voire une propagande.

Il convient donc d’introduire une distinction entre l’information comme représentation médiatisée et la connaissance. Classiquement le premier obstacle à la connaissance, c’est l’opinion, c’est-à-dire le jugement non explicitiment fondé qui se présente comme une connaissance et qui est reçu sans problème par une large partie du corps social. Une véritable démarche de connaissance suppose autre chose que la réception de données déjà mises en forme par d’autres selon leurs finalités et leurs contraintes, les informations, mais la constitution critique de ces données. L’enjeu qui motive la critique du système médiatique est donc brièvement politique : une diffusion large de la connaissance qui doit permettre un jugement éclairé, parce que la vie politique repose sur l’isonomie et la participation de tous à la vie politique, la démocratie. Le rôle antinomique de l’information médiatique est alors de fournir un erzatz de connaissance : tant que je crois savoir (être informé), je ne désire pas savoir. Il ne s’agit pas seulement de la réception critique des informations (apprendre à critiquer les informations) mais bien plutôt d’apprendre à produire ses propres informations, en dehors et donc souvent contre le modèle médiatique existant (qui détermine la forme et le contenu des messages). Encore faut-il, à titre préalable, se défaire de l’emprise de ce modèle

L’information certifiée qualité française
« Marie, hotesse de l’air, est la grande gagnante du Bikini Casting ! », organisé par... TF1.

La vertu pédagogique (involontaire et contradictoire) de l’infotainment est, en adoptant aussi fidèlement que possible la forme et le fond de l’information médiatique, d’en faire apparaître l’aspect purement spectaculaire. Plus Naked News que les autres : là où la plupart des émissions d’infotainment retiennent la forme de l’information pour traiter du divertissement (le plateau de Exclusif, sur TF1, présenté par un couple reprenant les tics et le rythme des news américaines, pour présenter la vie des célébrités du spectacle), Naked News à l’inverse présente une information « sérieuse » en lui appliquant une forme délirante ; débarassée de l’habillage crédibilisant du JT, l’information « sérieuse » présentée apparaît pour ce qu’elle est (ce qu’elle reste), un spectacle. En effet, par rebond, pourquoi la même information, présentée par un PPDA habillé, ne serait-elle plus un spectacle, pourquoi le même fond présenté sous une autre forme deviendrait-il une connaissance objective ? Répondre à cette question, c’est se débarrasser de l’emprise de l’information.

L’auto-justification

Le deuxième présupposé médiatique constitue l’essentiel du message des médias : les médias sont importants et ce qu’ils vous disent est important pour vous. Les journalistes qui invitent des journalistes et des directeurs de journaux pour donner leur opinion éclairée le rappellent : quelqu’un de bien informé (et quoi de mieux informé qu’un patron de presse) a une opinion pertinente sur tout. Véritable polytechnicien des temps modernes, il est compétent dans tous les domaines, et en tout cas est capable de donner la parole à un spécialiste. Comment quelqu’un d’incompétent peut choisir un spécialiste est un autre mystère... (« Ayant jadis étudié la sagesse dans des livres traduits du grec, du chinois ou du sanscrit, j’ai un certain désavantage par rapport aux ignorants qui n’ont pris de leçons que dans les journaux sportifs ou les magazines de mode. Lorsque nous nous affrontons sur un sujet ardu, je suis intimidé par la conscience de mon insuffisance, ce qui freine mes emballements, quand eux, propulsés par le booster de leur ignorance, sont sûrs d’avoir trouvé avant même d’avoir cherché. [...] On voit que l’ignorance n’exclut pas la fermeté d’opinion. », Georges Picard, Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison.)

Lorsque Samantha Shatzky (ci-dessus) explique qu’il faut un vrai journaliste, et pas seulement un présenteur (sinon « le public s’en rend compte »), elle démontre en fait que celui qui énonce les informations a un rôle aussi important que les informations : de par la crédibilité qu’il incarne et qu’il monnaie, il signifie que ce qu’il va dire est important.

Toute la forme des médias et une bonne part de leur contenu consistent en leur autojustification. Non seulement, « c’est vrai parce qu’ils l’ont dit à la télé », mais surtout « c’est important parce que c’est dans le journal ». D’où, d’ailleurs, cette part énorme de l’« information », intitulée « la vie des médias » : les médias parlent des médias, affirmant fondamentalement l’importance de l’information médiatique.

Or rien n’est moins prouvé que (1) l’importance de l’information qu’on nous distille, (2) l’importance de l’information en soi. Le suivi quotidien de l’information médiatique a-t-il une réelle importance sur la vie des citoyens : le journal sert in fine à emballer le poisson sur les marchés, et la grand-messe du vingt heures permet d’avoir un sujet de conversation le lendemain autour de la machine à café... L’importance de l’information, et même d’une « bonne » information, n’est jamais démontrée : c’est un postulat indispensable sur lequel repose une énorme industrie, des centaines de milliers d’emplois et un ordre social (les contenus télévisuels comme lien de sociabilité universel). Baudrillard : « [La publicité] fait de l’objet un pseudo-événement qui vient définir l’événement réel de la vie quotidienne à travers l’adhésion du consommateur à son discours. On voit que le vrai et le faux sont ici insaisissables - tout comme dans les sondages électoraux, où l’on ne sait plus si le vote réel ne fait qu’entériner les sondages (et alors il n’est plus un événement réel, il n’est plus que le succédané des sondages qui, de modèles de simulation indiciels, sont devenus agents déterminants de la réalité) ou si ce sont les sondages qui reflètent l’opinion publique. Il y a là une relation inextricable. [...]
Et cette tautologie du discours, comme dans la parole magique, cherche à induire la répétition tautologique par l’événement. Le consommateur par son achat ne fera que consacrer l’événement du mythe. »

L’exemple du sondage

La distanciation face à l’information est donc quasi impossible, ou du moins très difficile, puisque elle est systématiquement fournie, par tautologie, avec la justification de sa propre importance (c’est important parce que c’est important). Consommer de l’information c’est avant tout consacrer au sens fort ce qui est consommé. Non pas consacrer comme l’on consacre ses loisirs à jouer à la pétanque par exemple (organiser son emploi du temps), mais plutôt établir un domaine comme sacré, l’établir comme lieu de culte. Ainsi des sondages, comme le montre Baudrillard : la simulation de la réalité devient la réalité représentée de telle sorte qu’il est impossible d’établir si la projection est la cause déterminante de ce qu’elle anticipe ou une simple projection aléatoire (la question de savoir si les sondages ont une influence sur le vote). En effet, si le sondage anticipe correctement, l’événement réel (le vote) est confirmation du modèle. Dans ce cas, affirme Baudrillard, l’événement réel perd de sa réalité, il n’est que succédané, répétition ou traduction attendue qui n’apporte rien (« c’est déjà joué »). De prévu par les sondages, l’événement disparaît médiatiquement car il n’a plus d’intérêt (d’une certaine manière, il a déjà été representé). Si l’événement ne se conforme pas à ce qui est attendu d’après les sondages, et bien médiatiquement, nous savons ce que cela donne : « La suprise », « le choc », « le séisme »...C’est-à-dire qu’au lieu de remettre en cause la validité du modèle et donc pratiquement les heures consacrées à la publication et commentaires des sondages, de dire que les prévisions sont erronées et qu’il faut donc revoir la place médiatique accordée au modèle, les journalistes s’étonnent de cette non-conformité, qu’ils jugent suprenante, voire incompréhensible (« les vraies raisons du vote machin »).

On a le droit alors à une nouvelle représentation de la réalité, où l’on va sommer les gens dans des reportages, sur une modalité plus ou moins moralisatrice (il est bien question de foi), de dire pourquoi ils n’ont pas voté comme prévu par les sondages (« vous êtes malheureux, c’est ça ? »). Non pas que cela soit intéressant en soi, ce n’est intéressant dans la logique médiatique que parce que l’événement réel (le vote) est en décalage avec l’événement prévu (le sondage). D’où ce qui fait un nouvel événement : le décalage, à son tour médiatisé et représenté. Or bien entendu, ce nouvel événement occulte par sa construction référentielle l’événement réel qui perd de sa réalité, quand bien même paradoxalement il occupe tout l’espace médiatique. Il ne s’agit pas de s’interroger réellement sur le sens du vote mais de passer par les figures obligées du spectacle :
- ceux qui ont perdu les élections entonnent : « il faut nous interroger sur les raisons de notre défaite, et être à l’écoute de ce que nous ont dit les français » ;
- ceux qui ont gagné les élections entonnent : « c’est une marque formidable de confiance, et un espoir qu’ont voulu manifester les français dont nous sommes à l’écoute » ;
- ceux dont le métier est d’en parler en parlent tous ;
- les consommateurs achètent en masse ce type de produit.

D’où les sujets redondants qui vont déployer cette dramaturgie jusqu’au prochain scrutin. Comme le dit Baudrillard, ce ne sont pas les critères du vrai et du faux qui ont cours, mais ceux de l’oeuvre d’art, ici de la mise en scène (« allez voter » = « venez nombreux à ce spectacle »). Le mieux est bien-sûr la participation du public.

Ainsi il y a plus, quand le décalage médiatisé va à son tour produire des événements réels, par exemple des manifestations. Parce que désigné médiatiquement comme important, le décalage entre le sondage et le résultat de l’élection est reçu comme un événement réellement nouveau auquel il convient de répondre sur le terrain, non plus du système médiatique, mais dans celui de la vie quotidienne. Il faut alors se « mobiliser » contre le résultat des élections, voire en réclamer l’abolition dans la rue ; et des individus se mobilisent alors en toute bonne foi, et en tant que démocrates réclament l’annulation du scrutin. Ce qui donne lieu à son tour à un traitement médiatique (les images de la mobilisation), qui fournit de la réalité aux manifestations dans la rue. Système de feed-back qui donne son unité à l’ensemble. A aucun moment de cette logique spectaculaire ne seront traitées les questions pratiques que le vote, en tant que modalité d’organisation de la vie politique, avaient pourtant fait surgir.

Tant que demeure l’idée d’une « bonne » information (le journalisme rigoureux), d’une non-information (le divertissement ou l’entertainment) et de la « mauvaise » information (l’infotainment), on manque totalement la nature du modèle médiatique, qui a un intérêt fonctionnel au maintien de ces distinctions. Y compris dans les faux débats du type : « avons-nous accordé trop d’importance à tel sujet », « le traitement médiatique de tel sujet a-t-il eu des conséquences sur la perception des gens et donc sur l’organisation réelle de leurs rapports ? ». Les réponses sont là-aussi déjà connues : « nous oeuvrons avec professionnalisme sur les sujets qui intéressent les gens ».

Or Naked News peut être l’un des instruments involontaire d’une sortie du modèle médiatique : un site par lequel les utilisateurs font l’expérience inattendue de l’inutilité de l’information quotidienne. En effet, de par son aspect érotique, il est impossible, même en se concentrant, de ne pas penser, comme Eliza Gano, « Mon dieu, elle est nue ! ». La distance à l’information est imposée par le dispositif. Voyez l’image de Chirac serrant des mains, avec au premier plan une grande fille aux seins un peu tombants... elle peut bien nous expliquer que Chirac appelle à voter utile, contre la cohabitation, qui peut bien croire que cela a la moindre importance ?

Le visiteur qui vient pour les corps nus, somme toute plutôt tristes, se rend compte que l’information n’est pas plus nulle qu’ailleurs (alors, tant qu’à rentabiliser son abonnement, autant continuer à « être informé » par ce biais), et, vu l’éloignement imposé par la nudité des présentateurs, se rend compte que même cette information « sérieuse » n’a finalement qu’un intérêt très limité : par l’adoption du code formel décalé qu’est la nudité, et l’absence des codes habituels des médias « sérieux » (autojustification et crédibilisation), l’information apparaît pour ce qu’elle est fondamentalement : une recréation mythifée et autoréférérencielle du monde, enrobée d’un emballage stéréotypé crédibilisant... bref, une forme fadasse du divertissement publicitaire.

 

[1Lire à ce propos Le nudisme révolutionnaire de E. Armand

[2A titre d’exception, en France, citons Projet X de Fred Coppula où la fabrication du film ainsi qu’une critique formelle du genre pornographique sont le sujet du film

[3Lire à ce propos « Le credo médiatique fin de siècle » de Hakim Bey

 
 
Lirresponsable et ARNO*
 

Prochainement, nous étudierons la relecture de la médecine de Galien chez Michel Foucault appliquée aux Smooth and Cut Naturists.

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Vainqueur 1982 du concours « Chateau de sable » du Club Mickey des Pingouins à Sainte-Cécile.

28 septembre 2003
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Samizdat (Communique à Gênes)
24 juin 2002, message de ARNO*
 

Élément de réflexion, extraits du texte « Communiquer à Gênes, communiquer Gênes », de Samizdat :

- « 1. La nécessité de dépasser à la fois la logique de la "contre-information" et celle du "journalisme indépendant" : nous de faisons de l’information tout court ! Ce qui nous différencie des médias ce n’est pas tant l’idéologie, ou la non-dépendance vis-à-vis des pouvoirs financiers, mais le fait de pratiquer la production d’information et de communication à l’intérieur même de la dynamique des situations dont nous parlons : le mouvement social.
- 2. La communication (en mouvement et dans le mouvement) est un moment de l’action collective, parmi d’autres : une de ces formes particulières sur un terrain spécifique, certes, mais en rien séparé. [...] »

Plus loin :

- « Un réseau de "correspondants" sur place (dont le nombre est variable). Ce sont pour l’essentiel des acteurs du mouvement qui font office de "correspondants" en faisant le récit (subjectif) de ce qu’ils font, de ce qu’ils voient, de ce qu’ils vivent.
- Une "cellule" entièrement disponible pour la publication en ligne. Un usage intensif du téléphone mobile (et parfois de l’email) permettant une diffusion de l’information sur le web, mais aussi les listes de diffusion électronique. À chaque de cette partie du dispositif de recouper autant que faire se peut les informations, de les compléter par diverses sources - permanentes ou occasionnelles - et de les mettre en forme.

Rien de très original au premier abord, notamment par rapport au fonctionnement de la presse mainstream. Avec toutefois une spécificité qui fait l’originalité et la différence de ce dispositif. Il s’agit clairement d’un fonctionnement affinitaire, qui, malgré ses limites, permet de refléter la diversité de points de vue, de sensibilités au sein du mouvement. [...] Le travail d’information n’est plus alors ni « extérieur » à l’événement, ni à « sens unique » comme dans le rapport médiatique. Nous « profitons » du travail réalisé sur le terrain par la qualité des informations que l’on retrouve sur le web et/ou les listes de diffusion, les « correspondants » bénéficient de la centralisation des informations opérées par les « permanents », les seconds redistribuant l’information aux premiers sur ce qui se passe sur place. [...] »

 
en ligne : Samizdat
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> Info pourrie > pas d’info du tout
20 juin 2002, message de Girafe
 

Si j’ai bien tout compris, L’information est un spectacle, c’est à dire
- c’est un produit commercial qui rapporte
- l’argument de vente est un argument d’autorité (il faut être informé, se être au courant de l’info, entendre les analyses des spécialistes..)
- en réalité l’importance du fait d’être informé et la pertinence de la hiérarchie de l’information ne sont pas prouvés
- il s’agit donc surtout d’une forme de hold up réalisé à l’encontre des braves gens dont l’esprit est manipulé par les mass medias, conditionné pour entendre les spots de pub avant le journal, et les spécialistes exposant leurs recherches prouvant l’innocuité des portables... sur bouygues tv

A mon sens, l’idée de développement d’une stratégie commerciale tendant à présenter comme une nécessité le fait de s’informer ne fait aucun doute.
Mais peut on jeter le bébé avec l’eau du bain ? Dire que l’information est un spectacle, en dénnoncer les dérives certes nombreuses, celà aboutit il à dire que l’intérêt de l’information est nul ?

Pourtant, l’idée de quatrième pouvoir est bien réel. La presse en général, et les mass medias par leur poids en particulier ont historiquement constitué un relai de poids pour la diffusion d’informations dont la connaissance par le plus grand nombre a un effet sur l’organisation de la société, et le cours des événements ; ainsi que d’informations pratiques pour la vie de tous les jours.

chiracgate, dumasgate, watergate ? diffusion d’informations sur les bouchons / météo ? information sur la prévention du sida / de la pédophilie ?

Je vous laisse poursuivre la liste.

Bien sur, on regrette que bien souvent cette information ait un format déplorable (larmoyant sur le sida, technocon sur la météo...).

Bien sur, on regrette que bien souvent, le fait d’être informé ne change rien (Israel, chiracgate..)

Bien sur, ce monde est loin d’être parfait. Et bien sûr, fabriquer son information avec internet c’est mieux, et quand on a commencé, on se passe bien des mass medias.

Mais aujourd’hui, pour le plus grand nombre, c’est les mass medias, ou rien.

Et dans ce cadre, à mon sens, l’info diffusée par ces medias, avec son aspect commercial, ses codes de déontologie bidon, ses reportages à deux balles et son accent sur le spectaculaire, ses points de vues déformés, ses présentateurs puants et hautains.. joue tout de même un rôle important et positif dans la régulation de pas mal de phénomènes régulatoires au sein de notre société.

 
en ligne : girafe-info
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> Info pourrie > pas d’info du tout, Sam, 21 juin 2002

Sans vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain, j’ai le sentiment que l’information-sic _télé_ , du moins en France et depuis le grand Charlot a davantage été un instrument de manipulation - et d’abrutissement - qu’autre chose. Quant au quatrième pouvoir, il me semble que la presse, et la radio si vous voulez, font largement et beaucoup mieux l’affaire.

Répondre
> Info pourrie > pas d’info du tout, paupol, 21 juin 2002

c’est meilleur qualitativement, quand à toucher le plus grand nombre, aujourd’hui, y’a que la tv...

Répondre
> Info pourrie > pas d’info du tout, Sam, 23 juin 2002

... ainsi que le bruit, les bagnoles, le Ricard (tm), l’air pourri, le football, les scoubidoux (choux, cailloux, bizoux, genoux), le hula hop, les pokemon, etc., mais stictement, ce ne sont pas des moyens d’information.

Répondre
> soyons pointus ou ne soyons pas, Jedi , 24 juin 2002

Pour info™ : les scoubiboux et le hula hop, ça existe plus ... t’as pas la télé ou quoi ? ;o)

Répondre
> soyons pointus ou ne soyons pas, #, 24 juin 2002

Tu deconnes ?! Le hula-hop c’est super actuel de maintenant, et les scoubidous sont prévus pour 2004. Tu vas jamais en banlieue, ou quoi ?

Répondre
> soyons pointus ou ne soyons pas, Sam, 24 juin 2002

Enfin, un gars au jus !

Rappelons que, contrairement à ce que pensait ce sot d’Héraclite, le truc est circulaire et que ça revient toujours ; suffit d’attendre.

Personnellement, je m’entraine quotidiennement pour le retour des pattes d’eff et tente de conserver quelques ultimes capillaires pour m’en faire une belle banane de roqueur années 50 dès que M6 nous enverra le signal requis, tout en baptisant ma fille Germaine (destiné à remplacer Pamela et Sue Elen dès 2025).

Etc.

Répondre
> soyons pointus ou ne soyons pas, Jedi contre attaque, 24 juin 2002

" tout en baptisant ma fille Germaine (destiné à remplacer Pamela et Sue Elen dès 2025). "

> Alors ça, c’est fort ... tu te moques des masses laborieuses qui donnent des prénoms de personnages de séries US à leurs enfants. Un tel mépris est indigne, choquant et limite "petit-bourgeois" ;o)

Répondre
> soyons pointus ou ne soyons pas, Jedi, 24 juin 2002

Ben non, moi les jeunes™ et la banlieue™ c’est trop éloigné de mon terrain d’action révolutionnaire (le siège où je pose mon gros cul pour faire mumuse sur le clavier) ....

Répondre


> L’Internationale Situnaturiste
14 juin 2002, message de David TB.
 

Bonjour,

Je voudrais vous soumettre des remarques concernant cet article, mais j’avoue avoir des difficultés à être clair dans mes formulations, ca sera donc un peu brouillon...

La première contradiction de l’article m’est venue à l’esprit en lisant les messages. Pour me simplifier la tâche je vais me contenter de citer deux passages, l’un venant de l’article, l’autre d’une réponse donnée par un des auteurs à un message :

"Comme si le citoyen n’avait pas lui-même la possibilité d’être un média, c’est-à-dire sa propre source d’information, parce qu’il est témoin et analyste de certains événements qui lui sont très proches, et en tout cas infiniment plus proche que l’homme-tronc du vingt heures et tout son staff. Et ensuite d’organiser lui-même la diffusion de cette information."

"Surtout, nous ne considérons pas uZine comme un média."

Si vous êtes vous-même un média, comment expliquez-vous que votre production web, uZine, ne soit pas de nature médiatique ? comment nous faire croire qu’une boulangerie ne fabrique pas du pain ? bon ca tombe bien je me suis déjà fabriqué une réponse : uZine serait un néomédia, et la nature de ce néomédia s’inscrit en opposition de l’orthodoxie médiatique. Ce qui m’amène à ma deuxième remarque qui, pas de chance pour vous, est aussi une contradiction.

Parmi les figures tutélaires de cet article, je retiens Debord et Baudrillard (de toute façon j’en vois pas d’autres). Bon Debord je l’ai pas encore vraiment lu mais j’ai une vague idée de sa théorie de la société du spectacle, de l’information en tant que divertissement, en tant que spectacle. Il me semble que l’on pourrait croiser sa théorie avec celle de Baudrillard sur la société de conso et l’ensemble colle bien avec votre article, je dirais que c’est un bon "globiboulga". Mais la contradiction de votre article c’est qu’en dénonçant les rouages du spectaculaire comme vous le faites, vous les utilisez aussi, transformant la critique d’un système en extension contestataire mais intégrée du système, torpillant par la même la crédibilité de l’analyse. En fait ça se joue à pas grand chose : la simple présence de six photos est à la base de ma réflexion. Vous avez pour suivre je ne sais quel impératif intégré ces clichés dans votre article, le transformant malgré vous en produit du système que vous critiquez, c’est-à-dire en information/réflexion divertissante, spectaculaire... Et vas-y que je te montre l’image de ce que je dénonce, voyez bien sa bite, ses seins qui tombent... pourquoi ? pour se divertir, s’émoustiller ?

Ce qui m’amène à conclure que cet article représente en fait ce que je comprend de la phrase de Debord quand il dit (je cite de mémoire le peu que j’ai lu de lui) : " ...dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.". Mais je pense que vous le savez bien et d’ailleurs vous y faîtes sans doute référence en parlant de "mauvaise foi assumée".

P.S : l’infotainment est donc un parfait pléonasme, en plus d’être un néologisme même pas de chez nous.

Répondre
> L’humour, on devrait jamais devoir l’expliquer ..., Rigolator, 14 juin 2002

"Vous avez pour suivre je ne sais quel impératif intégré ces clichés dans votre article, le transformant malgré vous en produit du système que vous critiquez"

> J’ai l’impression que la touche "déconne" t’échappe un peu ... les images ne font qu’illustrer l’article de façon légère à mon avis (regarde les commentaires sous ces photos, tu n’y décèles pas une pointe d’humour ? Hein ? Petit coquin !). Je peux me tromper ...

Répondre
> L’humour c’est pratique quand on veut pas s’expliquer ..., David TB, 14 juin 2002

J’ai l’impression que la touche "sérieuse" t’échappe un peu. Si tu es en train de me dire que cet article est une grosse farce, je veux bien te croire... si tu argumentes un minimum sans te tromper, petit coquin...

Répondre
> Hein ??, Rigolator, 14 juin 2002

Je parle ici de TOUCHE d’humour concernant les photos, pas d’une grosse farce générale ! Aucun argument ne peut expliquer l’aspect "comique/drôle/marrant/fun" des choses, désolé ...
Il me semblait pourtant évident que cet élément faisait partie intégrante de la plupart des articles (et c’est tant mieux !).
Bref, je n’ai aucune explication à cacher (ma seule contribution à cette page étant ce micro-débat).
Coquine va ... ;o)

Répondre
des deux contradictions (avec des citations de Debord), Lirresponsable, 14 juin 2002

salut,

Si vous êtes vous-même un média, comment expliquez-vous que votre production web, uZine, ne soit pas de nature médiatique ?

Bein tout dépend du concept de media que tu appliques pour classer l’objet (savoir si un site web est un média ; cf. ma réponse à l’intervenant anonyme). Tu as ainsi des sites web de nature médiatique (tf1.fr par exemple). Et un article d’un site web n’est pas tout le site qui n’est pas tout le web.

comment nous faire croire qu’une boulangerie ne fabrique pas du pain ?

La question, pour restituer le sens de l’analyse, est plutôt : es-tu une boulangerie parce que tu fabriques ton pain à la maison et que tu le partages (snif) lors d’un repas (tu sais avec tes vieux potes, Judas, Jean, etc.) ? :))

Autrement dit l’identité du produit (ou sa similitude quand le pain maison n’est pas bon) ne suppose pas l’identité des manières d’organiser la production et de la nature des échanges. Tu ne vas pas dire à tes invités : j’ai produit ce pain, vous me devez tant, z’êtes bien gentils mais la farine je l’ai pas gratos et vous savez combien ça coûte un four, etc.

Une boulangerie (artisanale) ne fabrique pas que du pain. D’ailleurs à un premier niveau, si on regarde les produits, on constate la présence de friandises, de viennoiseries, pâtisseries, parfois un peu d’épicerie pour le petit déjeuner (jus d’orange, confiture), etc. Pourquoi ? Sans doute à cause du CA et des bénéfices. (Tout comme un grand cinema vend plus de la confiserie que du cinéma). Donc paradoxalement, on pourrait dire qu’une boulangerie assure son existence économique en vendant autre chose que du pain (produit d’appel/produit sur lequel on réalise un bénéfice).

Mais au delà de la facilité à énumérer les produits (afin de montrer qu’un produit spécifique est déjà dans un ensemble de produits), la boulangerie produit une certaine forme de socialisation : par exemple les petits vieux qui achètent exprès leur pain à midi, et discutent ad nauseam de la cuisson souhaitée, et que finalement ils vont prendre une demi-baguette, et que madame Machin bein son mari il a des problèmes de santé, etc. Ce qu’en politique, on appelle le « commerce de proximité » qui « humanise l’espace urbain et le vivifie » et où « existe un espace inter-générationnelle de dialogues et de rencontres ». Cela produit aussi (cette consommation de pain) des écoles pour former les boulangers, etc.

Donc l’évidence de l’argument : la définition de la structure (la boulangerie) par le produit type (le pain), cette focalisation sur le lien par le type de produit (site web= média de masse, car infotainment) masque en gros la division sociale du travail et l’organisation économique. Et encore, je ne parle pas de la production industrielle du pain. :))

Mais la contradiction de votre article c’est qu’en dénonçant les rouages du spectaculaire comme vous le faites, vous les utilisez aussi,

Pour dire « non-A », tu utilises « A » et « non ». Un langage dialectique dans sa forme comme dans son contenu, comme disait l’autre.

transformant la critique d’un système en extension contestataire mais intégrée du système, torpillant par la même la crédibilité de l’analyse.

Là c’est autre chose : l’extension, l’intégration, le torpillage.
Le reproche évident : ils utilisent des photos pour illustrer mais en fait c’est pour strictement les mêmes motifs que ceux qui les produisent (en gros : le cul fait vendre, de l’audience, attire l’attention). Je suis d’accord avec toi : l’iconographie ou l’illustration sont parfois des prétextes ; par exemple : « Scandale : on trouve des photos de femmes nues sur Internet : notre sélection ». Là de quoi s’agit-il ? Pas d’une indignation morale hypocrite, pas de commerce. Reste donc l’effet visuel : cela attire l’oeil et parodie la recette commerciale (on écrit au début de l’article : « avec des photos de gens tous nus dedans et des citations de Baudrillard autour » ; et franchement sur Usenet, il y a des photos plus érotiques).

D’autre part, ces images conduisent justement à s’interroger sur la crédibilité de l’article. Illustration de la thèse, au delà du plaisir pris par les auteurs à les utiliser dans cet article. :)

malgré vous en produit du système que vous critiquez, c’est-à-dire en information/réflexion divertissante, spectaculaire...

En quoi cet article est intégré au Système ? Parce qu’il reprend des codes de communication au lieu d’utiliser des phrases numérotées ? Dans cet article, (qui n’est pas tout le web mondial, encore une fois :)), nous ne critiquons pas NakedNews en disant : « ouh le vilain infotainment ! ». Nous disons, en gros hein, qu’un exemple d’infotainment a une utilité pédagogique, il permet de se défaire d’une l’illusion : l’importance de l’information médiatique.

Autrement dit : il est la propre vérité de la contradiction globale. C’est une expérience à tenter bien-sûr, comme toute vraie épreuve spirituelle. :))

Si notre article a une vertu « informative » et reste « divertissant »,plaisant, tant mieux. Peut-on lui appliquer la notion de Spectacle ?

« 24 Le Spectacle est le discours ininterrompu que l’ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux. C’est l’auto-portrait du pouvoir à l’époque de sa gestion totalitaire des conditions d’existence. L’apparence fétichiste de pure objectivité dans les relations spectaculaires cache leur caractère de relation entre hommes et entre classes : une seconde nature paraît dominer notre environnement de ses lois fatales. »

Une autre citation :

« 200 C’est ainsi que Boorstin trouve pour cause des résultats qu’il dépeint la malheureuse rencontre, quasiment fortuite, d’un trop grand appareil technique de diffusion des images et d’une trop grande attirance des hommes de notre époque pour le pseudo-sensationnel. Ainsi le spectacle serait dû au fait que l’homme moderne serait trop spectateur. Boorstin ne comprend pas que la prolifération des "pseudo-événements" préfabriqués, qu’il dénonce, découle de ce simple fait que les hommes, dans la réalité massive de la vie sociale actuelle, ne vivent pas eux-mêmes les événements. C’est parce que l’histoire elle-même hante la société moderne comme un spectre, que l’on trouve de la pseudo-histoire construite à tous les niveaux de la consommation de la vie, pour préserver l’équilibre menancé de l’actuel temps gelé. »

D’où l’intérêt de construire soi-même ses histoires.

l’infotainment est donc un parfait pléonasme, en plus d’être un néologisme même pas de chez nous.

exact, tu vois que cet article est utile ! :))

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>d’accord en gros..., David TB, 17 juin 2002

Salut,

Bon ben je pense que nous sommes assez d’accord dans le fond, je vais pas revenir sur des détails, ce serait du chipotage. Je reste cependant d’avis que le site est un média (dans un sens bien différent de celui de « média de masse ») au même titre que toi et moi. Le média uZine produit donc une nouvelle forme de socialisation, démocratique en théorie par le vecteur qu’il utilise (ou en cours de démocratisation), élitiste dans la pratique par son contenu (et ça le restera). Par sa nature anti-commerciale, il s’inscrit en opposition du système économique libéral qui régit l’ensemble des médias, tout en s’y inscrivant car il n’aurait pu exister sans l’évolution économique qui a fait naître son support. J’ai cru alors y voir une contradiction mais c’était sans faire la distinction entre l’économie servante fidèle du développement humain et idéologie liberale où l’homme est le chien de l’économie.

"…tu vois que cet article est utile !"

Bien sûr.

PS : ah, à propos de Debord je vous donne mes sources, ça peut servir aux lecteurs de passage et aux autres :
http://library.nothingness.org/articles/SI/fr/

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Pas vraiment, Lefayot, 17 juin 2002

Un media c’est un canal de communication ni plus ni moins. Alors oui evidemment, uZine en est un. So what ? Qu’est ce qui ne l’est pas ?

De plus les woltonneries comme quoi uZine créerait de la socialité sont à mon avis un peu tirées par les cheveux ou alors il faut admettre que tout objet dont l’utilisation est commune crée de la socialité (un aspirateur, par exemple). En fait, si uZine crée eventuellement quelque chose ce sont des relations interindividuelles ou alors il faudrait m’expliquer les particularités de la socialité propre à uZine (et ça m’interesse à fond quand même).

En fait, et comme d’hab’, on inverse les termes : un media ne peut fonctionner/exister que parce qu’il y a de la socialité avant (et pas le contraire). En d’autres termes, faut savoir lire pour comprendre les articles d’uZine.

Quant à la logique anti-commerciale, elle n’est pas propre à Uzine, mais à des milliers de sites (qui seraient aussi autant de media ?).

Et a vrai dire, je ne suis pas bien sur que la difference se fasse entre site commercial/non-commercial, mais bien plutot dans le fait de se demander si l’info est « utile » en soi. C’est un des themes de l’article, sans quoi on retombe sans cesse dans l’aporie de la recherche/defense de la « bonne » info (i.e non commerciale).

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> Pas vraiment, Raoul2, 18 juin 2002

"Et a vrai dire, je ne suis pas bien sur
que la difference se fasse entre site
commercial/non-commercial, mais bien
plutot dans le fait de se demander si
l’info est « utile » en soi. "

La simple succession de dépêches d’agences de presse vous semble-t-elle pire qu’éventuellement inutile ? Bien plus que de savoir si l’info est utile en soi, je me pose bien plus la question de savoir si le fait qu’on mette quelque chose autour rajoute de l’utilité.

Lorsque, comme ici le cas, "l’actualité" n’est qu’un prétexte à un exposé, l’utilité sociale est la qualité de l’exposé : très loin des slogans réducteurs, un exposé laisse au lecteur la possibilité de construire son opinion, mais il ne se sert dans ce cas de l’actualité que comme alibi pour présenter sa cause (ce qui me semble naturel)

Il y a éventuellement un parallèle à faire avec la science-fiction : de nombreux auteurs de sceince-fictions s’pproprient un univers imaginaire de sorte à en faire le terrain dans lequel s’expose leur vision sociale ("Etoiles, garde à vous" de Heinlein me semblant un excellent exemple de cette technique).

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> information/code formel, David TB, 18 juin 2002

Salut,

Média : tout support de diffusion de l’information constituant à la fois un moyen d’expression et un intermédiaire transmettant un message à l’intention d’un groupe. (Larousse).

Socialisation : appropriation des moyens de production et d’échange par la collectivité. (Hachette).

Alors oui le terme média s’applique à uZine et pas à n’importe quoi d’autre (un tuyau d’arrosage comme canal de communication). Oui, uZine créé de la socialisation si l’on considère qu’uZine et un lieu où les personnes s’approprient le moyen (le Web) de produire et échanger de l’information, de l’interprétation. Maintenant je laisse à des gens plus compétents que moi le soin d’établir les modalités de socialisation particulière à des sites comme uZine.

Bien sûr qu’il y a une différence fondamental entre un média conventionnel qui fournit de l’info et de l ‘interprétation avec comme ligne d’horizon perpétuelle, la rentabilité – ce qui est propre à pratiquement toute entreprise aujourd’hui – et un média « socialisé ». Mais j’en reviens au débat initial.

Dans l’article d’Arno* et de Lirresponsable, on parle de la nudité comme « code formel décalé ». Ces termes me laissent perplexe… En quoi considèrent-ils que la nudité n’est pas une information en soi ? un code formel ou non n’est-il pas une information perçue, interprétée, et déterminant une réaction ? Les modalités, les codes de transmission de l’information sont eux-même de l’information. Le site NakedNews nous montre de façon évidente l’inutilité de l’information, et comme Raoul2 je me demande si ce n’est pas plutôt le code informationnel en lui-même qui est important. Ce code pour fonctionner doit adopter les formes du divertissement, ce qui est le cas de la nudité, que vous pouvez juger triste ou moche, quel importance ? d’autres la trouverons belle, joyeuse, qu’en sais-je ? vous allez quand même pas me faire croire que les spectateurs de NN reste sur le site pour rentabiliser leur abonnement ! C’est pour le cul qu’ils restent, c’est évident. Le cul fait vendre, le cul attire, le cul divertit même le cul mou, et s’il on peut continuer à baigner dans l’illusion informative (de façon consciente ou non)- celle qui donne l’impression de faire partie du système/monde ou d’en être un temoin éloigné, celle qui le justifie où le dénonce mollement voire faussement – tout en matant des gens à poils je pense que l’on peut y trouver son compte.

Les mélanges information/code informatif les plus saugrenus du type NN pourront voir le jour et être extrêmement rentables du moment qu’ils caresseront le spectateur dans le sens du poil.

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> Vraiment pas vraiment ?, Olivier Hammam, 10 mars 2006

L’indice réel qu’uZine n’est pas un média (ou médium ?) au sens où l’entend "David TB" est cette contribution : un médium se singularise par le fait que chacun de ses items est fermé, avec une extension finie, un moment de début et un moment de fin. Bien sûr, tout ou partie de chaque item peut (sauf disparition définitive de ses traces) être réinséré dans un nouveaux flux, mais d’une part ce ne sera pas le même item, de l’autre l’item original est (sinon en régime totalitaire) un objet qui ne se modifie pas. Ce n’est pas le même, serait-il reproduit in extenso, car il ne peut plus figurer que comme citation ou reproduction (« l’émission de J.-C. Averty de telle semaine », « le numéro de Libération de tel jour ») ; il est non modifiable parce justement, émission de telle semaine, numéro de tel jour. Cette contribution prouve par l’évidence que « la page “Les chiens de garde se retrouvent à poil” » a une extension infinie dans le temps et dans l’espace, que c’est un objet réel et non pas une « information », que c’est un objet vivant sans cette caractéristique de clôture de l’objet médiatique.

"David TB" semble ignorer (ou vouloir ignorer) que “média”, “médium”, a une triple acception et désigne à la fois un vecteur, une structure et une activité. Internet « est un médium » au sens où le téléphone « est un médium » : un appareillage technique permettant de diffuser des messages - un vecteur de communication - ; le web « est un média » au sens où la librairie (c.-à-d. l’ensemble technique, industriel et commercial permettant la diffusion de l’imprimé) « est un média » : une structure permettant de créer, stocker et diffuser « quelque chose » qui est « de l’information » au sens très basique de la théorie de l’information, « des messages mis en forme », “codés” ; enfin, comme dit "Lirresponsable", il y a « des sites web de nature médiatique (tf1.fr par exemple) » c.-à-d. des entités économiques ou/et politiques dont l’objet social est de « diffuser du contenu mis en forme » (“de l’information” au sens que ces « médias » donnent au mot) dans un but autre que de simplement émettre des messages (de « communiquer »).

D’évidence, c’est ce dernier type de médias dont parle "David TB". Or, d’une part désigner « média » ces entités est abusif, de l’autre rabattre toute communication à ces types de « médias » est illégitime. La holding TF1 ou la SA “La Vie-Le Monde” ne sont pas des médias mais des entreprises commerciales qui, entre autres activités, réalisent, achètent ou diffusent « du contenu », lequel peut être à-peu-près n’importe quoi (“information”, “divertissement”, publicité, petites annonces, “publi-reportage”, annonces légales) et a pour particularité d’être diffusé à travers des médias (librairie, télécoms, télé, radio, cinéma, disque). Mais elles ont bien d’autres activités qui n’ont rien de « médiatique ». Factuellement, en France il ne doit plus guère y avoir que Le Canard Enchaîné et Charlie Hebdo, et les radios (mais non les télés) publiques dont on peut dire « ce sont des médias » (au sens restreint d’« entreprises de médias »), dont l’unique activité est de « diffuser du contenu » via des médias.

Maintenant que voilà circonscrite cette question des médias, on peut dire qu’en aucun sens du terme uZine n’est un média (ou médium) : ce n’est ni un vecteur de message, ni une structure en état de diffuser des messages, ni enfin une entité économique ou politique « diffusant du contenu ». Et pour revenir au début de ma contribution, si même l’on devait considérer qu’uZine « diffuse du contenu », celui-ci ne correspond donc pas aux types de contenus que diffusent les médias-entreprises, puisque comme indiqué ce « contenu » n’est pas fixé une fois pour toute.

Une fois ce point établi, il en résulte que l’argumentaire général de "David TB", qui repose sur la considération qu’uZine est un média (mais attention ! Un gentil média « socialisé » et non un vilain média « capitaliste », c’est tout le distinguo...) tombe un peu à côté. Là-dessus, cette opposition entre médias « capitaliste » et « socialisés » sent son réchauffé, "David TB" devrait je crois se mettre à lire sérieusement Debord pour voir en quoi les vieilles catégories de la doxa marxiste version Lénine ont pris du plomb dans l’aile à l’heure de la société du spectacle. Et en quoi ce genre de « socialisation » n’est qu’une variante « non monétaire » de l’organisation sociale qui prépare et réalise une division « spectaculaire » de la société.

Il est d’ailleurs intéressant de voir - et l’exemple décortiqué par "Lirresponsable" de la « boulangerie [qui fabrique] du pain » le montre assez - que "David TB" articule son propos en ayant intégré la division du travail comme une donnée sociale fondamentale : qui produit du contenu et le diffuse « est » “médiateur” comme certains « sont » “garçons de café”. Pourtant, je suis presque certain que, ayant produit et mis en ligne son commentaire, "David TB" ne se considère pas “médiateur” pour cela. Or il ne l’est pas moins - et probalement, par son approche réductrice, l’est-il plus - que les auteurs du texte qui motiva sa contribution. Et en tous cas, selon sa logique même, écrivant « dans un média » il est “médiateur”. En fait, il me semble que "David TB" correspond à ce que décrit une contribution ultérieure (que je découvre d’ailleur être elle aussi due à "Lirresponsable") :

« Tu pourras remarquer par exemple sur les forums d’uZine que certains justement sont davantage dans une attitude de lecteur traditionnel (l’habitus du consommateur de presse :)) : au lieu de produire le contenu, ils attendent un contenu déjà produit et déterminé ; et quand ce dernier ne correspond pas à leurs attentes, ils sont déçus (c’est normal), critiquent les admins (c’est normal et le jeu), mais parfois critiquent la publication d’un article au lieu de l’article lui-même (un peu bizarre, y compris pour l’auteur de l’article) ».

Je suis à la limite de considérer que "David TB" critique en effet plus la publication de l’article que l’article même et en tout cas, sa forme plus que son contenu. Son plus grand problème dans l’histoire semble être la publication des photos illustrant l’article. Pourquoi ? Parce que c’est démotivé : si on « fait de l’information » il ne faut pas la mélanger avec « du divertissement ». Mais justement, dans le cadre de cet article le rapport entre « ce qui est autour » et « ce qui est dedans » est démotivé ; pour mieux dire les choses, il n’y a pas de rapport. D’où l’on peu en déduire que, à l’inverse de ce qu’il avance (en gros, que les auteurs « font de l’infotainement » alors même qu’ils le « dénoncent ») il ne s’agit pas d’infotaiment puisque, dans le cadre de l’information-spectacle, le rapport entre présentateurs nus et « information » est motivé : créer les conditions pour « faire de l’audience » indépendamment de ce qu’on (re)présente. Incidemment, je n’ai pas lu cette article comme une « critique de l’infotainement » (du « système [...]information/réflexion divertissante ») ; mais plutôt comme une élucidation du caractère spectaculaire (au sens ou Debord ou Baudrillard l’entendent)de l’information à la lumière de son évolution récente vers le divertissement - vers la forme « divertissement ». Sinon, le but général d’un JT n’est pas d’informer mais, comme toute émission de flux, de rassembler le maximum de spectateurs ; ici, ça ne peut se faire par le biais du contenu, tous les JT (y compris celui des « Guignols »...) diffusant à-peu-près le même programme, ni par le traitement des informations, tous (y compris celui des « Guignols »...) « formatant » assez semblablement les sujets « choisis », ni enfin par la dramaturgie générale, tous (y compris [etc.]) ayant à-peu-près la même. Reste « l’habillage » (ou le déshabillage) pour « faire la différence » et « gagner des parts de marché ».

En contraste, comme il est remarqué ailleurs dans cette page, cela ne concerne pas uZine, qui n’a pas de « concurrent » et ne fait de concurrence à rien ni personne, et n’a donc pas de motif à se distinguer d’un objet qui serait « sur son créneau ». Mais il y a les phatidiques fotos. Bon : je ne sais pas pour "David TB", mais pour moi, ce qui me fait arriver sur une page de ce site et y rester c’est plutôt le contenu que la forme - qui est d’ailleurs très pauvre et peu attractive ! Et si je ne m’attends pas à y trouver des photos de personnes nues, en même temps je ne suis pas plus surpris que ça d’en voir et je n’associe pas la chose à une quelconque volonté d’« attirer l’audience ». Pour que cela arrive, il faudrait que le site ait, ou bien conçu une politique globale de publication de photos de nus, ou bien fait sa notoriété sur le fait que dans ses pages on trouve de telles choses. Ce qui n’est pas le cas.

Avant de conclure, un petit commentaire sur ce passage :

« Alors oui le terme média s’applique à uZine et pas à n’importe quoi d’autre (un tuyau d’arrosage comme canal de communication). Oui, uZine créé de la socialisation si l’on considère qu’uZine et un lieu où les personnes s’approprient le moyen (le Web) de produire et échanger de l’information, de l’interprétation. Maintenant je laisse à des gens plus compétents que moi le soin d’établir les modalités de socialisation particulière à des sites comme uZine ».

Si on utilise « un tuyau d’arrosage comme canal de communication », c’est un média : qu’est le téléphone sinon une sorte de tuyau d’arrosage légèrement perfectionné pour communiquer ? Qui n’a dans son jeune temps fait son « médium maison » avec une ficelle et deux pots de yaourts ? Mais je voulais surtout parler de la suite : on y voit une tendance typique, celle de la personnification des objets : uZine ne « crée » rien, ce sont ses utilisateurs qui peuvent y créer quelque chose. Disons que "David TB" « voulait écrire » que les mainteneurs du site « créé[ent] de la socialisation » ; cela signifie donc qu’ils permettent l’« appropriation des moyens de production et d’échange par la collectivité ». Ou veut-il, bien qu’ayant donné cette définition, parler de l’autre acception, selon mon Petit Larousse illustré, le « processus par lequel l’enfant intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite) et s’intègre dans vie sociale » ? Cela me désobligerait, à mon âge, de me faire traiter d’enfant... Mais que ce soit l’un ou l’autre cas, encore une fois ça ne correspond pas au rôle d’uZine : s’il doit y avoir « appropriation des moyens de production et d’échange » elle se fera à un autre niveau, celui d’Internet même, par exemple en « socialisant » l’appareil physique de télécommunication (on appellerait ça les PTT, par exemple), en créant une entreprise d’État pour la fabrication des appareils de communication (on l’appellerait Honeywell-Bull, pour faire joli et exotique), en aidant à la diffusion de logiciels libres et de logiciels ouverts, etc. Ça ne signifie pas qu’il n’y ait ici où là sur ce site des articles qui vont dans ce sens, mais ça me semble au-delà des capacités d’uZine, en soi ou par ses animateurs, de faire une telle chose. Quant à l’autre acception, je ne crois pas que des voyous pornographes comme "ARNO*" et "Lefayot" puissent nous montrer la voie pour acquérir les « valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite » de notre belle société française...

Pour en finir, d’abord ce point : plusieurs interventions rappellent qu’un des projets d’uZine est d’inciter les passagers du site à « construire soi-même [leurs] histoires » et à « [devenir eux-mêmes leur] propre source d’information et de diffusion, de manière autonome. C-a-d [construire leur] information, grâce aux ressources du réseau ». Or, dans divers passages, dont le dernier cité, "David TB" montre qu’il réfléchit dans le cadre d’un modèle centralisateur, pour lui « uZine crée de la socialisation si l’on considère qu’uZine et un lieu où les personnes s’approprient le moyen (le Web) de produire et échanger de l’information ». Or, c’est en dehors d’Uzine qu’on « s’approprie le Web » : au mieux « s’appropriera »-t-on uZine, et autant qu’il me semble on ne s’y approprie rien sinon des matières à réflexion. Tant que "David TB" restera dans ce schéma (s’il y est encore quatre ans après), il risque fort de lui échapper l’évidence que « l’information » des médias de flux et des dépêches d’agences de presse n’est pas de l’information. Puis cet autre point ; "David TB" écrit :

« Dans l’article [...] on parle de la nudité comme “code formel décalé”. Ces termes me laissent perplexe... En quoi considèrent-ils que la nudité n’est pas une information en soi ? un code formel ou non n’est-il pas une information perçue, interprétée, et déterminant une réaction ? Les modalités, les codes de transmission de l’information sont eux-même de l’information ».

On voit ici que, comme pour “médias”, il semble ne pas se rendre compte que le mot “information” désigne deux réalités non recouvrables : le récit d’ordre fictionnel que les médias-entreprises de flux ou de presse tendent à nommer ainsi et les signaux « qui font message » et dont traitent la théorie de l’information et la sémiotique. Et oui, "David TB", « la nudité n’est pas une information en soi », et plus largement toute réalité observable « n’est pas une information en soi », bref, rien n’est information sinon ce que l’observateur décide de déterminer tel : dans un camp naturiste ou dans un village Jivaro du fin fond de l’Amazonie la nudité est une “non information” « en soi » car ne signalant rien de particulier, ni ne peut prendre une compréhension qui désignera la personne nue comme « donnant du sens » à sa nudité. Dans un film pornographique ou érotique la nudité n’a pas « un sens en soi » mais participe d’un ensemble de signaux qui par leur association « font sens », un sens qui ne sera pas le même que, par exemple, la nudité d’un groupe de conscrit pendant “les trois jours”, celle d’une équipe de rugby dans ses vestiaires, celle des athlètes dans une reconstitution de jeux antiques. Bref, la nudité n’est une information que en contexte, et sa valeur variera selon le contexte concerné. D’où l’on dira qu’en effet « un code formel » est « une information perçue, interprétée, et déterminant une réaction ». On dira plus : c’est la seule information pertinente dans l’appareil dramatique du JT. La seule dont on puisse dire qu’elle « donne un sens », celui justement “ce que vous voyez est un journal télévisé”. J’ai jeté un œil a NakedNews pour vérifier que « le code JT » était respecté. Et vraiment, il n’y a pas d’équivoque : c’est un JT.

Je conseille à "David TB" d’y aller voir pour constater ce paradoxe : après quelques brèves secondes où l’on s’attache à la singularité de ce JT, ce qui frappe est plutôt sa surdétermination « en tant que JT » qui, très vite, annule sa singularité ; en fait, la mise en scène “hyper-JT” est anti-érotique : elle est si agressivement démonstrative qu’elle perturbe l’agrément de la partie spectaculaire spécifique à NN. En un troisième temps, et comme le pointe l’article de cette page, le double appareil (et non pas « le simple appareil », comme on pourrait l’attendre d’un journal dénudé...), dramatisation « genre JT » et spectacularisation singularisante de ce JT, dénudent bien plus la mise en scène de l’information que le corps des présentatrices. De ce fait, on peut dire sans erreur que la nudité n’est ici qu’un « code formel décalé », et non une « information en soi » : ailleurs ce sera la fausse complicité (J.-P. Pernault), le pathos emphatique (D. Bilalian), le « professionalisme » version compassée et compatissante (P. Poivre d’Arvor) ou crispée et crispante (Christine Ockrent) ; ici c’est le style « plein de “peps” et d’enthousiasme » typique des new channels (CNN, FoxNews) avec le vague “plus” de la nudité, très vite estompé. Sauf en un point : le « code formel » est tellement « décalé » qu’il met en valeur, plus qu’un autre, l’appareil dramatique propre au genre JT. Qu’il le met en évidence en tant qu’appareil dramatique. Le slogan de la chaîne est « le programme qui n’a rien à cacher » (« the program with nothing to hide » ; or il apparaît plutôt comme « le programme qui n’a rien à montrer », ou plutôt, « le programme qui montre qu’il n’y a rien à montrer ». Des jeunes femmes plus ou moins dévêtues gesticulent sur fond d’images fixes en émettant les “Oh !” et les “Ah !” de circonstance en fonction de « l’information » (Oh ! La grippe aviaire menace... Ah ! Bill Gates a encore gagné quelques milliards... Oh ! Les “hackers” hackent... Ah ! Les oscars oscarisent... Oh ! Il pleut - ne sortez pas nus...). « The naked news », l’information dans toute sa nudité... De quoi parlait Eliza Gano en écrivant, « Je me suis dit, "Mon dieu, elle est nue !" » ? De la présentatrice ou de l’information ? Car le plus visible sur NN est bien l’obscénité de « l’information dans sa plus simple expression ».

Olivier Hammam

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Indépendance du service public
13 juin 2002, message de Nils Auperen
 

Légèrement décalé, mais ça vaut le coup de le citer.

Une entrevue de Michèle Cotta dans Le Monde, dans laquelle la directrice générale de France 2 assène sans sourciller : "Trop de publicité tue la liberté. En revanche, la publicité laisse une marge de manoeuvre par rapport au pouvoir, c’est un gage d’indépendance du service public."

"Baranniser" les hommes politiques et les patrons à la fois, c’est un art.

 
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Indépendance des sévices publics, Lirresponsable, 13 juin 2002

Légèrement décalé, mais ça vaut le coup de le citer.

Non, cela illustre l’importance de la vie des médias en tant qu’information. En plein dans l’article ! :))

"En revanche, la publicité laisse une marge de manoeuvre par rapport au pouvoir, c’est un gage d’indépendance du service public."

Ah, c’est toujours la légende dorée de l’indépendance face au (mystérieux) pouvoir qui sert, incroyable...C’est vrai que par pouvoir, on doit entendre : parlementaires élus par le peuple qui votent le budget...

"Le service public ne peut pas être pieds et poings liés à un financement étatique, cela me fait peur. Autant que je l’ai vécu, les pressions des annonceurs ont toujours été bien moindres que celle de l’Etat bailleur de fonds."

On se demande dans ces conditions, pourquoi une grande professionnelle (tm) comme elle ne demande pas la privatisation...Ah oui c’est vrai trop de publicité tue la liberté ; donc on est libre et indépendant quand on subit à la fois la pression des annonceurs et du pouvoir qui peut décider de supprimer la publicité ou de privatiser...Enfin elle part à la retraite, pensons à ceux qui restent :

« La légende de l’indépendance du journaliste est presque toujours servie avec le même prélude. Il était une fois en France, dans les années 60, un ministre de l’Information qui pouvait, de son bureau, sonner les responsables de la radio et de la télévision pour leur communiquer ses instructions. »

Il faudra envoyer à Florence Amalou et Bénédicte Mathieu (qui n’oublient pas de questionner la grande professionnelle (tm) sur la "télé-réalité"), la référence d’où est tirée la citation : Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Liber, 1997, p.13. Mais il est vrai que l’ouvrage est confidentiel et trop récent. :)

a+

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> L’Internationale Situnaturiste
13 juin 2002
 

Tout d’abord, merci pour cet excellent article.

Je me pose cependant une question. Vous dites :

"La critique des médias de masse fait comme si de
bons médias étaient non seulement souhaitables mais
possibles sans changer leur nature."

"Comme si l’information fournie par un système médiatique pouvait être autre chose qu’une marchandise."

En quoi pensez-vous éventuellement que la critique que vous faites n’est pas applicable au média sur lequel vous la publiez ? Qu’est-ce qu’un bon média ? Cela peut-il exister ?

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> L’Internationale Situnaturiste, ARNO*, 13 juin 2002

En quoi pensez-vous éventuellement que la critique que vous faites n’est pas applicable au média sur lequel vous la publiez ?

Evidemment, la question se pose.
Il peut y avoir plusieurs éléments de réponses :
- uZine n’est surtout pas un média de masse ;
- uZine n’est pas réalisé par des professionnels de la médiation ;
- uZine est hors du cadre marchand : tout ceux qui y participent le font bénévolement, il n’y a aucun revenu généré par le site, etc. ;
- il n’y a pas de concurrence entre uZine et d’autres supports : ce qui n’aurait pas sa place sur uZine est systématiquement publié sur d’autres sites (ce que nous encourageons souvent en conseillant à certains auteurs de proposer leurs textes sur d’autres sites).

Surtout, nous ne considérons pas uZine comme un média. Voir par exemple la présentation du site. Nous essayons d’en faire un lieu original qui n’est ni un simple newsgroup, ni un média, notamment parce que nous proposons à chacun de participer à la négociation des choix éditoriaux.

Mais après tout, pour ceux qui considèrent qu’uZine est un média (et on peut constater que de nombreux utilisateurs du site traitent uZine comme un média, notamment un support d’information à sens unique doté d’une médiation centralisée - voir le récent forum où l’on reproche à uZine de publier un article dont il ne partage pas les opinions), alors il est normal de lui appliquer les critiques exprimées dans cet article.

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> L’Internationale Situnaturiste, 13 juin 2002

Merci de votre réponse d’une rare franchise.

Avez-vous envisagé le fait que l’initiative "Uzine", toute modeste qu’elle soit, puisse finir par devenir malgré tout une référence ?

Je ne doute pas un instant du fait qu’Uzine restera hors du cadre marchand, mais cela ne l’empêchera nullement d’obtenir un lectorat conséquent, incluant d’ailleurs un public qui n’adhère philosophiquement pas au projet, mais accepte de lire l’opinion des autres, en considérant simplement que certains enjeux valent mieux que sa seule propre opinion. Tôt ou tard, la collision entre son public et celui d’autres médias existera, et des conflits apparaitront.

Comment Uzine pourrait-elle gérer l’hypothèse du succès ? N’y-a-t-il pas le risque permanent de devenir objet d’enjeux, risque sans cesse accru par le succès et le mouvement des hommes ? Peut-on éviter ce risque lorsqu’on communique ce qui est cher et dans lequel on s’investit vers un public qui dans un premier temps ne demande qu’à connaître et faire ses choix en écoutant tout ce que chacun peut avoir à dire ?

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> L’Internationale Situnaturiste, Lefayot, 13 juin 2002

Avez-vous envisagé le fait que l’initiative "Uzine", toute modeste qu’elle soit, puisse finir par devenir malgré tout une référence ?

Ce serait déjà le cas, depuis le temps que le site existe. Que ce puisse être une référence auprès de son lectorat habituel n’est pas excessivement inquiétant en soi. Qu’uZine devienne une référence au même titre que, disons, Le Monde est très improbable au vu des thématiques et surtout des positions adoptées pour traiter les dites thématiques.

De plus le problème actuellement est plutôt, non pas de gérer le succès, mais de pallier à une certaine desaffection au niveau des articles proposés (on est loin du succès franc et massif).

Tôt ou tard, la collision entre son public et celui d’autres médias existera, et des conflits apparaitront.

A vrai dire, de toute façon, uZine n’est pas un site « d’information », mais disons de reflexions et/ou de débats (et de mauvaise foi assumée aussi). Le site n’entre donc pas dans la problématique développée par l’article. Et puis, si les gens s’aperçoivent que les infos rapportées par leur media habituel sont fausses ou plutôt inexistantes, je ne vois pas bien où serait le problème.

Comment Uzine pourrait-elle gérer l’hypothèse du succès ?

On verra en temps utile, mais, je le repète, c’est fort improbable (ça depend aussi de ce qu’on entend par « succès »).

N’y-a-t-il pas le risque permanent de devenir objet d’enjeux, risque sans cesse accru par le succès et le mouvement des hommes ?

Oui, mais ce sont des enjeux minuscules, des polémiques circonscrites, des empoignades au sein d’un milieu restreint. Tout cela n’est pas bien sérieux, et tant que de l’argent n’est pas en jeu, il n’y a pas grand chose à craindre (le capital symbolique étant par définition symbolique).

Peut-on éviter ce risque lorsqu’on communique ce qui est cher et dans lequel on s’investit vers un public qui dans un premier temps ne demande qu’à connaître et faire ses choix en écoutant tout ce que chacun peut avoir à dire ?

Idéalement (et je me répète) uZine n’est PAS un site où un groupe restreint de gens (les admins) s’adresseraient à un public passif pour lui apporter la bonne parole et/ou la vérité. En pratique, c’est souvent le cas, mais c’est plutôt du fait d’un manque chronique de contributions externes.

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> L’Internationale Situnaturiste, 13 juin 2002

Merci à tous les trois de vos très intéressantes réponses. à tout hasard, je me risque à répondre sur quelques points sans trop élargir (même si vous êtes libres de prolonger).

"Moi-même, je, premier" lit souvent Uzine, y compris (surtout) les articles à fort taux de mauvaise foi, ne serait-ce que pour exercer mon esprit critique. Cela n’implique pas pour autant que je me sente capable (ou même désireux) de fournir des antithèses, surtout lorsque le taux de mauvaise foi est trop élevé. Les références à telle ou telle école de pensée réfutant l’approche de Popper rendent toute référence à une autre école stérile et s’investir autant que son contradicteur dans les détails d’une école de pensée à laquelle on n’adhère pas est bien trop difficile. Mais ceci n’enleve rien à l’intérêt que je porte à "consommer" Uzine.

"Je, moi-même premier" pourrais certes éventuellement contribuer comme tant d’autres, mais quel intérêt y aurait-il à intervenir dans -ce- lieu que j’estime utile, à provoquer d’inévitables (du fait de l’ouverture du site) polémiques de pedigree, alors qu’il existe tant d’autres lieux pour s’exprimer sans gêner ? à contrario, "je, moi-même premier" crois que toute appropriation réelle ou imaginaire provoque la désaffection du public qui la perçoit. Quoi de plus naturel que de chercher à préserver ce droit retrouvé au nomadisme intellectuel, objet (entre autres, si j’ose extrapoler) du débat initial ?

Quand au capital, il me semble qu’il y a bien des exemples de patrimoines essentiellement symboliques qu’on ne peut résumer à des capitaux, et qui font pourtant objet d’énormes enjeux sociaux, donc, fatalement, de conflits. Il est certain qu’on peut les circonscrire en restreignant la taille de l’enjeu que ce qu’on souhaite préserver représente.

Quand à savoir si le Web est ou non un media, je dirais simplement que les réseaux informatiques sont une de ces choses dont n’importe qui peut faire ce que bon lui semble : créer son serveur ne consiste guère qu’à figer un fragment dans un modèle qu’on est libre de définir et redéfinir sans pour autant remettre en cause ce que quiconque pourrait penser que les autres fragments soient. Mais j’avoue qu’effectivement, les efforts fournis pour favoriser -ici- un débat entre lecteurs et auteurs sont remarquables (et j’en profite).

Mais quand à devenir un média, oui, bien sûr, et ce d’autant plus qu’il n’y a nul besoin de posséder un serveur pour cela : il y a déjà tant de murs à graffiter (merci de me prêter le vôtre).

Quand au temps qui passe, si j’ai bonne mémoire, le lieu ne cesse d’évoluer ou de changer : la notion de "durée" n’a alors de sens que sous l’angle de l’expérience de ceux qui le font exister. Je ne vois pas en quoi à force d’évoluer il peut se prémunir du risque de réussir.

Avec mes meilleurs encouragements,

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Quel kiff ! , Lirresponsable, 13 juin 2002

[Bon avant de poster, je m’aperçois qu’Arno* a été plus rapide, donc excuse les redites]

Qu’est-ce qu’un bon média ?

Excellente question ami ! Que nous n’avons certes pas traitée dans cet article (en fait, il faudrait un article, voire une série). Il y a juste la petite note sur Hakim Bey qui lance la problématique ;(j’en profite au passage pour remercier celui qui a signalé la coquille sur le nom) . D’où la suivante que tu poses avec raison :

la critique que vous faites n’est pas applicable au média sur lequel vous la publiez ?

Toute la question, en fait, dans un premier temps est de savoir si le web est oui ou non un média ; ce que suppose l’accusation de circularité que tu mentionnes : si médias de masse = web (en tant que media), alors il n’y a pas de bons médias, donc il est impossible de dire ce que l’on dit. Il s’agit alors juste d’infotainment (bon la dimension déconnade n’est pas totalement absente de l’article non plus...). Après, se pose l’autre question de la médiation, c-a-d l’existence d’un intermédiaire entre le message et celui qui le reçoit : le médiateur.

Le premier niveau de distinction est bien-sûr dans la différence de nature. Le web n’est pas un média au même sens que les médias de masse. Pourquoi ? On a affaire d’un côté à un network, qui est une production industrielle (des capitaux, des chaînes de productions, des salariés, etc.) de l’autre côté, au minimum à un expression individuelle, en dehors de la production (page perso). Bien-sûr il existe des médias de masse en ligne (tf1.fr, lemonde.fr, etc.) et des médias "alternatifs" ou des réseaux.

Cependant, le web échappe en partie à la logique industrielle des médias de masse (tendance au monopole, car concurrence pour les annonceurs, audience) et à la fonction politique (fournir le fameux lien-social unifié ou le PPDM). A cause de la nature du Réseau : il n’y a pas une rareté des fréquences (comme pour les chaînes hertziennes) ou un coût prohibitif (satellites, imprimerie & distribution). Avec ces brèves données techniques et économiques, les sites web sont donc en juxtaposition, en liaison mais ils ajoutent de l’espace, ils agrandissent le Réseau. Cohabitation plus ou moins pacifique, mais en tout cas fonctionnant sur une modalité non exclusive : ce site par exemple n’empêche pas d’autres sites d’exister ou de se créer (au contraire ; on a même des fans qui font des pages sur nous :))).

D’autre part, un site web permet une réelle interactivité, c-a-d que l’émetteur et le récepteur du message sont en interaction directement, en quelque sorte à égalité, dans le sens d’absence de rapports hiérarchiques établis (horizontalité et caractère décentralisé du Réseau pour aller vite). C’est le cas d’exception sur un média de masse (allo SVP, le courrier des lecteurs) et sous une forme déterminée, et contraignante. Il y a même maintenant, un médiateur en plus, qui répond à des courriers sélectionnés (médiation sur la médiation). [Allez, je le sors comme cela on aura plein d’amis :)] Bourdieu montre très bien dans son petit opuscule jugé poujadiste (ou stalinien, parfois les deux) par les grands professionnels de la médiation, que la parole, dans les soi-disantes émissions de débats publics, est inégalitaire. A la fois la prise de parole spontanée ou non : ainsi il y a plus de chance qu’Alain Minc ou Dominique Wolton coupe la parole du présentateur ou d’un intervenant quelconque, non seulement parce qu’ils sont souvent invités mais aussi parce qu’ils en ont l’habitude et les moyens (participation au capital par exemple), dans son accueil par le présentateur (encore un sale médiateur !), par exemple Jean-Marie Cavada face à un syndicaliste ou face à un ancien ministre, etc.

Ici, sur ce forum, tu n’as pas ce genre de médiation : tu poses une série de questions aux auteurs de l’article, série qui n’est pas reléguée dans un coin caché et différé mais au même niveau que l’article (choix de mise en page), et un des auteurs te répond. Certes peut-être des conneries ; mais en plus d’autres vont pouvoir intervenir :). Il n’y a ici aucun impératif d’audience, de durée (dans le sens : vite une page de pub), etc.

On a donc plutôt ici le modèle d’un débat public, ouvert, d’échange d’opinions, de critiques ou d’informations (qui n’échappe pas pour autant aux travers habituels du débat). Bien-sûr, on peut dire qu’il est rendu possible par une médiation technique : ce webzine qui est bien un intermédiaire, fabriqué, entretenu, etc. qui lui-même suppose l’infrastructure.

D’où les deux reproches classiques :

- vous ne faites pas de l’information (sur le web) parce que vous n’en avez pas les moyens (nous, on peut juste envoyer Lefayot au Mexique :)), parce que vous êtes nuls (vous n’êtes pas des pros, mais des tarés mégalomanes nazis). Il y a des opinions, du réactif, de la critique des médias, mais pas d’informations comme les vrais pros.

- vous ne faites pas l’audience d’un média de masse donc c’est du résiduel qui confine à l’autisme, à la propagande, au sectaire, etc. Ou alors, du Arte en VF dirait Calvz pour être taquin.

Ces deux reproches disent vrai en un sens : (je choisis celui qui m’arrange comme tu l’auras remarqué :)) : nous ne sommes pas dans une logique capitaliste de production d’information-marchandise ; du moins directement : c’est gratuit et collaboratif, parce qu’on ne mange pas avec cette activité (du luxe quoi !). (On peut également objecter que les sites web gratuits fournissent du contenu pour les FAI). Et nous ne sommes pas un média généraliste qui a l’audience de TF1, libération, etc. Nous avons, comme d’autres, un outil qui permet autre chose : le Réseau.

Pour en revenir au médiateur, qui croit réellement que celui-ci ne fait que fournir une information qui serait déjà constituée, en soi, comme dans une course, un relayeur qui transmet sans le modifier un témoin ? Ou sur le mode technique de transmission d’un signal déjà clairement défini par un relais.

Au contraire : l’information est mise en forme de données. Et il y a production d’une "image du monde", l’élaboration d’une "actualité" : « voici aujourd’hui quels sont les faits marquants du jour », ou le « sachez encore que » de cette grande professionnelle (tm) qu’est Claire Chazal. « sachez encore que » prend l’apparence d’une objectivité : il faut savoir (soft impératif) qu’il s’est passé ceci, de la manière dont je vous le raconte, et avec tels termes (éclairage, construction, illustration), suivant telle logique de production et tel système d’intérêts.

En quoi cette construction est-elle supérieure, de meilleure qualité, plus informative que l’expression individuelle ou collective de particuliers suivant leurs propres motifs ? Parce qu’ils n’ont pas d’envoyés spéciaux en Afghanistan alors que Claire Chazal parle pachtoune dans le texte ?

C’est tout l’enjeu du Réseau. Tu connais le slogan : don’t hate the media, become a media. Devenir un média, cela ne veut pas dire adoptez le modèle médiatique existant (devenez TF1 ou Lemonde), mais devenez vous-mêmes votre propre source d’information et de diffusion, de manière autonome. C-a-d construisez votre information, grâce aux ressources du réseau (mise en commun, ce qui suppose la défense des normes), et votre actualité au sens fort :

- ce que vous voulez dire : publiez, créer des ML, webzines, etc. N’attendez pas une autorisation et une diffusion que de toute façon les médias de masse vous refuseront.

- ce que vous voulez que votre monde soit : ce processus d’affirmation est réel, et non pas basé sur une modalité totalement fictive de l’ordre du fantasme ; il transforme réellement votre vision du monde et son organisation par les pratiques elles-mêmes produites (échange gratuit, solidarité, haine tenace :), etc.). Vieille thèse marxiste : les rapports de production sont eux-mêmes produits. Il n’y a pas que le produit.

Par exemple (allez, on va se faire plaisir) : Linux ou Windows ne sont pas juste des OS. Est produite dans un cas une communauté dans l’autre des clients , sont produites des manières de produire (collaboration, échange, entraide), des normes (code disponible), etc.

Bien-sûr, certains objecteront que le logiciel libre n’est pas représentatif ou hors sujet. Un webzine, un site collaboratif ou un expace d’expression (forum, newsgroups, ML) ont d’autres difficultés. Tu pourras remarquer par exemple sur les forums d’uZine que certains justement sont davantage dans une attitude de lecteur traditionnel (l’habitus du consommateur de presse :)) : au lieu de produire le contenu, ils attendent un contenu déjà produit et déterminé ; et quand ce dernier ne correspond pas à leurs attentes, ils sont déçus (c’est normal), critiquent les admins (c’est normal et le jeu), mais parfois critiquent la publication d’un article au lieu de l’article lui-même (un peu bizarre, y compris pour l’auteur de l’article).

Cela peut-il exister ?

Y a-t-il une connaissance a priori du concept qui détermine ses conditions de possibilité et donc sa réalisation ? Je ne le crois pas puisqu’il relève du projet (horizon) et non du plan : production guidée par une conception finie préalable, souvent séparée (division du travail appliquée en politique). Si tu veux, la question a autant de sens que de demander : la démocratie peut-elle exister ? Tu peux produire des réfutations a priori (sans en faire l’expérience), mais que valent-elles ?

Ce travail critique qui examine les raisons est le bienvenu, mais il ne peut remplacer, ou alors à un certain prix, l’essai. :)

Pour reprendre la distinction de Castoriadis, dans le projet, les sujets définissent ce qui est à réaliser au fur et à mesure de l’expérimentation qui est réalisation (avec une dimension d’auto-correction). Il n’y a pas une notice technique (le plan) donnée une fois pour toute qu’il s’agit de suivre à la lettre, de la même manière que l’on reconstitue un puzzle (l’unité est déjà donnée, les pièces découpées). Ce qui caractérise un projet politique c’est justement l’ouverture de possibilités que l’on se donne. Il n’y a pas de billet de garantie, ni de charte de qualité donnée par un tiers de confiance. Non pas que cela soit n’importe quoi (des garanties) mais c’est aux agents de les produire, donc il faut qu’ils thématisent leur organisation.

Voilà en bref. :)

a+

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Tous egaux mais certain un peu plus, Olivier, 14 juin 2002

D’autre part, un site web permet une réelle interactivité, c-a-d que l’émetteur et le récepteur du message sont en interaction directement, en quelque sorte à égalité, dans le sens d’absence de rapports hiérarchiques établis (horizontalité et caractère décentralisé du Réseau pour aller vite).

Interactivite, l’un des termes fondateurs de l’ex-nouvelle economie.

Moi uZine je trouve ca tres interessant. J’y apprends des trucs, parfois meme je me marre. Seulement comment voulez-vous que quelqu’un qui ne sait meme pas qui est Bourdieu et qui ne peut alligner trois phrases sans faire 50 fautes se lance dans la publication d’un article (voir meme d’un message dans le forum) apres avoir lu ca ?

L’egalite c’est un joli concept qui reste quand meme un peu trop uthopique. Alors effectivement, a defaut de savoir ecrire, certains lecteurs doivent se contenter du role moins glorieux de consommateur de presse. Et pourtant, c’est pas l’envie qui manque.

De plus, le choix de fonctionnement meme du site (forums lies aux articles) implique que, pour entamer un debat il faut d’abord se fendre d’un article consequent et bien construit (sinon le debat a de fortes chances de se contenter de critiquer la forme au lieu de s’interesser au fond). Et comme ces debats ne sont accessibles qu’a travers les articles qu’ils commentent, l’ajout de nouveaux textes tue les debats precedents en diminuant fortement leur visibilite.

De mon point de vue, il est difficile de considerer uZine comme autre chose qu’un media classique, plus ouvert que les grands media commerciaux certe mais essentiellement anime par un groupe relativement ferme. Je dirais meme qu’il m’arrive d’avoir parfois l’impression qu’il n’est finalement aussi destine qu’a ce meme groupe (reseau).

Olivier

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de l’inégalité parmi les hommes, Lirresponsable, 14 juin 2002

Seulement comment voulez-vous que quelqu’un qui ne sait meme pas qui est Bourdieu et qui ne peut alligner trois phrases sans faire 50 fautes se lance dans la publication d’un article (voir meme d’un message dans le forum) apres avoir lu ca ?

C’est vrai : l’utilisation de références peut décourager le débutant, le lecteur, etc. Mais sur l’exemple, dans le message du forum, je parle de Sur la Télévision qui est quand même un ouvrage accessible au lecteur curieux, et je mentionne le nom de Bourdieu tout simplement parce que l’analyse n’est pas de moi (sur la prise de parole). Doit-on se priver de la mention de la source ? Je ne crois pas, mon présupposé est plutôt que le lecteur peut comprendre (ce que j’ai compris, restitué bien ou mal, etc.) : le lecteur qui connaît n’a pas de difficultés, le lecteur qui ne connaît pas : soit s’en fout et ne lit pas le message (ou pas tout), soit se dit : « mais de qui il parle ce connard ? Y’a pas de raison », et hop va lire du Bourdieu. En plus, la connaissance de l’oeuvre de Bourdieu dans ce cas n’est pas nécessaire pour suivre ce que j’écris puisque j’utilise des exemples.

Reste le cas que tu mentionnes : l’inhibition implicite, tue ; celui qui n’ose même pas poster parce que le signe « Boudieu » est présent dans un post...J’hésite maintenant :), mais Bourdieu face à ce problème (« la prise de parole des dominés » (tm)) se met à l’écoute ; vieux truc : il faut accoucher les âmes et utiliser dans ce sens, des signes d’acquiescement (« oui, oui », « mmm », etc.). Mais la forme est alors celle d’une série d’entretiens privés, reposant sur un dialogue.

Ensuite de manière plus générale, il n’y a pas sur ce site que des articles et des posts farcis de plus de citations que, cherchons un exemple...qu’un édito de P.Val. Voilà ! :))

Alors effectivement, a defaut de savoir ecrire, certains lecteurs doivent se contenter du role moins glorieux de consommateur de presse. Et pourtant, c’est pas l’envie qui manque.

« Savoir écrire » n’est pas inné. Qu’ils s’entraînent ici, ou ailleurs, bon sang et sabre de bois ! Là encore, ce n’est pas parce qu’on a peur d’avoir écrit un article refusé à la publication dans uZine qu’on ne peut pas avoir un site ou publier ailleurs, et surtout qu’il ne faut pas essayer ! Le rôle d’uZine est aussi de jouer à l’écriture collective : c’est pourquoi il y a des forums de validation. En soi, cela n’a rien de dramatique d’écrire un mauvais article et un bon article n’a d’ailleurs ni un besoin vital de citations, ni d’être publié sur uZine (faut arrêter le délire). Cela ne devient dramatique effectivement que lorsqu’on se prive d’essayer (ou que l’on ressent comme une atteinte à son intégrité un refus).

Si ça peut te rassurer au cas où : moi aussi j’écris des merdes (et en plus je les publie parfois !) :))

De plus, le choix de fonctionnement meme du site (forums lies aux articles) implique que, pour entamer un debat il faut d’abord se fendre d’un article consequent et bien construit

c’est vrai, il n’y a pas de chat. Cependant, il y a un forum interne ouvert à tous ceux qui prennent 30 secondes pour un avoir un login/pass.

a+

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Porno News
13 juin 2002, message de Olivier
 

Souvent quand je regarde le JT de TF1 sur le Net tard dans la nuit Francaise (en debut de soiree chez moi), les bandeaux publicitaires indissociables de ce journal serieux me ventent la qualite des videos Marc Dorcel.

PPD sponsorise par le porno, c’est pas vraiment plus serieux que l’AFP a poil...

Olivier

PS : ca n’est pas facile de ce concentrer sur la lecture de l’article quand une fille nue presente les infos...

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