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mardi 22 août 2000

Le jour où j’ai cru m’appeler Daniel Schneidermann...

par Marc Laimé

Intrigué par l’exploit de M. Daniel Schneidermann, dont Le Monde d’hier publiait le premier des 12 volets d’une « Série de l’été », intitulée « Les Folies d’Internet », étrange rappel du titre du dossier publié par le Canard Enchaîné en avril dernier, je ne doutais pourtant pas qu’après la troublante redite d’hier de l’excellente enquête réalisée par Pierre Lazuly, et successivement publiée dans Les Chroniques du Menteur, puis dans le Dossier du Canard précité, la lecture du Monde de ce jour, daté du mercredi 22 août 2000, n’apaise les inquiétudes suscitées par l’étrange impression que notre explorateur déontologue n’avait quelque peu légèrement plagié l’article que l’ami Lazuly avait consacré aux achats groupés...

Las. Stupéfaction ! Titré « Ivresse sur Boursorama », le second opus du distingué M. Schneidermann, sous-titré « Le jour où j’ai cru devenir millionnaire », nous narre cette fois les « Révélations d’un boursiconaute grisé par l’ivresse des sommets. » Fort bien. Notre éminent déontologue, qui a choisi de nous raconter par le menu les déconvenues d’un boursicoteur en ligne, nous explique donc avoir jeté son dévolu sur l’action d’une brillante start-up française dont il fait l’acquisition en 1999, dont l’ascension stratosphérique du cours le transporte aux sommets, avant de plonger impitoyablement. Jusqu’ici tout va bien.

Et quelle start-up me direz-vous aura élu M. Schneidermann ? Integra. Le bougre confesse que : « La femme aux bijoux est entrée dans ma vie, non point dans un bal à Meudon, mais par un article du Monde. Il était titré - de mémoire - "La petite française qui monte, qui monte". Elle se présenta, elle s’appelait Integra. » Admirable rime. Charmante litote : « de mémoire »... Vérification faite en effectuant des recherches au sein des 618 452 articles archivés par Le Monde depuis 1987, une recherche « Integra » nous offre « 67 articles correspondant à vos critères ». Dont nous extrayons effectivement en quelques secondes un article en date du 3 août 1999, titré « Integra, la valeur française de haute technologie qui flambe », signé de M. Christophe Jakubyszyn, et fort de 3 168 caractères. Il resterait à s’extasier sur la mémoire infaillible de notre homme, et à saluer l’exploit d’avoir su extraire des 618 452 articles archivés par Le Monde, la pépite qui allait lui permettre de rédiger son morceau de bravoure du jour...

Quelle prescience d’avoir choisi parmi les 23 start-up françaises s’étant introduites en bourse depuis un an, et dont les performances contrastées nous sont précisément narrées par l’incontournable Journal du Net, la perle qui permet à notre homme de boucler allegro son second opus ! Chapeau bas.

D’autant plus qu’une rapide (0,04 seconde) consultation du terrifiant Google, nous confirme que parmi les 217 000 occurences référencées pour « Integra », pas un seul article critique n’égratigne la belle, sujet du jour de l’éminent M. Schneidermann. Toutefois, toutefois, un chiffre aujourd’hui nous intrigue. Notre déontologue nous assure avoir « connu Integra à 8 euros. » Bien, bien. Seul ennui, introduite en bourse le 2 juin 1999, l’action Integra était offerte à 20 euros, avant de bondir à 26,5 euros le lendemain. Avant de s’envoler, etc, etc, voir la suite sous la plume de M. Schneidermann. Et voir le Journal du Net. Quand donc notre homme a-t-il pu connaître, acquérir, veiller jour et nuit ensuite aux fluctuations de son action chérie, qu’il assure avoir « connu à 8 euros » ? Mystère. Mystère auquel le Médiateur du Monde, auquel nous ne manquerons pas de poser la question répondra certainement. N’hésitez pas à faire de même, ami lecteur. Et pour tenter de résoudre ensemble ces mystères insondables, consultez aussi l’article ci-après, paru dans Les Dossiers du Canard Enchaîné d’avril dernier. À notre connaissance, et après moult éprouvantes recherches, le seul article critique qui aît jamais jusqu’à ce jour, et avant l’éminent M. Schneidermann, été consacré à Integra. Et à demain pour la suite de notre grand feuilleton de l’été en 12 épisodes : ARRÊT SUR PILLAGES...

Les choses étant ce caleçon...

L’article publié dans « La F@lie Internet », Les Dossiers du Canard Enchaîné, avril 2000.

Elle pèse plus de sept milliards de francs en Bourse. Quatre ans après sa création, Integra, prestataire Internet, est la coqueluche des investisseurs. L’entreprise a parfaitement intégré la stratégie de développement typique de la « nouvelle économie » : s’appuyer sur son cours de bourse pour racheter d’autres entreprises en les payant en actions. Ce qui augmente sa valeur et lui permet de poursuivre ses emplettes de plus belle. La rentabilité, comme souvent sur Internet, est un concept secondaire. Puisqu’on se tue à vous expliquer qu’il s’agit de prendre des parts de marché, que l’important est d’être le premier ! Son PDG, Philippe Guglielmetti, a dans une vie antérieure dirigé une société de caleçons ornés de personnages de BD. C’était avant l’explosion de la « nouvelle économie », et l’aventure s’est terminée par un dépôt de bilan. Éclatante revanche donc, saluée en janvier 2000 par des nuages d’encens dans un article dythirambique de « L’Essentiel du Management ». Le magazine rappelle brièvement les méthodes de cow-boys des premiers temps : Integra proposait aux clients de ses concurrents de réaliser les mêmes sites à vil prix. Sans préciser bien sûr que c’était parfois en « pompant » les pages déjà réalisées par lesdits concurrents, histoire de gagner du temps. [...] C’est par ce procédé expéditif qu’Integra a récupéré en 1996 le budget des hôtels Relais & Châteaux, en reprenant le site précédemment élaboré par un autre prestataire, Calvacom. Qui s’indigna de voir ses pages contrefaites... jusqu’aux fautes d’orthographe. De procès en contre-procès, les deux entreprises finirent par enterrer la hache de guerre. Mais ces peu élégantes méthodes n’ont pas valu que des amis au nouveau roi de la bourse. Pas plus qu’une gestion du personnel à l’américaine, où les virés sont priés de déguerpir séance tenante. Le préavis, c’est comme les 35 heures, ringard. Dommage que les prud’hommes restent le bastion du vieux monde, incapable de s’adapter aux merveilles de la « nouvelle économie ». [...] Des anciens de la maison soulignent que la description idyllique que dresse « l’Essentiel du Management » d’une société dont tous les employés bénéficieraient de stock-options est flatteuse, mais totalement fausse. Le même article, il est vrai, cite des témoignages de clients béats d’admiration, dont le très objectif journaliste Edmond Zucchelli. Grand manitou des activités Internet de France Télévision depuis février dernier, ce transfuge d’Europe 1 et du groupe Lagardère est particulièrement bien informé. Il a investi personnellement dans Integra dont sa femme dirige les ressources humaines. On peut tabler que leurs stock-options ne leur sont pas versées sous forme d’une cargaison de caleçons !

 
 
Marc Laimé
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Journaliste, coordinateur du dossier « La Folie de l’Internet » du Canard Enchaîné

29 août 2000
23 août 2000
 
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> Le jour où j’ai cru m’appeler Daniel Schneidermann...
12 octobre 2003, message de Litvack.
 

Auriez-vous la générosité de m’indiquer le mail de Daniel Schneidermann. Je souhaite lui demander
l’adresse de sa réponse à Bourdieu, à la suite de
son invitation, en 1996, je crois. Elle est introuvable pour moi. L’aurait-on fait disparaitre ?
Merci beaucoup !

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> Le jour où j’ai cru m’appeler Daniel Schneidermann..., 17 octobre 2003