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20 novembre 1999
 
samedi 20 novembre 1999

Imposer une déontologie des contenus

par ARNO*

L’aspect le plus inquiétant de la future autorité de régulation, c’est le fait qu’elle devra définir une « déontologie des contenus », un « code de bonne conduite ». Ces termes reviennent systématiquement dans toutes les déclarations des politiques et de Hervé Bourges.

Qu’est-ce qu’une déontologie des contenus ?

« Les principales règles déontologiques que les journalistes s’imposent ou devraient s’imposer partent de cette exigence : ne pas dénaturer l’information, ne rien affirmer qui n’ait été recoupé et vérifié, ne pas confondre les faits et leur interprétation, ne pas soumettre leur liberté d’expression à quelque pression que ce soit, politique, économique ou religieuse, ne pas manipuler la réalité. » (Hervé Bourges, 31èmes Assises de la presse francophone, Moncton, Nouveau Brunswick, 22 août 1999)

Tout cela est fort intéressant, mais il y a un piège. Vous aussi vous avez remarqué ? Nous ne sommes pas journalistes, et lorsque nous visitons les millions de pages créées par des amateurs passionnés, la déontologie du journalisme n’est pas le premier de nos soucis.

Si nous voulons inventer la réalité, dénaturer les faits, interpréter comme bon nous semble, faire du prosélytisme politique, causer religion, nous en avons bien le droit. Nous ne nous réclamons pas du journalisme, nous avons le droit de simplement donner notre opinion, faire de l’art, rêver et refaire le monde. Nous avons même le droit d’être très mauvais...

Certes nous apprécions la rigueur des journalistes sur l’internet comme ailleurs, mais nous allons aussi sur ce nouveau réseau pour échapper aux médiateurs, pour confronter directement les opinions des citoyens à travers le monde, creuser les questions qui n’intéressent pas les journalistes, contourner les censures, nous divertir sans passer par les professionnels de l’information-spectacle...

Le Web indépendant, le Web libre, c’est-à-dire l’essentiel du Web, mais aussi les forums et les listes de diffusion les plus diverses, c’est de l’expression directe. Cette expression des individus n’a pas à répondre à une quelconque déontologie (sauf au respect de la loi, bien sûr) : elle invente, elle rabâche, elle est intéressante, elle ennuie, elle dérange, elle pue le conformisme, que sais-je encore... Qu’est-ce que le « code de bonne conduite » d’une expression qui n’a d’autre justification que sa propre existence ? Quel jugement de valeur, quelle classification, quelle certification apposer à des sites qui partent, littéralement, dans tous les sens ?

Une « déontologie des contenus », appliquée à un expression toute neuve (le Web existe depuis moins de 10 ans, l’accès à l’Internet, la possibilité de créer des mise en pages présentables ne remontent qu’à, au mieux, trois ans), qui s’invente chaque jour, c’est figer un processus formidable. Ce renouveau de l’expression n’est pas seulement lié à l’évolution des techniques, mais surtout à l’appropriation, par les citoyens, de ce à quoi ils n’ont pas été formés, à quoi ils n’ont encore jamais eu librement accès, l’expression publique.

S’auto-publier, malgré la simplification des techniques de l’internet, n’est pas chose aisée. Chacun, plus ou moins, débute dans cette activité. On commet des erreurs, on cherche, on tâtonne, on s’approprie le média, on s’améliore. La déontologie, chacun se la construit en fonction de ce qu’il veut faire, de ce qu’il veut atteindre. Fixer par le haut une « déontologie des contenus », c’est casser cette dynamique d’apprentissage de l’expression, car à nouveau il faudra, avant même de commencer, passer par une école et apprendre des règles rigides.

Le citoyen, sur l’internet, ne produit pas un « service audiovisuel ». Il s’exprime. C’est simple et c’est beau. Et sauf à contrevenir aux quelques interdictions légales, tout est permis. La même logique que le pseudo-« vide juridique » s’applique ici : la loi ne définit pas ce qui est autorisé, elle définit ce qui est interdit. Une « déontologie des contenus », c’est très exactement définir ce qui est autorisé.

 
 
ARNO*
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Vainqueur 1982 du concours « Chateau de sable » du Club Mickey des Pingouins à Sainte-Cécile.

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