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Un, deux, trois, censure
 
vendredi 21 juin 2002

Micheline et le Consul

Le pot de fer contre le pot de terre
par Micheline Carrier
 
 

L’information permet de démasquer les abus de pouvoir et d’aider les personnes qui les subissent. Toute personne capable d’accéder à internet peut diffuser rapidement de l’information sur ces abus. On voudra donc contrôler étroitement ce réseau et les personnes qui s’y expriment. La résistance doit s’organiser.

Mme Micheline Deboudard, une résidente de Montréal, m’a écrit en février dernier : elle voulait de l’aide pour se défendre contre des abus commis à son endroit par son employeur, d’avril 2000 à juillet 2001, le Consulat général du Japon à Montréal.

Mme Deboudard nourrit plusieurs griefs contre ses anciens patrons. Tout d’abord, ils n’ont jamais accepté de lui remettre un contrat de travail écrit, ce qui leur permettait d’exiger d’elle des tâches sans rapport avec le travail de secrétariat administratif. Le Consul général adjoint de l’époque lui a fait subir du harcèlement psychologique et sexuel sans que le Consul général n’intervienne. En outre, on ne lui a pas versé la totalité du salaire convenu.

Cette femme, qui a travaillé treize ans pour l’UNESCO, a fait de vaines démarches auprès de nombreux organismes pendant et après son séjour au Consulat du Japon à Montréal. Pour toute réponse à ses griefs exprimés dans une lettre, le Consul général l’a congédiée la veille de son départ pour Paris, sa nouvelle affectation. Il l’a menacée de poursuites si elle parlait de son expérience, ce qui, selon lui, porterait atteinte à son honneur et à sa vie privée. Autant dire qu’il lui interdisait de se défendre.

Mme Deboudard a consulté des avocats recommandés par le Barreau du Québec dans l’espoir d’un règlement hors cour. Elle réclamait les sommes dues pour son travail, ainsi qu’une compensation raisonnable pour les préjudices causés par le harcèlement moral et sexuel : dépression, pertes financières, endettement, conséquences professionnelles à long terme d’un congédiement, etc. Les avocats ont abandonné le dossier après quelques semaines parce qu’ils ont subi, selon l’un d’entre eux, les pressions des procureurs du consulat.

Des mises en demeure aux hébergeurs

Après avoir pris connaissance de l’ensemble du dossier, j’ai proposé à Mme Deboudard de le publier sur mon site internet hébergé par Tripod Canada. Ce dossier était déjà public, mais je lui donnerais ainsi une audience plus vaste. J’ai invité les internautes à signer une lettre à l’attention du ministre des Affaires étrangères du Canada : devant les pressions publiques, pensais-je, le ministre exigerait peut-être un règlement équitable et rapide de cette affaire. Dès le départ, je n’ai pas caché mes intentions : j’ai écrit au ministre pour lui expliquer les motifs de mon intervention dans cette affaire.

J’ai également expédié aux administrateurs du site belge Libre-X un texte d’information sur le dossier. Libre-X m’avait demandé, quelques mois plus tôt, l’autorisation de reproduire des textes publiés sur mon site. J’ai pensé qu’un dossier semblable intéresserait les propriétaires de ce site.

Cependant, mes démarches n’ont pas fait long feu. Au début de mai, soit quelques semaines après la diffusion du dossier sur mon site, les procureurs du Consulat général du Japon à Montréal ont adressé des mises en demeure à Tripod Canada et à Libre-X : ils alléguaient contenait des propos diffamatoires et calomnieux dans le dossier Deboudard.

Libre-X a aussitôt bloqué le texte, comme on le lui demandait, se confondant en excuses et affirmant qu’il n’avait jamais voulu participer à ce « règlement de compte » et à « cette forme de diffamation ». Les administrateurs de Libre-X m’ont adressé copie de la lettre des procureurs et de leur réaction. J’ai répondu aussitôt. Mais ils disent ne pas avoir reçu mon courriel et en avoir découvert le contenu sur un site web qu’un correspondant leur a signalé.

Tripod Canada a mis 26 jours à répondre à mes demandes d’explication répétées. Cet hébergeur a pris lui aussi pour argent comptant les allégations du Consulat du Japon et m’a renvoyé aux Termes et conditions d’utilisation du site. À ce jour, Tripod Canada n’a pas précisé, comme je le lui ai demandé, à quels articles de ces Termes et conditions j’ai pu déroger.

À la fin de mai, le Consulat général du Japon à Montréal a cependant essuyé un échec auprès de Lycos-Europe qui a refusé de bloquer le site que j’y ai créé, il y a deux ans. Lycos-Europe m’a avisée de la requête du consulat à laquelle il n’a pas accédé parce que sa politique ne l’autorise pas à intervenir dans le contenu des sites hébergés. Fait à noter, le dossier de M. Deboudard à l’origine de cette censure ne se trouvait pas sur mon site Lycos-Europe. Seul un lien en page d’accueil référait à ce dossier.

Ni Mme Deboudard ni moi-même n’avons reçu de mise en demeure, ni un quelconque avis du consulat ou du ministère concernant la diffusion dossier. Si je recevais une lettre semblable à celle expédiée aux hébergeurs, je n’en tiendrais pas compte. Il ne suffit pas d’envoyer des lettres d’avocat pour démontrer qu’on a raison. Ce consulat n’avait même pas le droit d’adresser des mises en demeure à des hébergeurs étrangers au sujet d’un dossier qui concerne des citoyens canadiens. Les hébergeurs n’étaient pas tenus d’accepter les directives du Consulat du Japon à Montréal, en le faisant ils ont cédé à l’intimidation.

Pourquoi s’en être pris aux hébergeurs plutôt qu’à Mme Deboudard et moi-même ? Les procureurs du Consulat du Japon à Montréal savent que la Convention de Vienne sur les privilèges et immunités des diplomates n’autorise pas ces derniers à entreprendre des actions directes contre des citoyens du pays hôte. Ils doivent adresser d’éventuels griefs au ministère des Affaires étrangères de ce pays qui décide de l’attitude à adopter. Le plus souvent, ce ministère joue le rôle de conciliateur. On croyait sans doute nous effrayer et stopper définitivement la diffusion du dossier sur internet grâce à la collaboration bienveillante des hébergeurs.

Le Consulat et la Charte canadienne des droits et libertés

Je pense que le ministère ignorait tout des tentatives d’intimidation du Consulat du Japon auprès des hébergeurs avant que je lui en donne les preuves noir sur blanc. J’ai en effet écrit au ministre des Affaires étrangères du Canada, le 4 juin dernier, lui adressant copie des lettres des hébergeurs. J’ai demandé au ministre d’exiger du Consulat général du Japon :

ou bien, qu’il prouve ses allégations auprès d’une instance indépendante, Mme Deboudard étant prête à témoigner devant un tribunal, ce qu’on l’a jusqu’ici empêchée de faire par toute sorte de moyens.

ou bien, qu’il retire immédiatement ses mises en demeure auprès de Tripod.ca et de Libre-X.

S’il y a quelque chose de répréhensible dans ce satané dossier, ai-je dit au ministre, qu’on me le démontre hors de tout doute et je m’inclinerai. On devra m’expliquer pourquoi ce dossier comporte quelque chose de répréhensible seulement lorsqu’il est diffusé sur internet. N’importe qui peut le lire et en obtenir copie au greffe de la Cour supérieure du Québec, où il a été déposé.

À mon avis, le Consulat général du Japon à Montréal ne respecte pas la Charte canadienne des droits et libertés, dont l’article 2, paragraphe b) garantit nommément à tout citoyen canadien « les libertés de pensée, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ».

J’imagine, ai-je écrit aussi au ministre, que le Consulat général du Japon à Montréal connaît la Déclaration universelle des droits de l’Homme, dont le Canada est signataire, et qui spécifie : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » (Déclaration des Droits de l’Homme, décembre 1948, article 19, Assemblée générale de l’ONU).

Le ministre ne m’a pas encore répondu. Ma lettre, dont j’ai adressé copie à tous les partis d’opposition à Ottawa, ainsi qu’à une douzaine de médias, n’est peut-être pas étrangère au fait que le dossier Deboudard, déplacé vers un site sur Geocities, n’ait pas (encore ?) été à nouveau censuré. En attendant que le ministre se prononce sur ce cas, je n’ai pas à suivre les directives du Consulat du Japon à Montréal ni à obéir aux menaces qu’il m’adresse par hébergeurs interposés.

À l’origine, il s’agissait seulement d’aider une femme à défendre ses droits en lui proposant un espace sur mon site. Cette histoire a pris une tournure inattendue. Il s’agit désormais de défendre mes propres droits (liberté d’expression et de diffusion), en plus des droits de cette femme. Les enjeux de la résistance à cette censure sont importants. Pour moi d’abord, dont tous les sites soulèvent des questions politiques, mais aussi pour d’autres internautes qui pourraient éventuellement se retrouver dans une situation semblable.

Les abus de pouvoir se perpétuent parce qu’ils profitent du silence des victimes et des témoins. L’information permet de les démasquer, d’y mettre fin et de faire avancer la cause des droits. Toute personne capable d’accéder à internet peut faire connaître rapidement ces abus. On voudra donc contrôler étroitement ce réseau et les personnes qui s’y expriment. Il faut que la résistance s’organise dans ce domaine où la démocratie est menacée.

 
 
Micheline Carrier
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Journaliste à la retraite depuis quelques années, je m’intéresse beaucoup au réseau internet, à la défense des droits ainsi qu’à la politique en général.

 
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> Micheline et le Consul
24 août 2005
 

Dans le même et triste registre j’ai pu lire sur un site en construction :

L’ambassade du Japon à Berne accusée d’agression physique, de harcèlement, de discrimination, d’abus de pouvoir et de congédiement injustifié (dossier au service du protocole du Département fédéral des affaires étrangères en Suisse).

La victime d’origine suisse a travaillé comme secrétaire pendant 2 ans dans des conditions de travail inhumaines, proche de l’esclavagisme. Elle se plaint de ne pas avoir reçu toutes les sommes qui lui étaient dues, d’avoir été l’objet de harcèlement moral et sexuel, et d’avoir été licenciée sans motif tout en subissant une agression, quand elle a voulu se défendre contre les agissements illégaux de son ancien patron, le ministre de ladite ambassade, aujourd’hui en poste à Helsinki. (...) L’actuel ambassadeur du Japon à Berne ainsi qu’un premier secrétaire sont accusés de passivité. (...)

Entre temps tombée malade, la victime n’a reçu jusqu’à présent aucune aide utile de ses avocats, ni de la police, impuissante face à ce genre d’affaires. Quant aux organismes de défense des droits de l’homme en Suisse, ils ne traitent pas de cas individuels.

Décidément, c’est encore un diplomate japonais qui sous le couvert de l’immunité diplomatique transgresse en toute impunité les lois du pays hôte et cela sans aucun respect des droits humains les plus élémentaires.

Espérons que justice sera faite pour les victimes de ces abuseurs,

Lucien

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> Micheline et le Consul , silan, 1er mars 2006

Entre temps tombée malade, la victime n’a reçu jusqu’à présent aucune aide utile de ses avocats, ni de la police, impuissante face à ce genre d’affaires. Quant aux organismes de défense des droits de l’homme en Suisse, ils ne traitent pas de cas individuels

oui mais meme le pauvre et le perdu lui aussi n’a pas plus de chance et meme moins

 
en ligne : site internet
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> Micheline et le Consul
16 septembre 2004
 

Ce qui suit n’est pas en rapport direct avec le texte mentionné plus haut.
Il m’est arrivé - à peu de chose près - la même terrible mésaventure que Mme Deboudard. J’ai en effet travaillé pour une ambassade japonaise en Europe où j’ai vécu un véritable enfer. Avec l’aide d’avocats je suis sur le point de me battre même si mes chances sont très minces voire nulles. Mes plaintes à l’encontre de mon ancien employeur sont les mêmes que celles de Mme Deboudard. J’aimerais entrer en contact avec Mme Deboudard pour l’informer de mon cas. Est-ce que quelqu’un aurait l’amabilité de me faire parvenir son adresse e-mail ?
Merci d’avance.
Cordialement,
Roger
califochonet@yahoo.fr

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> Micheline et le Consul , jocelyne deboudard, 20 avril 2005

bonjour
j’ai consulté votre réponse sur "Micheline et le consul" pouvez-vous me dire si vous avez une adresse ou contacter micheline deboudard merci.

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> Micheline et le Consul , 22 avril 2005

Je regrette, je ne la connais pas (l’adresse). Peut-être aurez-vous de la chance en consultant l’internet ou l’annuaire téléphonique.

A quoi bon s’acharner face à plus fort que soi ? N’est-il pas plus préférable de croire en une justice de l’au-delà ?

Bonne chance.

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> Micheline et le Consul
7 septembre 2002, message de Micheline
 

Depuis la publication de cet article, un nouveau site est apparu en France qui reprend tout le dossier et propose aux internautes des moyens de soutenir le combat de Micheline Deboudard pour ses droits. Merci à uZine 3 d’avoir lancé le sujet.

 
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Micheline et le Consul , p, 7 septembre 2002

Voici l’adresse de ce nouveau site.

 
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> Micheline et le Consul
29 juin 2002, message de espionnage2008
 

Je ne comprend pas comment un avocat peut produire une mise en demeure ? Cela n’est-il pas le rôle d’un juge ?

Je n’ai que de faibles connaissances en droit mais si mon hébergeur agissait ainsi je le menacerais moi-même d’un dépôt de plainte !

Par ailleurs, avez-vous pensé à mettre le dossier sur freenet afin qu’il soit imblocable ?

 
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> Micheline et le Consul , 30 juin 2002

Bonjour,

Au Canada, un avocat peut adresser une mise en demeure à la demande de son client. Mais la personne qui la reçoit n’est pas tenue d’y répondre.

C’est différent de l’assignation à comparaître qui provient d’un juge ou d’un tribunal. Dans ce cas, on est obligé d’y répondre, c’est-à-dire de se présenter devant le tribunal.

Dans la situation qui nous occupe, une mise en demeure a été adressée sous forme de lettre d’avocat à des hébergeurs qui n’étaient pas du tout obligés d’obéir. Personnellement, je n’ai pas l’intention d’aller devant les tribunaux. Le ministère des Affaires étrangères du Canada peut intervenir, s’il le veut, en demandant au consulat de retirer ses mises en demeure.

Merci de votre commentaire.

M.C.

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> Micheline et le Consul
26 juin 2002, message de Sam
 

Votre sous-titre est, hélas, bien trouvé.

A en juger par l’évolution observée depuis le fameux "11 septembre", je doute que ça aille en s’arrangeant...

Cette édifiante affaire m’aura au moins permis de connaître votre site et vos écrits.

Merci.

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> Micheline et le Consul , 30 juin 2002

Bonjour,

J’espère toujours que la diffusion du dossier en Europe exerce une pression suffisante pour aboutir à un règlement. Le consul du Japon à Montréal, dont il est question dans cette histoire, se trouve maintenant en poste à Paris auprès d’un organisme international.

Merci de votre commentaire.

M.C.

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