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Interprétations & conjectures

2 octobre 2003, 01:02, par Lirresponsable

salut,

Oui c’est possible, et même très probable. Cependant, Finkielkraut écrit :

« [...] en dépit de leur anarchisme flambloyant et de leur hostilité militante à toute forme de régulation, les libres enfants du numérique seront pris dans la Toile. »

On a donc "l’anarchisme", "les libres enfants", et "du numérique" qui remplacerait "de Summerhill" selon cet axe de lecture.

L’ouvrage de Neill est connu des auteurs de l’anthologie qui l’intitulent d’ailleurs Libres enfants du savoir numérique en référence explicite. Cf. Florent Latrive, « Les barbares du bazar » :

« Note 4. Le titre est évidemment un clin d’oeil au livre de A. S. Neill, Libres enfants de Summerhill, paru pour la première fois en 1974 chez Maspero, et qui décrivait une expérience d’éducation « permissive » menée en Grande Bretagne par A. S. Neil »

Mon interprétation est que Finkielkraut connaît, au moins de nom, l’anthologie en question, et pas seulement l’ouvrage de Neill, et qu’il fait donc également référence à l’anthologie publiée par les éditions l’Eclat. Pourquoi ?

Il parle, juste avant l’expression, « de leur hostilité militante à toute forme de régulation » : il n’est pas question ici de l’école autogérée mais de la régulation d’Internet, à laquelle des militants s’opposent. Il a sans doute en ligne de mire le « le lyrisme libertaire » qui apparaît ensuite dans son texte et qui reprend « les "libertaires" reviennent à la charge », de Marc Knobel ; toujours dans le contexte des procès (Finkielkraut est Grand Témoin (tm) pour l’affaire Jaccuse). Donc il y a des "enfants du numériques" actuels qui s’opposent à la régulation. De plus, Internet l’inquiétante extase comporte un texte de Paul Soriano, qui travaille sur la société de l’information (tm).

Le deuxième élément qui oriente mon choix porte sur la transformation lexicale. Résumons, on a :

- (a) Libres enfants de Summerhill
- (b) Libres enfants du savoir numérique
- (c) Libres enfants du numérique

(b) fait référence à (a), de manière revendiquée (clin d’oeil). Comparons (b) à (c), on remarque que le terme qui tombe est "savoir". Or, pour Finkielkraut, il y a une antinomie radicale entre le savoir et le numérique (c’est le sens de tout son texte et de l’exemple imaginaire qu’il utilise, pour lui c’est un oxymore). Je fais donc l’hypothèse que cet effacement lexical correspond à une censure (consciente, inconsciente, peu importe). De plus (c) peut à la fois référer à (b) et (a) (sans transitivité).

Enfin, ce choix interprétatif me permet dans mon commentaire de noter l’absence d’examen critique des thèses articulées dans l’anthologie en question, et de souligner les conséquences (théoriques et pratiques) de cette absence.

Plutôt que d’examiner des textes sur le sujet, on va chercher pour les embrigader Platon, Deleuze, Fellini, tout en participant par ailleurs à des procès d’opinion (cf. Daniel Mermet en procès).

On a là, la fonction de censeur (comportement pratique) et parallèlement l’utilisation (sur le plan des écrits) d’une sorte d’argument d’autorité : on ne discute pas les textes, pour les critiquer au sens d’examen ou en vue d’une réfutation, mais on va chercher une Autorité (ici un auteur prestigieux) pour soutenir sa position et disqualifier celle des autres, ce qui rhétoriquement justifie l’économie de l’examen. En formalisant : "X, qui est grand et reconnu, nous mettait en garde donc X dit vrai ; moi, je ne fais que reprendre la mise en garde de X, donc je dis vrai", avec en bonus "je suis donc un peu comme X, i.e. grand et reconnu".

Cet attrait pour la réputation et le rôle social de logographe ne peuvent bien entendu pas, (sauf en France), se prévaloir de Socrate, qui affirme dans le Gorgias, (471e) :

« Au tribunal, en effet, on estime qu’on réfute l’adversaire si on présente, en faveur de la cause que l’on défend, un bon nombre de témoins, très bien vus de tout le monde, tandis que la cause adverse, elle, n’a qu’un seul témoin, sinon aucun. Mais ce genre de réfutation n’a aucune valeur pour la recherche de la vérité. »

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