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> Encore les ex mao !

30 juin 2005, 10:45, par ARNO*

J’insiste sur l’aspect Chomskyen de cette question : les débats sur les avantages et inconvénients de la grande presse se focalisent généralement sur l’impact superficiel de la publicité sur le contenu.

Il est intéressant de considérer l’inverse, et c’est ce que tu trouveras dans de nombreux forums (dont celui de ton site, sauf erreur) sur ce sujet : quand on parle de « cœur de cible » d’un média, on ne parle pas de la cible de son contenu, et les pubs s’adapteraient à ce contenu (tu suggères qu’il n’est pas intéressant de faire de la publicité pour de la lessive ou Casino dans Libé, parce que ça ne correspondrait pas au lectorat) ; en fait, il est plus intéressant de considérer que c’est le journal qui s’adapte à la cible des annonceurs. Que TF1 le fasse ouvertement n’exclue pas que les autres le fassent honteusement : comme il y a un plus gros marché publicitaire pour les voitures, les produits culturels chics..., alors Libération fait comme tout le monde : il vise un public susceptible d’acheter ces produits (CSP, CSP+, etc., mais avec « des valeurs de gauche ») et, évidemment, son contenu est réalisé en conséquence de façon à ce que les annonceurs voient l’intérêt d’investir dans ce support.

« Dans sa défense du libre-échangisme comme moyen de contrôler les dissidences d’opinion vers 1850, le ministre des Finances britannique, Sir George Lewis, notait qu’un marché libre favoriserait “les journaux bénéficiant des faveurs des faiseurs de réclame”. C’est un fait que le mécanisme de la publicité a affaibli la presse ouvrière, et Curran et Seaton lui attribuent la même place que l’augmentation du coût du capital comme facteur permettant au marché d’accomplir ce que ni les impôts ni le harcèlement continu n’avaient su faire. Ils remarquent que les marchands de réclame ont alors “acquis de facto un pouvoir d’attribution de permis sur des journaux qui cessaient d’être rentables sans leur soutien”. »

L’aspect le plus évident : « Les médias de la classe ouvrière ont souffert de la discrimination politique des publicitaires qui privilégient les acheteurs potentiels. De nombreuses firmes refusent de subventionner leurs ennemis idéologiques ou ceux qu’elles voient comme des menaces pour leurs intérêts. »

Mais la remarque plus originale est l’inversion de la relation entre l’audience du journal et l’audience du publicitaire (on considère à tort que l’audience du publicitaire est celle façonnée par le journal ; alors qu’à l’inverse il est plus crédible de penser que c’est la cible visée par l’annonceur qui détermine l’audience visée par le journal) : « Dès l’introduction de la réclame, les journaux populaires de gauche ont été désavantagés par les moyens limités de leurs lecteurs. Comme le disait un publicitaire en 1856 : “leurs lecteurs ne sont pas des acheteurs : autant jeter son argent par les fenêtres” ». La sélection naturelle condamne illico les journaux s’adressant à des lecteurs qui n’intéressent pas les annonceurs (l’ouvrage cité donne quelques exemples historiques).

Citations tirées de La fabrique de l’opinion publique, Noam Chomsky et Edward S. Herman, 1988, disponible en France au Serpent à plumes, 2002.