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Brève mise au point sur le Sommet de Genève

4 janvier 2004, 11:47, par Pascal Fortin

Bonjour George,

De fait, on ne peut pas dire que Maria Livanos Cattaui, secrétaire général de la Chambre Internationale du Commerce et surtout coordinatrice de la participation du "secteur privé" au SMSI ait particulièrement été décue des résultats du Sommet.

En réalité, sa principale inquiétude reposait sur le sort qui allait être réservé à l’ICANN, organisme privé de gestion du système d’adressage et des noms de domaine entre les mains des entreprises multinationales et sous tutelle du Département du Commerce US. mais elle fut probablement rassurée lorsqu’il est très rapidement apparu évident que c’est le statu quo qui l’emporterait. Toujours est-il que, pour le moment, les négociateurs du SMSI ont provisoirement décidé de botter en touche en demandant la mise en place d’un groupe de travail sous l’égide du Secrétaire général de l’ONU qui doit rendre ses conclusions avant la deuxième phase de Tunis en 2005.

A part cela, il est sûr que la réitération de la promotion de la logique du marché et de l’appel lancé aux gouvernements, notamment ceux du sud, à créer les conditions d’un environement propice pour les investissements du secteur privé ne pouvait que satisfaire notre représntante des patrons - aujourd’hui plus couramment connus sous le nom de "décideurs".

Pour ce qui est des résultats du Sommet, je te renvoie aux quelques (rares) articles parus dans les médias (Le Monde, Libération, RFI et la presse suisse disponible sur le net) avec une réserve d’ordre général sur le contenu de la plupart de ses articles qui n’ont pas véritablement su percevoir les enjeux d’un tel Sommet au-delà de celui que tu mentionnes relatif aux intérêts des multinationales.

Tu trouveras en outre à la fin de ce message une copie d’un courriel posté sur différentes listes dans lequel je critique l’article d’Ignacio Ramonet publié dans le Diplo du mois de janvier 2004 qui tombe dans l’excès inverse en affirmant à tort que l’importance du SMSI au niveau des technologies de l’information est comparable à celui de Rio pour l’environnement.

PF.


Bonjour,

Probablement dans le but de justifier son déplacement de la mi-décemmbre 2003 à Genève pour participer au Sommet mondial sur la société de l’information, Ignacio Ramonet écrit un article dans le Monde Diplomatique de janvier 2004 afin d’en présenter les "résultats". [ Cf. : http://www.monde-diplomatique.fr/2004/01/RAMONET/10615 ]
Notons au passage le titre de son article intitulé de manière quelque peu emphatique "Le nouvel ordre internet" qui laisse croire que le thème du Sommet est l’internet alors qu’il est consacré à la "société de l’information", expression apparue dans les médias au début des années 80 pour légitimer le processsus de privatisation du secteur des télécommunications au nom de la convergence autour du "nouveau paradigme numérique". Il est par ailleurs très regrettable qu’Ignacio Ramonet n’ait pas été sensible aux
efforts de nombreuses ONG aux fins d’élargir les thèmes du Sommet à des sujets tels que le bilan de la privatisation des télécommunications, le pluralisme et la concentration dans médias et les industries culturelles, les droits de l’Homme et la diversité culturelle dans la société de l’information, etc.

Manifestement soucieux de fournir une justification supplémentaire à son déplacement de Genève, Ignacio Ramonet n’hésite pas à écrire que le SMSI est "Comparable, en matière de technologies de la communication, par son ampleur, ses effets et ses enjeux, à ce que représenta, pour l’environnement, le Sommet de la Terre de Rio en 1992." Ce rapprochement entre le Sommet de Rio et celui de Genève n’est guère surprenant puisqu’il correspond à la propagande des organisateurs du SMSI pour justifier son existence.
On aurait tout de même souhaité un peu plus de recul de la part d’Ignacio Ramonet qui lui aurait sans doute permis de se rendre compte que les deux Sommets n’ont pas grand chose en commun. Sans nous perdre dans les détails, quelques chiffres devraient suffire à montrer la dimension approximative d’une telle comparaison.
- le Sommet de Rio avait duré près de deux semaines quand celui de Genève n’a duré que trois jours ;
- 94 chefs d’Etat et de gouvernement, parmi lesquels George Bush, John Major, Helmut Kohl, François Mitterrand, ont participé au Sommet de Rio tandis qu’il n’étaient que 54 à avoir fait le déplacement à Genève, parmi lesquels aucun chef d’Etat du G7/8, de l’Union européenne, mais de nombreux dictateurs ;
- 17 000 personnes, y compris 7 150 ONG de 165 pays ont participé au Forum parallèle du Sommet de Rio alors que seulement 3310 personnes représentant 481 "entités de la société civile" ont fait le déplacement à Genève ;
- Finalement, malgré l’absence de chiffres en notre possession relatifs au relais médiatique des deux Sommets de Rio et de Genève, nul ne peut nier que l’extraordinaire propagande faite autour du premier cité est sans commune mesure avec l’intérêt très limité dont le second a bénéficié.

Au-delà de ces quelques chiffres, s’il n’est pas question de prétendre dès aujourd’hui que ce Sommet n’a servi à rien, il paraît tout aussi présomptueux d’affirmer que le SMSI représente un "événement majeur". Quoique l’on pense des résultats - selon nous effarants - du SMSI, il est en effet encore bien trop tôt pour affirmer que ce Sommet est susceptible de tomber dans l’oubli ou à l’inverse de constituer le début d’un processus de négociation important sur les enjeux associés à l’expression de "société de
l’information".

Passons sur d’autres aspects discutables et/ou approximatifs de cet article tels que le recours à la rhétorique "révolutionnaire" sur "l’avant et l’après de l’internet", dont le côté désuet et le déterminisme technique sous-jacent ne semblent pas rebuter notre journaliste pour nous attarder finalement sur ce bref passage :

"Pour la première fois, et c’est un signe des transformations en cours, ce sommet de l’ONU associait, aux représentants des Etats, des chefs d’entreprise et des responsables d’organisations non gouvernementales (ONG). Cela n’a d’ailleurs pas bien fonctionné, ces dernières se plaignant d’avoir, en quelque sorte, été marginalisées et d’avoir largement servi d’alibi."

La première phrase de ce paragraphe reprend une nouvelle fois la propagande officielle des organisateurs du SMSI. Ignacio Ramonet l’a d’abord relayée pour dénoncer cette évolution lors de son intervention au débat organisé le 10 décembre 2003 par le syndicat helvétique Comedia et la branche suisse d’Amnesty international dans le cadre du SMSI avant d’être informé par la representante d’une ONG canadienne que la "société civile" du SMSI avait en réalité été marginalisée dans la préparation du ce Sommet.
C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle il a ajouté la seconde phrase de ce même paragraphe... sauf que cette deuxième phrase contredit la première et lui enlève ainsi toute justification.

Quoi qu’il en soit, et même si la propagande des organisateurs sur la dimension novatrice du Sommet qui aurait associé pour la première fois les Etats, le secteur privé et la "société civile" est erronée, Igancio Ramonet n’a sans doute pas tort d’affirmer que "c’est un signe des transformations en cours". Sauf qu’il oublie de nous préciser pourquoi. En réalité, cette rhétorique s’inscrit directement dans la volonté de promouvoir les contours d’une "nouvelle gouvernance de la société de l’information du
XXIème siècle" en adéquation avec le modèle économique néo-libéral sous-tendu par les discours sur ladite société de l’information - une nouvelle fois entériné dans le cadre du SMSI - fondée sur le principe de la mise sur un pied d’égalité entre les Etats et des représentants auto-proclamés du "secteur privé" et de la "société civile".

C’est in fine l’articulation entre cette double ambition politique et économique qui constitue à nos yeux le principal enseignement du SMSI

Bonne année, PF.