Oui, on sait qu’un studio ça coûte bonbon niveau matos et frais (même si en France, le prix de la coke baisse, de 150 à 80 euros le gramme). Et une usine pour la fabrication du glassmaster et pressage, aussi. D’ailleurs une Les Paul Standard ’96 d’okaz à 1850 euros, c’est déjà plus cher qu’un PC...
How many pépètes ?
Notre frère l’artiste qui nous crée du bonheur plein les yeux et rend le monde plus beau, n’a pas les capitaux pour acheter un studio et une usine (sauf si c’est une soeur et qu’elle habite Monaco). Il va donc louer les outils et payer pour la réalisation de son produit (l’oeuvre et les exemplaires).
Voyons tout de même le coût minimum de production pour un maxi et un album et la réalisation de 500 exemplaires (estimations de CIREN Audio) :
Maxi (<20’) : 3j de studio= 550 €. Mastering = 150 €. Films pour pochette : 100 €. 500 CD = 900 €. TOTAL : environ 1 700 € + SDRM (si tu veux raquer pour)
Album (<74’) : 10j de studio = 2 000 € Mastering = 300 €. Films pour pochette : 100 €. 500 CD = 1 100 € . Total environ : 3 500 € + SDRM (si tu veux raquer pour)
Mais comment nos quatre amis dans le vent vont-ils pouvoir réunir une telle somme ! Taper la famille, braquer un distributeur de bombeks ? Et bien, avec des cachets dans des bars ( 380 euros) ou prestations lors d’événements ( 1000 euros). En gros : une dizaine de concerts payants afin de réunir la somme. Donc n’essaie pas de m’arnaquer de 50 plaques pour ton prochain album ! :))
Remarques
Première remarque sur la qualité de la production (sans vouloir diminuer l’importance de la prise, du mixage, du mastering) : sur quel support sera écouté le fameux CD ? Sur un crincrin à 100 boules, ou sur la super-chaine avec des enceintes pourries, et quelle acoustique dans le lieu d’écoute ?
Bon ok, ton public est composé de mélomanes qui fabriquent eux-mêmes leurs enceintes, perçoivent les modulations dans les cris des chauve-souris, sont capables de disserter sur l’authenticité et la pureté indépassables d’un vinyl de 1930, et ont un salon dédié. Revenons donc à nos débutants avec leurs 500 CD.
Chaque disque leur revient à 7 euros (et Jean a trois pommes) ; ils se décident pour une marge de 50 % hors taxe (fuck society ! Et l’Etat-Providence...), ce qui nous donne un disque à 14 euros, un peu en dessous des prix du Marché (tm), qui est très vilain ne l’oublions jamais ; s’ils écoulent la totalité (lors de concerts + placements amicaux), ils doublent la mise (7000 euros), la moitié (plus probable) ils la récupèrent.
Ils peuvent également le proposer sur leur site web (il y a une foultitude de groupes qui ont leur site) ou utiliser des structures de diffusion en ligne "alternatives" (par exemple Atanata Records).
Bien entendu, on ne nourrit pas longtemps une armée de percutionnistes avec un tel budget. Mais comme tu le sais, ici le CD ne vise pas à dégager des revenus mais sert de carte de visite en vue d’obtenir des concerts (et même la radio locale pourra diffuser quelques titres histoire d’augmenter la notoriété et leur verser quelques droits).
Problématiques sociétales
vivre de son art
«La liberté des théâtres fera disparaître les chefs-d'oeuvres anciens.»
Saint-Just, L'esprit de la révolution, XIII
Si nos quatre amis accumulent les dates, et avec le régime de l’intermittent, ils peuvent espérer en vivre.
Pour les zikos, il y a les baluches (malgré la concurrence féroce des DJ qui cassent les prix), plus un poste de prof dans une MJC (qui assure un fixe et un vivier clientèle et de spectateurs), plus les cours particuliers (qui assure du cash non déclaré). Autrement nos amis ont un autre boulot (je sais c’est inhumain).
Oui mais c’est pas rock and roll tout ça ! Et la diffusion de l’oeuvre alors ! Quelle place pour l’art et les artistes ?
Politique
«"Touche pas à mon pote", c'est comme la traduction moderne du commandement biblique : "Aime ton prochain comme toi-même" [..]»
Marek Halter, Le Monde 18 novembre 1985 ; cité par M. Fumaroli, L'Etat culturel, 1992.
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
DU BELLAY, Les Regrets, 1558.
Pour faire bref, je ne crois pas qu’il y ait grande différence entre, pris dans leur ensemble, les produits de l’industrie et les "oeuvres" produites grâce au soutien de l’Etat suivant le critère de la qualité (ou valeur culturelle). Je sais que c’est une forme de blasphème monstrueux (ce qui aggrave donc mon cas) et qu’il faut moduler suivant les formes d’art (arts plastiques, musique, cinéma, littérature, théâtre, etc.).
D’autre part, il n’y a pas d’opposition véritable entre secteur privé et Etat pour certains secteurs, comme le cinéma (exemple célèbre : Hollywood assure la propagande du plan Marshall qui assure la diffusion des produits d’Hollywood).
Et derrière les grandes invocations (KulturKampf ! :))), il est question d’emplois et de devises, si l’on veut être gentil, ou en étant moins oecuménique d’idéologie (la société de consommation). Regarde où ont fini les Enfants du Rock (tm) et qui ils servent.
Ou même le jazz, de musique de bordel, c’est devenu le fétiche culturel de cinquantenaires blancs CSP+ abonnés à Témélara et fixés sur le Be-Bop.
Un exemple intéressant est celui de la municipalité de Fleury-Mérogis qui a investi 150 000 euros pour un petit studio, le Onze, ouvert en septembre 2003 (cf. Un studio d’enregistrement pour 4 Euros de l’heure)
Major auction
Terminons par les maisons de disques, grâce aux Tableaux de bords 2003.
Alors combien de divisions ? (tm)
« 132 nouvelles signatures d’artistes francophones sont répertoriées soit un quart de moins qu’en 2002. Dans le même temps, le nombre de contrats rendus a progressé de 52%. L’écart reste donc positif mais s’amenuise considérablement (18 contrats supplémentaires en 2003 contre 88 en moyenne au cours de ces trois dernières années) »
Bon tout ça, c’est de la faute au p2p bien sûr ! :)) Ce n’est pas parce qu’on décide de virer les artistes non rentables afin d’augmenter nos résultats, mais parce que le p2p diminue nos moyens et nous empêche donc d’investir dans les nouveaux talents, sans rire ! Salauds de pirates qui tuent dans l’oeufs tous ces génies !
Et le plus intéressant dans la suite du bilan : « Les investissements marketing progressent de 7% pour atteindre 174 millions d’euros. Ils atteignent 23% du chiffre d’affaires nouveautés contre 20% en 2002 et 23% en 2001. »
174 millions d’euros, cela en fait des heures d’enregistrement et même des studios ; mais il ne faut pas raisonner de cette façon voyons, car c’est de l’investissement stratégique qui va créer la valeur de demain, et oui ! On prend les paris, d’ici deux trois ans, on va avoir tellement de Mozart qu’on pourra en exporter !
Lorsque le 31/03 EMI supprime 1.500 emplois dans sa division Recorded Music (qui fabrique CD, disques et cassettes) et diminue de 20% le nombre de ses artistes sous contrat (les non rentables), elle déclare sans ambages dans son communiqué : « Ces mesures vont améliorer encore un peu les performances financières de la société et lui permettre de continuer à opérer avec succès dans le monde de la musique physique tout en capitalisant sur les possibilités offertes par la croissance rapide du numérique ».
Mais bon, lorsque l’on affirme que l’objectif d’une entreprise est de dégager des profits, on se fait traiter de stalinien archaïque. Et si l’on fait remarquer qu’elle soustraite la fabrication (gestion des consommables), optimise son catalogue afin d’être plus rentable, et investit dans le marketing et le contrôle de la diffusion (en parlant défense de la création et hurlant contre le p2p), et que donc les aides étatiques et les différentes mesures fiscales (taxe sur les CD vierges tiens ! J’espère que tu es heureux de soutenir la création lorsque tu graves tes morceaux) ne sont pas vraiment justifiées, on a le droit au qualificatif de ultra-néolibéral ennemi de la culture. Tout ça parce l’on affirme que les individus peuvent s’organiser. C’est fou, non ? ;))
D’ailleurs la meilleure vente d’album ex aequo en France pour 2003, c’est Florent Pagny, Ailleurs Land. Liberté de penser [sic] et arnaque du fisc, tout un symbole !
Salut,
[Ouverture]
Oui, on sait qu’un studio ça coûte bonbon niveau matos et frais (même si en France, le prix de la coke baisse, de 150 à 80 euros le gramme). Et une usine pour la fabrication du glassmaster et pressage, aussi. D’ailleurs une Les Paul Standard ’96 d’okaz à 1850 euros, c’est déjà plus cher qu’un PC...
How many pépètes ?
Notre frère l’artiste qui nous crée du bonheur plein les yeux et rend le monde plus beau, n’a pas les capitaux pour acheter un studio et une usine (sauf si c’est une soeur et qu’elle habite Monaco). Il va donc louer les outils et payer pour la réalisation de son produit (l’oeuvre et les exemplaires).
Voyons tout de même le coût minimum de production pour un maxi et un album et la réalisation de 500 exemplaires (estimations de CIREN Audio) :
Mais comment nos quatre amis dans le vent vont-ils pouvoir réunir une telle somme ! Taper la famille, braquer un distributeur de bombeks ? Et bien, avec des cachets dans des bars ( 380 euros) ou prestations lors d’événements ( 1000 euros). En gros : une dizaine de concerts payants afin de réunir la somme. Donc n’essaie pas de m’arnaquer de 50 plaques pour ton prochain album ! :))
Remarques
Première remarque sur la qualité de la production (sans vouloir diminuer l’importance de la prise, du mixage, du mastering) : sur quel support sera écouté le fameux CD ? Sur un crincrin à 100 boules, ou sur la super-chaine avec des enceintes pourries, et quelle acoustique dans le lieu d’écoute ?
Bon ok, ton public est composé de mélomanes qui fabriquent eux-mêmes leurs enceintes, perçoivent les modulations dans les cris des chauve-souris, sont capables de disserter sur l’authenticité et la pureté indépassables d’un vinyl de 1930, et ont un salon dédié. Revenons donc à nos débutants avec leurs 500 CD.
Chaque disque leur revient à 7 euros (et Jean a trois pommes) ; ils se décident pour une marge de 50 % hors taxe (fuck society ! Et l’Etat-Providence...), ce qui nous donne un disque à 14 euros, un peu en dessous des prix du Marché (tm), qui est très vilain ne l’oublions jamais ; s’ils écoulent la totalité (lors de concerts + placements amicaux), ils doublent la mise (7000 euros), la moitié (plus probable) ils la récupèrent.
Ils peuvent également le proposer sur leur site web (il y a une foultitude de groupes qui ont leur site) ou utiliser des structures de diffusion en ligne "alternatives" (par exemple Atanata Records).
Bien entendu, on ne nourrit pas longtemps une armée de percutionnistes avec un tel budget. Mais comme tu le sais, ici le CD ne vise pas à dégager des revenus mais sert de carte de visite en vue d’obtenir des concerts (et même la radio locale pourra diffuser quelques titres histoire d’augmenter la notoriété et leur verser quelques droits).
Problématiques sociétales
vivre de son art
«La liberté des théâtres fera disparaître les chefs-d'oeuvres anciens.»
Saint-Just, L'esprit de la révolution, XIII
Si nos quatre amis accumulent les dates, et avec le régime de l’intermittent, ils peuvent espérer en vivre.
Pour les zikos, il y a les baluches (malgré la concurrence féroce des DJ qui cassent les prix), plus un poste de prof dans une MJC (qui assure un fixe et un vivier clientèle et de spectateurs), plus les cours particuliers (qui assure du cash non déclaré). Autrement nos amis ont un autre boulot (je sais c’est inhumain).
Oui mais c’est pas rock and roll tout ça ! Et la diffusion de l’oeuvre alors ! Quelle place pour l’art et les artistes ?
Politique
«"Touche pas à mon pote", c'est comme la traduction moderne du commandement biblique : "Aime ton prochain comme toi-même" [..]»
Marek Halter, Le Monde 18 novembre 1985 ; cité par M. Fumaroli, L'Etat culturel, 1992.
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
DU BELLAY, Les Regrets, 1558.
Pour faire bref, je ne crois pas qu’il y ait grande différence entre, pris dans leur ensemble, les produits de l’industrie et les "oeuvres" produites grâce au soutien de l’Etat suivant le critère de la qualité (ou valeur culturelle). Je sais que c’est une forme de blasphème monstrueux (ce qui aggrave donc mon cas) et qu’il faut moduler suivant les formes d’art (arts plastiques, musique, cinéma, littérature, théâtre, etc.).
D’autre part, il n’y a pas d’opposition véritable entre secteur privé et Etat pour certains secteurs, comme le cinéma (exemple célèbre : Hollywood assure la propagande du plan Marshall qui assure la diffusion des produits d’Hollywood).
Et derrière les grandes invocations (KulturKampf ! :))), il est question d’emplois et de devises, si l’on veut être gentil, ou en étant moins oecuménique d’idéologie (la société de consommation). Regarde où ont fini les Enfants du Rock (tm) et qui ils servent.
Ou même le jazz, de musique de bordel, c’est devenu le fétiche culturel de cinquantenaires blancs CSP+ abonnés à Témélara et fixés sur le Be-Bop.
Un exemple intéressant est celui de la municipalité de Fleury-Mérogis qui a investi 150 000 euros pour un petit studio, le Onze, ouvert en septembre 2003 (cf. Un studio d’enregistrement pour 4 Euros de l’heure)
Major auction
Terminons par les maisons de disques, grâce aux Tableaux de bords 2003.
Alors combien de divisions ? (tm)
« 132 nouvelles signatures d’artistes francophones sont répertoriées soit un quart de moins qu’en 2002. Dans le même temps, le nombre de contrats rendus a progressé de 52%. L’écart reste donc positif mais s’amenuise considérablement (18 contrats supplémentaires en 2003 contre 88 en moyenne au cours de ces trois dernières années) »
Bon tout ça, c’est de la faute au p2p bien sûr ! :)) Ce n’est pas parce qu’on décide de virer les artistes non rentables afin d’augmenter nos résultats, mais parce que le p2p diminue nos moyens et nous empêche donc d’investir dans les nouveaux talents, sans rire ! Salauds de pirates qui tuent dans l’oeufs tous ces génies !
Et le plus intéressant dans la suite du bilan : « Les investissements marketing progressent de 7% pour atteindre 174 millions d’euros. Ils atteignent 23% du chiffre d’affaires nouveautés contre 20% en 2002 et 23% en 2001. »
174 millions d’euros, cela en fait des heures d’enregistrement et même des studios ; mais il ne faut pas raisonner de cette façon voyons, car c’est de l’investissement stratégique qui va créer la valeur de demain, et oui ! On prend les paris, d’ici deux trois ans, on va avoir tellement de Mozart qu’on pourra en exporter !
Lorsque le 31/03 EMI supprime 1.500 emplois dans sa division Recorded Music (qui fabrique CD, disques et cassettes) et diminue de 20% le nombre de ses artistes sous contrat (les non rentables), elle déclare sans ambages dans son communiqué : « Ces mesures vont améliorer encore un peu les performances financières de la société et lui permettre de continuer à opérer avec succès dans le monde de la musique physique tout en capitalisant sur les possibilités offertes par la croissance rapide du numérique ».
Mais bon, lorsque l’on affirme que l’objectif d’une entreprise est de dégager des profits, on se fait traiter de stalinien archaïque. Et si l’on fait remarquer qu’elle soustraite la fabrication (gestion des consommables), optimise son catalogue afin d’être plus rentable, et investit dans le marketing et le contrôle de la diffusion (en parlant défense de la création et hurlant contre le p2p), et que donc les aides étatiques et les différentes mesures fiscales (taxe sur les CD vierges tiens ! J’espère que tu es heureux de soutenir la création lorsque tu graves tes morceaux) ne sont pas vraiment justifiées, on a le droit au qualificatif de ultra-néolibéral ennemi de la culture. Tout ça parce l’on affirme que les individus peuvent s’organiser. C’est fou, non ? ;))
D’ailleurs la meilleure vente d’album ex aequo en France pour 2003, c’est Florent Pagny, Ailleurs Land. Liberté de penser [sic] et arnaque du fisc, tout un symbole !
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