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La crise de la culture (between past and future)

7 janvier 2004, 21:28, par Lirresponsable

Vous adoptez un point de vue "économiciste" pour parler de la culture, très réducteur et, il faut l’avouer, à côté de la plaque.

Non je parle du marché du livre, dans lequel l’auteur touche 10% par exemplaire alors que les coûts de réalisation de l’objet baissent. Il n’y a que les intervenants du circuit (circuit qui prend 90% par exemplaire, profite de mesures législatives et fiscales) qui parlent de "culture" (sans jamais définir le terme, comme si les valeurs culturelles n’étaient pas des valeurs d’échange), ce qui est relativement à côté de la plaque, du moins de la discussion.

Si l’on définit ici "culture" par production littéraire, elle représente 20% du chiffre d’affaires et la moitié des ventes (en volume comme en chiffre d’affaires) est réalisée par les réimpressions. On retrouve alors le fameux 10% d’alibi...

Tiens pour l’anecdote :

« Car, dans la chaîne éditoriale, la vraie machine à cash, c’est la logistique. Sur un livre à 10 euros, si entre 1,20 et 1,40 euro revient à l’éditeur, le diffuseur-distributeur s’approprie jusqu’à 2 euros. La maison Grasset par exemple n’a pas gagné d’argent avec son Goncourt 2002 aux ventes décevantes. Mais sa maison-mère Hachette, qui acheminait le livre dans toutes les librairies de France et de Navarre, a pour sa part réalisé une bonne affaire. » (« A quoi sert la rentrée littéraire ? », Nouvel obs août 2003 - n°2024)

Il est donc très important de maintenir un réseau de librairies (qui vendent ou pas le produit diffusé), y compris par l’impôt de nos amis les citoyens, afin que Hachette continue à toucher sur la diffusion. Eh, il est question de "culture" ! :))

Quand l’auteur devra gérer, en plus de l’écriture, la mise en page, la conception de la couverture, la correction, le service de presse, le suivi des commandes, l’envoi des commandes, la facturation... Il sera parvenu à récréer une maison d’édition. Beau changement.

Non pas une maison d’édition (avec catalogue de divers auteurs et divers services : compta, presse, etc.), mais l’autonomie de sa production.

- La mise en page, la correction ne lui sont pas inaccessibles. Les tâches de composition d’un texte avec un format numérique sont automatisées (chapitres, titres, paragraphes, notes de bas de page, etc.). Pour virer les coquilles ou fautes de frappe, il suffit d’appuyer sur F7 dans un logiciel très connu. On peut certes se souvenir avec émotion des caractères de plomb et des coquilles d’impression.

- La réalisation de la couverture demande des compétences de graphiste, et dans le mode industriel de fabrication de livre, l’auteur est le plus souvent exclu du choix (en gros : trouver une image libre de droit en haute résolution).

Qu’apportent le nom de la maison d’édition et celui de la collection sur la couverture ? Relativement à l’intérêt propre du texte : rien. Il s’agit uniquement de publicité pour une marque ! (et donc de pratiques/recettes de vente). Lire à ce propos (bis) : Vive les livres moches, nuls et chers, je dis « vive les requins »

- le service de presse, c’est-à-dire envoyer des exemplaires à quelques rédactions ou médiateurs en espérant un papier en retour (et qu’ils ne vendent pas tout de suite l’exemplaire à un bouquiniste) ; opération qui s’effectue plus ou moins en "interne", par exemple Havas (avec sa filiale CEP Communication), détient notamment l’Express, le Point, l’Expansion, Courrier international, Lire et Presses de la Cité, Julliard, Belfond, Plon, Pocket, 10/18, Robert Laffont, Larousse, Bordas, Le Robert, Nathan, Dalloz, Dunod, Masson.

Notre ami l’auteur autoproduit ne doit certes pas s’attendre à de la promotion gratuite dans ce type d’organes, qui, et c’est bien normal, visent d’abord à écouler les marchandises maison, y compris en France celles de leurs supérieurs hiérarchiques ou obligés (cf. « Le cas Labro », dans Halimi,Les nouveaux chiens de garde, Liber, 1997, p. 91). De la même manière, les magasins Leclerc placent en rayon et en catalogue (qu’ils nous spamment in real life !) leur marque Repères® et Carrefour la leur Reflet de France®.

Il peut donc sans remords supprimer ce poste de dépense (pas de rentabilité, perte de temps). Surtout avec l’inflation des titres : 691 romans pour la rentrée ! Qui dans l’industrie de la promotion et la réalisation de catalogues payants (appelés "revues" pour on ne sait quelle raison obscure...) lit 691 romans en un mois ? Personne bien entendu, chacun préférant présenter son coup-de-coeur (tm), parfois en l’ayant lu.

- le suivi des commandes, l’envoi des commandes, la facturation exigent certes des services dédiés lorsque l’affaire brasse plusieurs centaines de milliers d’exemplaires (c’est même la justification pratique d’un grand groupe).

La politique de développement d’un auteur autoproduit est plus rationnelle : flux tendu zéro stock ! ;)) Puisqu’il ne bénéficiera pas via l’office du placement de ses marchandises, ni donc de l’activité comptable qui en résulte et ouvre le droit à certaines aides tout en reportant l’effort (et les coûts de stockage) sur un tiers (notre ami le libraire)...

Il peut imprimer à la demande (s’il réalise lui-même ses livres), proposer des commandes et attendre un nombre suffisant d’exemplaires pré-payés avant de réaliser l’objet-livre grâce à un imprimeur (et les coûts des faibles tirages diminuent) ; uniquement proposer de télécharger des fichiers en pdf. La facturation proprement dite est alors effectuée par le système de paiement en ligne.

A part l’atomisation que cela entraînera - atomisation favorable, de toute éternité, aux grands groupes (quelques gros qui monopolisent le marché, pleins de petits qui vivotent, c’est le modèle) -, on ne voit pas bien ce que l’on peut en espérer.

Un retournement du marché, puisque l’atomisation est encore faible par rapport aux monopoles déjà constitués (plutôt un oligopole). On peut certes continuer à parler de "culture", ce qui permet de faire l’impasse sur la question des capitaux et défend le statu quo : qui organise le marché ? Pour quelles productions ? A l’avantage des auteurs ?

La vraie question révolutionnaire : sans les producteurs de contenus, que deviennent ces oligopoles ? On oublie tout le temps « qu’il faut toujours remonter à une première convention » (Merci Jean-Jacques !) :

Article L. 132-1

Le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une oeuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’oeuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion.

Article L132-2 Ne constitue pas un contrat d'édition, au sens de l'article L. 132-1, le contrat dit à compte d'auteur. Par un tel contrat, l'auteur ou ses ayants droit versent à l'éditeur une rémunération convenue, à charge par ce dernier de fabriquer en nombre, dans la forme et suivant les modes d'expression déterminés au contrat, des exemplaires de l'oeuvre et d'en assurer la publication et la diffusion. Ce contrat constitue un louage d'ouvrage régi par la convention, les usages et les dispositions des articles 1787 et suivants du code civil.

Le point de vue est alors certes individuel et libéral ;), dans un premier temps :

étant donné que j’aurais un faible tirage, mal distribué, en touchant des clopinettes, sans contrôle direct sur ma production et l’objet produit, pourquoi participer à l’industrie culturelle telle qu’elle est organisée, alors que je peux déjà mettre mes contenus en ligne et m’organiser ?

Bref, la question ancienne : pourquoi signer le contrat ? Pour du brouet de lentilles ?

Vous pensez être à gauche... ? ça, pour le moins, ça se discute.

Discutons ! Enfin entre nous, je m’en fous un peu, je te taquinais ;-)

Votre façon de voir la culture est carrément flippante.

Bof pas tellement, et je ne vois pas l’intérêt d’écrire un article pour dire "la culture c’est beau, mangez-en !" (ce qui est assez redondant avec le message publicitaire unanime), ou "Luttons contre la marchandisation de la culture en défendant Lagardère-Hachette, Pinault-la Fnac contre les vilaines multinationales américaines et leur sale copyright" (également assez redondant avec le citoyennisme).

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