> Du petit commerce de proximité ou du poujadisme ;)
14 octobre 2003, 13:10, par un éditeur indépendant
La question seconde est alors celle du type de sociabilité produite par ce type de commerce. On a tendance à considérer que l’activité du libraire est plus culturelle ou intellectuelle que celle du marchand de fruits et légumes parce que le produit livre a une spécificité que ne possède pas le poivron. Pour combien de livres en pourcentage cette affirmation est-elle valable ?
90 % des livres vendus chez Compagnie (librairie parisienne proche de la Sorbonne), chez la Boucherie (paris 5e), chez le Cadran lunaire (Macon), le Square (Grenoble), Vent d’Ouest (Nantes), le Quai des brumes (Strasbourg)... Un bon libraire se distingue par ses choix et c’est aussi pour ses choix, pour ses goûts, sa personnalité, qu’on vient le voir.
Il est d’ailleurs amusant de voir sur les quais [de la Seine (NDLR)] certains ouvrages dédicacés et envoyés à des décideurs qui préfèrent se délester de l’exemplaire contre un peu de cash, tout comme les bacs d’invendus bradés dans les solderies où s’étalent des titres pourtant présentés en tant que bestsellers par la presse d’il y a quelques mois (enfin c’est mieux que le pilon). Ce qui relativise un peu la valeur dite culturelle du produit.
Cela relativise surtout la pertinence des services de presse pléthoriques, que certains journalistes revendent effectivement pour arrondir leurs fins de mois. Par ailleurs, il est fréquent que les tirages soient trop importants, y compris pour les best-sellers, et finissent en solderie.
Mais ce qui me scandalise vraiment, en tant que consommateur furieux et citoyen, c’est le prix des livres de sciences humaines (réalisés par des auteurs déjà payés par l’Etat dans le cadre de leur activité : recherche, traduction, conférence, etc.).
Les livres de sciences humaines se vendent mal. Les éditeurs anticipent les mauvaises ventes et font des petits tirages, à des prix élevés. On ne peut pas demander à un auteur de travailler gratuitement, même s’il gagne de l’argent par ailleurs. Les traductions sont aidées par le CNL, ce qui peut contribuer à faire baisser le prix. Internet peut être une bonne solution pour la diffusion de ce type d’ouvrages, à terme. Mais on retombe sur l’obstacle du prestige, qui est particulièrement important dans le domaine universitaire. Mais tout le monde ne réfléchit pas de cette façon, heureusement.
le coup de la substitution de l’humain par l’automate est datée
Le jour où l’on ne pourra plus aller dans sa petite librairie de quartier pour discuter avec le libraire de tel ou tel ouvrage, de tel ou tel auteur, encore une fois, quel sera le progrès ? Pour les lecteurs ? Pour la culture ?
c’est comme de parler installation d’un chauffe-eau avec les pages jaunes au lieu d’en discuter avec un plombier chauffagiste.
Google établit une hiérarchie, une sélection, à partir d’un fonds généraliste, comme le libraire. Mais le libraire a ses goûts, ses envies, ses coups de coeur...
>Le dumping a un sens différent : si une entreprise exporte un produit à un prix inférieur à celui qu’elle pratique normalement sur son propre marché intérieur, on dit qu’elle a recours au “dumping” pour ce produit. Il y aurait dumping si Grasset vendait aux réseaux de distribution par exemple un produit Alain Minc 17,00 € en France et vendait le même produit 1 $ aux Etats-Unis, (ce qui ne poserait pas beaucoup de problèmes à vrai dire).
Il y aurait dumping si les supermarchés Leclerc ou Amazon.fr pouvaient proposer des livres à 20 ou 50 % moins cher que dans les librairies classiques. Ce qui entraînerait une concentration massive de la librairie et la constitution d’un oligopole. On se retrouverait à négocier le prix des livres avec cet oligopole, ce qui entraînera une nouvelle vague de faillites, dans l’édition, cette fois, et aboutira à la constitution d’un nouvel oligopole. Quant à savoir si cela profitera aux auteurs et aux lecteurs... C’est plus que douteux.
Car une fois que les oligopoles ont assuré leur position, les prix remontent. Mécaniquement, puisqu’il n’y a plus de concurrence.
>Il faut bien voir que ce prix unique pénalise surtout notre ami le consommateur, puisqu’il n’empêche pas les fusions dans l’édition et l’existence des transnationales. Ainsi ce dernier va payer plus cher le produit qu’il désire pour financer indirectement un réseau de distribution qu’il n’utilise pas ou la distribution de produits qu’il n’achète pas. Plus cher, parce qu’un grand groupe passe généralement de plus grosses commandes et obtient donc un prix par exemplaire moindre (100.000 unités, par rapport à 10), qu’il peut décider de répercuter sur le prix de vente.
Les multinationales existent, d’accord. Mais il reste des petites structures. Ensuite, ce n’est pas parce que les multinationales existent qu’il faut renforcer leur position. Un consommateur paye ses livres plus cher avec le système du prix unique du livre, mais il paye pour le pluralisme, pour sa propre liberté de choix, pour la culture en général. Au passage, vous n’êtes absolument pas poujadiste - je vous prie de m’excuser pour appréciation un peu rapide -, votre logique est nettement libérale. Ce que confirme le passage suivant :
>En gros, Miguelito va acheter à la FNAC Harry Potter et l’Ordre du Phénix à 26,60 € (prix éditeur 28 €, en vo : 16.99 £ ou 23.98 € chez bloomsbury.com, 18,05 € chez Amazone.fr ) alors qu’il aurait pu l’acheter, à titre d’hypothèse disons 20 €, pour que Eléonore achète dans sa ville, chez son libraire, la biographie de Marguerite Duras par Laure Adler (Gallimard), vendue d’ailleurs au même prix à la FNAC.
Miguelito paye Harry Potter plus cher pour qu’Eléonore puisse acheter dans sa ville, chez son libraire, une biographie de Marguerite Duras.Quel scandale, en effet. Vivement qu’Eléonore habite Paris ou qu’elle achète un PC et une connexion ADSL pour qu’elle et Miguelito puissent enfin bénéficier d’une culture à bon marché.
>Mais on a là plutôt un argument pour une lecture strictement économique : la délocalisation, i.e. allons chercher des auteurs (producteurs) à l’étranger (où les droits sont plutôt avantageux, lorsque la négociation a lieu entre éditeurs, surtout à l’Est). De même pour le catalogue des multinationales : traduisons tel succès dont nous possédons déjà les droits.
Cette logique est vraie des multinationales. Sinon, une traduction coûte en général beaucoup plus cher que la publication d’une oeuvre française : coûts de recherche, d’achats des droits et de traduction, qui s’ajoutent aux autres coûts.
Je ne vois pas dans notre article ce qui justifie une telle lecture. On constate qu’existent des possibilités techniques, et le développement du pluralisme culturel (parfois non marchand) sur le Réseau devrait plutôt te rejouir ;)
Internet va dans le sens du pluralisme. Il complète le paysage culturel actuel. Mais il est cher, lui aussi. Et sa logique ne doit pas devenir hégémonique. Mais on arrive à un volet proprement idéologique, qui appartient, apparemment, à l’impensé de votre article. Vous devriez le penser, d’ailleurs, parce que ce genre de débats ne manquerait pas d’être très intéressant.
90 % des livres vendus chez Compagnie (librairie parisienne proche de la Sorbonne), chez la Boucherie (paris 5e), chez le Cadran lunaire (Macon), le Square (Grenoble), Vent d’Ouest (Nantes), le Quai des brumes (Strasbourg)... Un bon libraire se distingue par ses choix et c’est aussi pour ses choix, pour ses goûts, sa personnalité, qu’on vient le voir.
Cela relativise surtout la pertinence des services de presse pléthoriques, que certains journalistes revendent effectivement pour arrondir leurs fins de mois. Par ailleurs, il est fréquent que les tirages soient trop importants, y compris pour les best-sellers, et finissent en solderie.
Les livres de sciences humaines se vendent mal. Les éditeurs anticipent les mauvaises ventes et font des petits tirages, à des prix élevés. On ne peut pas demander à un auteur de travailler gratuitement, même s’il gagne de l’argent par ailleurs. Les traductions sont aidées par le CNL, ce qui peut contribuer à faire baisser le prix. Internet peut être une bonne solution pour la diffusion de ce type d’ouvrages, à terme. Mais on retombe sur l’obstacle du prestige, qui est particulièrement important dans le domaine universitaire. Mais tout le monde ne réfléchit pas de cette façon, heureusement.
Le jour où l’on ne pourra plus aller dans sa petite librairie de quartier pour discuter avec le libraire de tel ou tel ouvrage, de tel ou tel auteur, encore une fois, quel sera le progrès ? Pour les lecteurs ? Pour la culture ?
Google établit une hiérarchie, une sélection, à partir d’un fonds généraliste, comme le libraire. Mais le libraire a ses goûts, ses envies, ses coups de coeur...
>Le dumping a un sens différent : si une entreprise exporte un produit à un prix inférieur à celui qu’elle pratique normalement sur son propre marché intérieur, on dit qu’elle a recours au “dumping” pour ce produit. Il y aurait dumping si Grasset vendait aux réseaux de distribution par exemple un produit Alain Minc 17,00 € en France et vendait le même produit 1 $ aux Etats-Unis, (ce qui ne poserait pas beaucoup de problèmes à vrai dire).
Il y aurait dumping si les supermarchés Leclerc ou Amazon.fr pouvaient proposer des livres à 20 ou 50 % moins cher que dans les librairies classiques. Ce qui entraînerait une concentration massive de la librairie et la constitution d’un oligopole. On se retrouverait à négocier le prix des livres avec cet oligopole, ce qui entraînera une nouvelle vague de faillites, dans l’édition, cette fois, et aboutira à la constitution d’un nouvel oligopole. Quant à savoir si cela profitera aux auteurs et aux lecteurs... C’est plus que douteux.
Car une fois que les oligopoles ont assuré leur position, les prix remontent. Mécaniquement, puisqu’il n’y a plus de concurrence.
>Il faut bien voir que ce prix unique pénalise surtout notre ami le consommateur, puisqu’il n’empêche pas les fusions dans l’édition et l’existence des transnationales. Ainsi ce dernier va payer plus cher le produit qu’il désire pour financer indirectement un réseau de distribution qu’il n’utilise pas ou la distribution de produits qu’il n’achète pas. Plus cher, parce qu’un grand groupe passe généralement de plus grosses commandes et obtient donc un prix par exemplaire moindre (100.000 unités, par rapport à 10), qu’il peut décider de répercuter sur le prix de vente.
Les multinationales existent, d’accord. Mais il reste des petites structures. Ensuite, ce n’est pas parce que les multinationales existent qu’il faut renforcer leur position. Un consommateur paye ses livres plus cher avec le système du prix unique du livre, mais il paye pour le pluralisme, pour sa propre liberté de choix, pour la culture en général. Au passage, vous n’êtes absolument pas poujadiste - je vous prie de m’excuser pour appréciation un peu rapide -, votre logique est nettement libérale. Ce que confirme le passage suivant :
>En gros, Miguelito va acheter à la FNAC Harry Potter et l’Ordre du Phénix à 26,60 € (prix éditeur 28 €, en vo : 16.99 £ ou 23.98 € chez bloomsbury.com, 18,05 € chez Amazone.fr ) alors qu’il aurait pu l’acheter, à titre d’hypothèse disons 20 €, pour que Eléonore achète dans sa ville, chez son libraire, la biographie de Marguerite Duras par Laure Adler (Gallimard), vendue d’ailleurs au même prix à la FNAC.
Miguelito paye Harry Potter plus cher pour qu’Eléonore puisse acheter dans sa ville, chez son libraire, une biographie de Marguerite Duras.Quel scandale, en effet. Vivement qu’Eléonore habite Paris ou qu’elle achète un PC et une connexion ADSL pour qu’elle et Miguelito puissent enfin bénéficier d’une culture à bon marché.
>Mais on a là plutôt un argument pour une lecture strictement économique : la délocalisation, i.e. allons chercher des auteurs (producteurs) à l’étranger (où les droits sont plutôt avantageux, lorsque la négociation a lieu entre éditeurs, surtout à l’Est). De même pour le catalogue des multinationales : traduisons tel succès dont nous possédons déjà les droits.
Cette logique est vraie des multinationales. Sinon, une traduction coûte en général beaucoup plus cher que la publication d’une oeuvre française : coûts de recherche, d’achats des droits et de traduction, qui s’ajoutent aux autres coûts.
Internet va dans le sens du pluralisme. Il complète le paysage culturel actuel. Mais il est cher, lui aussi. Et sa logique ne doit pas devenir hégémonique. Mais on arrive à un volet proprement idéologique, qui appartient, apparemment, à l’impensé de votre article. Vous devriez le penser, d’ailleurs, parce que ce genre de débats ne manquerait pas d’être très intéressant.