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Du petit commerce de proximité ou du poujadisme ;)

11 octobre 2003, 01:57, par Lirresponsable

Salut,

Dans votre schéma, il n’y a plus de libraires. Comment rêver d’un monde sans libraire ? Ce sont eux qui, très souvent - et pour nombre d’entre eux, avec un salaire équivalent au SMIC-, font le succès d’un livre lorsque l’auteur ou son éditeur ne disposent pas des moyens de le faire connaître. Ils font un travail irremplaçable.

Le libraire est utile dans l’écoulement dans la marchandise (succès de vente). Pourquoi irremplaçable, dans le monde de l’édition actuel ?

- 1) question de coût : payé au SMIC et plus, un employé gagne au début un peu plus que le smic et se stabilise autour de 8 à 10000 F, (d’après l’article de Maurice T.Maschino « Cette passion tenace des libraires de quartier » dans le Diplo de juin 2001), à comparer au salaire d’une attachée de presse (plus du SMIC en général) et au coût d’un magasin (acquisition, entretien, charges, personnel). Sur les aides, cf. les aides du CNL

- 2) rôle de conseil à l’achat plus efficace (proximité, crédibilité face aux copinages dans les revues et la presse) , relation de confiance avec le client, temps d’écoute, démarche personnalisée, à comparer aux frais de publicité et de marketing.

- 3) Il supporte, via l’office, l’inflation des nouveautés, qui produit certes une activité comptable, malgré un taux de retour moyen d’environ 30 %.

A titre personnel, j’ai de la sympathie pour les petits libraires mais elle ne me force pas à ne pas reconnaître un état de fait : le libraire est un commerçant qui vend des livres, commerce de détail tout comme une épicerie. Et je ne vois pas ce qu’il y a d’infamant à l’affirmer (ce n’est ni laudatif ni péjoratif).

La question seconde est alors celle du type de sociabilité produite par ce type de commerce. On a tendance à considérer que l’activité du libraire est plus culturelle ou intellectuelle que celle du marchand de fruits et légumes parce que le produit livre a une spécificité que ne possède pas le poivron. Pour combien de livres en pourcentage cette affirmation est-elle valable ?

J’apprécie, en plus des libraires car je fréquente surtout le marché second, les bouquinistes qui sont pour la plupart très sympathiques, connaisseurs et bons commerçants (ristourne sans demande pressante du client, rabais lié à la quantité achetée, facilité de paiement, réservations, recherches). Il est d’ailleurs amusant de voir sur les quais [de la Seine (NDLR)] certains ouvrages dédicacés et envoyés à des décideurs qui préfèrent se délester de l’exemplaire contre un peu de cash, tout comme les bacs d’invendus bradés dans les solderies où s’étalent des titres pourtant présentés en tant que bestsellers par la presse d’il y a quelques mois (enfin c’est mieux que le pilon). Ce qui relativise un peu la valeur dite culturelle du produit.

Mais ce qui me scandalise vraiment, en tant que consommateur furieux et citoyen, c’est le prix des livres de sciences humaines (réalisés par des auteurs déjà payés par l’Etat dans le cadre de leur activité : recherche, traduction, conférence, etc.).

Vous avez déjà essayé de parler avec Google de la beauté du style chez William Styron ?

Bah, Google est un moteur de recherches donc utile pour trouver l’adresse des documents relatifs à la requête tapée. Ce n’est pas la bonne comparaison (puis le coup de la substitution de l’humain par l’automate est datée) ; c’est comme de parler installation d’un chauffe-eau avec les pages jaunes au lieu d’en discuter avec un plombier chauffagiste.

Si je veux lire une critique, je vais par exemple sur culture et révolution, et pour en discuter je contacte l’auteur de l’article ou utilise des forums dédiés à la littérature (web, newsgroups).

D’ailleurs certaines librairies en ligne proposent un espace pour les petits commentaires, ce qui est très mignon, et surtout amusant lorsque l’auteur de l’ouvrage proposé à la vente poste dix commentaires élogieux.

Il est interdit, en France, de consentir un rabais supérieur à 5 % du prix de vente lorsque l’on commercialise un livre. Ce taux protège les éditeurs et les libraires indépendants contre le dumping des grands groupes.

Oui la fameuse loi lang du 10 août 1981. Elle vise à préserver le petit commerce de proximité, le réseau de distribution des librairies en empêchant que les grosses chaînes de distribution vendent les mêmes livres à un prix inférieur, et également à soutenir les maisons d’éditions qui ne sont distribuées que par les librairies indépendantes.

Le dumping a un sens différent : si une entreprise exporte un produit à un prix inférieur à celui qu’elle pratique normalement sur son propre marché intérieur, on dit qu’elle a recours au “dumping” pour ce produit.

Il y aurait dumping si Grasset vendait aux réseaux de distribution par exemple un produit Alain Minc 17,00 € en France et vendait le même produit 1 $ aux Etats-Unis, (ce qui ne poserait pas beaucoup de problèmes à vrai dire).

On trouve dans des textes qui approuvent cette loi le lien entre l’aspect économique et l’aspect culturel rhétoriquement établi, par exemple dans « Vingt ans de loi Lang » de Christine Porteli.

Il faut bien voir que ce prix unique pénalise surtout notre ami le consommateur, puisqu’il n’empêche pas les fusions dans l’édition et l’existence des transnationales. Ainsi ce dernier va payer plus cher le produit qu’il désire pour financer indirectement un réseau de distribution qu’il n’utilise pas ou la distribution de produits qu’il n’achète pas.

Plus cher, parce qu’un grand groupe passe généralement de plus grosses commandes et obtient donc un prix par exemplaire moindre (100.000 unités, par rapport à 10), qu’il peut décider de répercuter sur le prix de vente.

En gros, Miguelito va acheter à la FNAC Harry Potter et l’Ordre du Phénix à 26,60 € (prix éditeur 28 €, en vo : 16.99 £ ou 23.98 € chez bloomsbury.com, 18,05 € chez Amazone.fr ) alors qu’il aurait pu l’acheter, à titre d’hypothèse disons 20 €, pour que Eléonore achète dans sa ville, chez son libraire, la biographie de Marguerite Duras par Laure Adler (Gallimard), vendue d’ailleurs au même prix à la FNAC.

On trouverait absurde une loi qui définirait un prix unique des jeans taille 40 pour protéger les boutiques spécialisées qui vendent des grandes tailles et les fabricants ; même en trouvant un ministre pour affirmer que cette loi est juste car elle lutte contre la discrimination envers les obèses et préserve le pluralisme et la diversité des pantalons.

Si on regarde du côté de la grande distribution, la réglementation est utile pour limiter la disparition du tissu local (tm), préserver le commerce de proximité, et endiguer la corruption des élus locaux. Mais elle est de courte durée, car les grands groupes savent s’adapter aux réglements sur l’implantation des grandes surfaces. Par exemple le groupe Casino exploite les enseignes Franprix et Leader Price.

A ce propos,le poujadisme est un mouvement politique fondé par Pierre Poujade en 1953 pour défendre initialement les intérêts des commerçants et des artisans contre les agissements du fisc. La thématique petit commerce contre la grande distribution est également utilisée...

Nous ne défendons pas dans cet article la grande distribution mais incitons plutôt les auteurs à publier eux-mêmes. Tout comme de petits producteurs (de miel, fromages, etc.) peuvent décider de se regrouper et de vendre eux-mêmes leurs produits sans passer par les contraintes de la grande distribution (fournir la marchandise et être payé 170 jours plus tard, payer le ticket d’entrée pour être référencé, payer la publicité imprimée, payer pour être en tête de gondole, diminuer sa marge et donc les bénéfices pour espérer que la quantité augmentera, etc.). En plus, ces produits sont souvent de meilleure qualité, à un prix qui n’est pas forcément prohibitif.

De nombreuses oeuvres n’existent que parce qu’un éditeur en a passé commande auprès d’un auteur.

Oui c’est vrai pour les oeuvre de commande (faudrait m’écrire un truc sur les chats dans le monde pour noël), mais c’est inverser l’ordre de production. Il existe de nombreuses oeuvres à l’état de manuscrits, projets, études, inédites, tombées dans le domaine public (nouvelles publiées dans les journaux) etc. On peut donc dire qu’un livre publié existe parce qu’il a été publié, mais on peut distinguer entre l’exemplaire imprimé et livre en tant que contenu de sens, que l’auteur décide d’écrire de son plein gré hors commande.

De nombreuses oeuvres ne sont traduites en France que parce qu’un éditeur a investi de son temps et de son énergie pour les faire traduire.

N’oublions pas les énergiques traducteurs ! :))

Ce travail de traduction est important, tu as raison. Par exemple grâce aux éditions Philippe Picquier, pour 55 F on peut lire Nagao Seio, Meurtres à la cour du prince Genji, (1986), 1994, 1997 pour l’édition poche.

Mais on a là plutôt un argument pour une lecture strictement économique : la délocalisation, i.e. allons chercher des auteurs (producteurs) à l’étranger (où les droits sont plutôt avantageux, lorsque la négociation a lieu entre éditeurs, surtout à l’Est). De même pour le catalogue des multinationales : traduisons tel succès dont nous possédons déjà les droits. Ou contruisons la demande en proposant tel produit, lorsque les auteurs locaux produisent mal, pas assez, ne se vendent pas.

De nombreux éditeurs, ou directeurs de collections, sont eux-mêmes des auteurs. Ce qui présente des défauts (microcosme et copinage) et des qualités (sélection et travail des textes, constitution d’écoles littéraires ou de pensée).

J’ai répondu à JDP (voir le message plus bas sur cette question de la qualité). En considérant le nombre d’ouvrages publiés, la sélection doit aboutir à des performances équivalentes à celles des prédictions astrologiques. A moins de considérer que par exemple 90% de ce qui est publié sous le label littérature est 1) de la littérature 2) deviendra un classique.

[Internet] mais pourquoi en faire un modèle hégémonique ? Au nom de quelle idéologie ?

Je ne vois pas dans notre article ce qui justifie une telle lecture. On constate qu’existent des possibilités techniques, et le développement du pluralisme culturel (parfois non marchand) sur le Réseau devrait plutôt te rejouir ;)

a+