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Oui-da (suite impromptue de Ménilboné)

10 octobre 2003, 18:25, par Lirresponsable

[préambule : Je ne vise pas uniquement le KO ;), mais le forum étant public, d’autres peuvent participer, c’est pourquoi je préfère le dialogue avec extraits du message auquel on répond, ce qui donne certes des messages plus longs mais aussi permet de clarifier les points discutés, du moins de les signaler.]

le système éditorial classique actuel offre PLUS à ceux qui arrivent à s’y insérer que leurs seuls droits d’auteur (dont vous nous expliquiez, dans une intention qui s’avère donc un peu fallacieuse, qu’on pouvait obtenir le même montant en vendant sur l’Internet avec plus de marge).

Que nenni ami, mon intention n’était point fallacieuse ! Nous étions dans un cadre hypothétique, où l’auteur considère qu’il peut lui être profitable à long terme (carrière) de minorer son bénéfice sur la vente du produit en fonction du "Plus" en question. Je ne dis donc pas : 1) que la vente en ligne est équivalente ou aussi performante que la distribution classique 2) que le "Plus" n’existe pas. Au contraire c’est bien ce "Plus" qui permet de comprendre pourquoi un calcul rationnel a, dans les conditions actuelles, pour résultat le choix de l’édition classique.

Cependant, ce "Plus" en question n’a pas grand chose à voir avec la littérature ; cela, chacun y donnera son assentiment. On ne peut donc pas affirmer que la nature du "Plus" (gains matériels) n’a pas d’importance dans l’économie même du choix éditorial, pour, dans le même temps, lui attribuer une nature symbolique déterminante (prestige) qui expliquerait la préférence.

Si la diffusion de l’écrit est le but principal, alors en effet les choses changent, et de ce point de vue, qu’un individu qui publie ne prenne pas au sérieux l’Internet éclaire sur ses motivations.

voilà.

C’est pourquoi j’ai écrit en mettant un terme à la Porte que « le web ne m’apparaît plus comme un lieu "possible" pour faire circuler la création littéraire, mais comme le nouveau lieu naturel et premier dans ce but. »

Pourrais-tu nous rédiger, quand tu auras le temps et l’envie, un article sur le sujet (expérience de la Porte, conclusions sur la nature de la diffusion, et lieu premier de réalisation) ? Imagine que je suis un éditeur qui passe commande ! :))

Vous dites que c’est « évidemment absurde » de penser qu’on a le talent de Céline si on est publié par Gallimard, mais que c’est « efficient socialement ». Ca n’est pas si « évidemment absurde », non : Gallimard a construit sur une longue durée une réputation importante ; c’est dans leur intérêt de la maintenir, et en publiant des merdes ils se sabordent. Donc il y a effectivement là une forme de garantie, sans doute la meilleure imaginable dans notre cadre social.

C’est absurde parce que :

- (1) Ceux qui ont décidé de publier un auteur aujourd’hui reconnu ne sont peut-être plus de ce monde (dans l’hypothèse où la sélection est réelle évaluation d’une qualité existante qui est alors reconnue pour ce qu’elle est au moment où elle se manifeste).
- (1.1) Les erreurs existent : daubes publiées, auteurs importants non reconnus.
- (1.11) La probabilité de publier un bon auteur est variable, elle dépend également du nombre actuel de bons auteurs ; et il peut s’agir d’un coup de chance (i.e. on peut faire l’économie de la qualité de la sélection).
- (1.111) Un auteur génial peut ne pas souffrir la moindre discussion, la reconnaissance de son talent est alors implicite, chez les professionnels, et ne leur demande donc pas d’effort ou de qualités particulières.
- (1.2) Ce n’est pas parce que X décide de publier un bon auteur Y et Z, que Z est un bon auteur
- (2) le catalogue comporte des auteurs rachetés à d’autres éditeurs (lorsque leur valeur est déterminée).
- (2.1) les erreurs stratégiques ou les fautes sont alors dissimulées.
- (3) les directeurs de collections sont souvent permutables, ils changent de maison.
- (3.1) d’où difficulté à évaluer la construction de la réputation pour telle maison.
- (3.11) c’est pourquoi il est plus pratique d’étudier l’édition comme un tout.

La constrution de la réputation s’accomode d’aléas et elle s’effectue dans le temps, chose comparable à la patine. Ou la légitimité qui vient, telle la poussière, recouvrir les vieilles institutions.

A titre personnel, je ne crois pas à la garantie de la réputation, qui me semble inférer de l’épreuve de la durée une valeur qui serait de la sorte démontrée. Il y a pour le public, le poids de l’habitude, et du côté de l’institution, son envers pratique : le pouvoir = capacité de nuisance (censure, vendetta), poids économique, relais d’opinion, etc. (exemple actuel bien connu de Debord chez Gallimard).

C’est pourquoi l’évidence de l’argument : "si trop de merdes publiées, alors fin de la réputation" est discutable, tout comme l’appel à l’intérêt. Elle tient à la forme circulaire de la justification d’un pouvoir quelconque (je suis légitime, et bon, parce que j’existe depuis longtemps, parce que je suis légitime et bon).

En changeant de domaine : cet homme politique n’est pas corrompu puisqu’il exerce ce metier depuis trente ans. C’est bien la preuve de sa valeur ! Enfin voyons, il n’aurait pas tenu ses promesses, et truqué des marchés publics, il ne pourrait se maintenir.

On voit la relativité de l’argument et son caractère réversible : c’est bien parce qu’il a su louvoyer et tirer parti de certaines opportunités qu’il a pu se maintenir (adaptation au biotope). La question est alors de déterminer dans quelle mesure l’espèce considérée modifie le biotope à son avantage, (bien que ce dernier subisse également des modifications autres), pour se maintenir.

Pour en revenir à l’édition, et la concurrence entre maisons, on constate que la réputation des vieilles institutions est régulièrement critiquée, de manière pratique, par de nouvelles qui apparaissent. (Là, il faudrait étudier l’histoire de l’édition, par exemple le rôle des Editions de Minuit). En tout cas, l’existence même de nouvelles maisons d’édition montre la relativité de la réputation (il faut bien qu’elle trouve des auteurs ou en débauche d’anciens).

Enfin, la réputation est modulable suivant la perspective de l’auteur, puisque ce dernier a plutôt tendance à considérer que la maison qui le publie a une bonne réputation...puisqu’elle le publie. (ou comment l’intérêt détermine les valeurs symboliques secondes).

Publier sur l’Internet (je ne parle pas de chroniques par lesquelles on se fait plaisir en essayant de se créer une réputation, je parle de textes qui ont le niveau d’ambition et d’exigence d’un livre, justement), ça n’est pas vraiment privilégier la diffusion, mais la mise à disposition commode pour le petit nombre que ça intéresse vraiment et qui savent trouver.

C’est un argument gratuit ! Je ne parle pas de l’allusion à la démarche intéressée des chroniqueurs ;), mais de la restriction imposée ici à la publication sur Internet.

On est bien d’accord, ce n’est pas en publiant 500.000 exemplaires de tel poète inconnu que d’un coup le public va se précipiter sur l’ouvrage. Les tirages dans l’édition ne sont pas irrationnels : la prévision de vente n’est pas totalement arbitraire, elle tient compte du succès possible relativement au genre, au public visé, etc.

On peut alors interpréter la publication d’un livre en ligne comme étant uniquement un moyen commode, qui ne change pas fondamentalement les intérêts du public. D’où les limites des politiques culturelles qui visent pas une démarche volontaire portant sur la diffusion à modifier la réception. Ainsi du type de public qui fréquente les bibliothèques.

C’est sans doute vrai, mais pas le plus important, car, et on a là un aspect déterminant pour l’auteur, le livre en ligne est publié, c’est-à-dire en développent la définition, il est disponible, rendu public. Il y a bien un changement d’état entre ceci et le manuscrit sous forme de fichier sur le disque dur.

Sinon, on retombe dans le vieux débat sur l’inutilité du web. C’est un fait, et non une idéologie, un écrit en ligne peut connaître de la fréquentation et parfois plus qu’un imprimé (pour les petits tirages, 200 exemplaires, c’est flagrant).

Donner des nombres de pages web lues et les comparer à des tirages de roman est vraiment simpliste, et vous le savez bien. Si tel livre a été vendu à 1000 exemplaires, mais pris en main (et reposé) 10 000 fois en librairie, alors 11000 est déjà un chiffre plus juste à comparer avec le nombre de pages vues.

C’est un mode de présentation simplifiée afin de donner un exemple et de montrer que la fréquentation existe (le document est consulté). Bien entendu, notre article n’établit pas une stricte équivalence entre le nombre de hits d’une page et le nombre de vente d’un roman imprimé. On écrit :

« Si l’on compare ces chiffres aux fréquentations des sites Web, on constate qu’il est nettement plus facile pour un auteur de « toucher son public » via le réseau qu’au travers d’un livre. »

La facilité en question ici signifie que la démarche est plus économique (pour tout le monde : auteur, lecteur). Cette affirmation vise également à contredire l’idée d’une supériorité intrinsèque du livre en terme de diffusion. Il y a là un obstacle qui tient surtout aux moeurs : beaucoup d’amateurs de livres considèrent encore que le lieu naturel du livre est (a) le produit vendu en librairie ou (b) l’exemplaire papier donc (a).

L’expression ambigüe entre guillemets (toucher son public) est sans doute la cause de cette lecture : dans un sens restrictif elle signifie que les individus uniquement intéressés par le contenu de l’écrit y accederont. Ce que tu évoques en parlant du « petit nombre intéressé » qui sait trouver. Elle implique également une plus grande ouverture, certes de droit et non de fait : des individus non visés initialement pourront y accéder.

PS

Sur kazaa en ce moment, 5 titres de Buxtehude ; mais l’heure n’est pas propice. D’autre part cela ne répond pas aux difficultés de l’évaluation ;).