La question du plagiat, de l’hypertexte est posée par le cae (critical art ensemble qui ne peut définir ses propres règles que par ses références à différents mouvements d’avant garde et de critique se plaçant lui-même sur ce terrain comme une sorte d’auto-référence ou boucle) parce que les frontières sont de plus en plus troubles entre une création artistique au sens que tu rattaches à Kant et une création de plus en plus liée à la raison marchande. Par exemple, les poèmes partitions de Bernard Heidsieck rentrent dans la catégorie de la création de génie, tandis que le dernier tube à la mode, lui, rentre dans la catégorie de la production commerciale honnête sans être géniale dans un sens absolu ; ce qui n’empêche pas que certains produits commerciaux se révèlent, par la suite, avec le temps, une oeuvre de génie de même que les poèmes partitions pourront être perçus comme une simple oeuvre honnête à l’image de leur temps.
Le problème vient de la définition proposée : « le génie est donc, pour kant et tout un chacun, celui qui possède une faculté innée, un don naturel ou talent, qui se traduit par la production d’oeuvres originales, c’est à dire des oeuvres radicalement nouvelles et exemplaires sans que ce dernier soit capable d’expliquer ce qu’il a réalisé. »
Comme tu le soulignes la question est de savoir si il est possible de créer une oeuvre entièrement originale (un mal sans précédent au coeur de notre époque) ou si l’oeuvre ne recombine pas, en fin de compte, des éléments préexistants qui délivrerait un nouveau sens (thèse du cae certes, mais aussi amer constat de toutes ces oeuvres soit disant originales qui finissent, toutes, par recombiner des idées préexistantes et donc débouche, inévitablement, sur la question de l’appartenance de l’oeuvre : chacun voyant dans l’oeuvre de l’autre une partie de sa propre oeuvre).
L’imbroglio est bien sur ce point, heureusement que la loi du 11 mars 1957 vient au secours de ce problème et règle juridiquement la question en posant deux distinctions claires : l’idée et son expression. Est protégé d’une part l’idée qui, de ce fait, ne peut appartenir à quiconque et d’autre part son expression qui devient la faculté créatrice, originale voire ordinale de l’auteur. Et c’est certainement cela qui a fait le plus de mal à la création plongeant les auteurs dans les méandres psychologiques et torturés d’une expression originale favorisant l’apparition de la tractation marchande : une bonne oeuvre est celle qui se vend le plus et plus, subtilement, celle aussi qui ne se vend pas forcément le plus mais qui dispose d’une bonne réputation dans les milieux ad hoc.
L’enjeu de la création actuel est bien éloigné de la tentative de la définition de Kant et s’applique seule à quelques exceptions qui viennent confirmer la définition de Kant. Ce qui permet aux puristes de dire qu’il y a encore des oeuvres de création de génie aujourd’hui et pour peu que ce génie trouve un éditeur qui lui fabriquera un paquetage de son oeuvre au design achevé, le tour est joué. Là aussi l’exemplarité peut être mise en difficulté tant les rouages sont bien huilés et chacun sait comment un objet peut être vendu suivant à qui il s’adresse surtout s’il est estampillé underground, culte ou ex (ayant appartenu à).
« Le génie produit ses propres règles. » Les règles qui sont produites ne le sont plus par l’artiste de génie mais par l’environnement auquel il participe. Et aujourd’hui le véritable génie, c’est l’éditeur, ce génial éditeur, souvent le petit ou le moyen, qui a su découvrir l’artiste rare, le tirer de sa gangue expressive pour en faire un homme de qualité, d’exception ; autrement dit : se faire reconnaître, là aussi un autre méandre psychologique, véritable torture, qui en plonge plus d’un dans le désarroi mais laissons cela dans le secret des cabinets analytiques. La transformation est subtile et tout à l’honneur de l’éditeur. Cette faculté est poussée à l’extrême dans les médias de transmission contemporains où il est de bon ton d’être à la fois animateur et producteur de sa propre oeuvre. Ce qui l’est plus rare chez l’artiste, il est artiste et ne peut plus être le produit de son propre art afin de réaliser, à juste titre, ses propres règles. Confusion parmi la confusion.
Comme le dit le poète Serge Pey : « Dans un pays où on crucifie dieu, ce n’est pas dieu qui est libre mais la torture. »
L’art et l’idée séparés de la connaissance.
« En fait le problème est de savoir si l’on peut appliquer le terme ’idée’ dans le cas de l’artiste et si l’art a un rapport quelconque avec la connaissance. » En voilà une de question !!
Pour répondre à cela il faudrait définir avec clarté le terme idée, définir le terme d’artiste et de connaissance, ce qui n’est pas une mince affaire. J’avoue que jusqu’à présent je n’avais jamais réellement séparé les trois et ils me semblaient provenir de la même source : création. Toute création apporte une connaissance puisqu’elle sépare une chose d’une autre et c’est dans cette idée (sic !) que j’entends le mot état, un changement dynamique un peu comme une réaction chimique qui transforme un matériau d’un état liquide vers un état gazeux par exemple non pas comme « état (mental) déterminé par une manière de comprendre (psychologisme). »
Il est évident que l’art à un rapport avec la connaissance, l’art ne se construit pas d’une pure manière émotive (subjective où le sujet ressent quelque chose, une douleur, une joie, et doit exprimer cette chose selon des modalités artistiques au contenu flou, ça c’est la définition mercantile de l’art et l’on voit beaucoup se tromper sur ce sujet : ah je ressens quelque chose donc je le traduis en art ; non ça c’est se méconnaître soi-même).
Par la combinaison d’un espace dans un autre, la clôture, le champ déterminent le sens de l’appropriation par la création d’une séparation dans l’espace ou géométriquement parlant : d’une figure dans un plan. La figure se distingue du plan par sa forme qui fait apparaître le plan en retour non pas uniquement la figure, le tracé. Le plan apparaît en même temps que la figure. Aujourd’hui l’art fait apparaître le plan, la carte de notre monde (il faut entendre plan dans ces deux sens : limite spatiale mais aussi détermination d’un but).
L’ouvrage de Kandinsky, point et ligne sur plan, tente de retrouver ce « savoir » contenu dans les oeuvres artistiques et pourquoi le point, la ligne et le plan sont disposés d’une manière si particulière et précise formant l’expression artistique.
En mon sens ce sont ces observations de changements d’états dynamiques qui ont apporté le sens, la connaissance et, en conséquence, la création. Il reste des résidus de cette perception primitive de la connaissance à travers nos folklores ou notre vie quotidienne. Avec la canicule de ces derniers jours, est vite arrivée cette idée qu’il y avait là quelque chose d’anormal, que la terre indiquait quelque chose à l’homme comme le dit mon vieux voisin. Notre esprit rationnel actuel refuse ce genre de perception parce que liée à un forme d’ignorance sur nous-mêmes mais c’est plutôt le contraire qui se passe, c’est par le biais de ces changements d’états physiques et naturels que l’homme a été amené à réfléchir sur son monde en retour. De nombreuses cosmologies anciennes sont nées à partir de ces observations. Et l’homme n’a jamais cessé d’améliorer l’objet de ses observations pour aboutir à des conclusions plus fines, d’où mon raccourci entre Dieu et le big bang qui restent, selon moi, les deux points culminants de la compréhension de l’homme et de son univers. Ils reposent fondamentalement sur les mêmes idées excepté que la première explication reste plus de l’ordre de l’intuition que de la preuve scientifique selon nos critères actuels.
L’art utilise des moyens expressifs différents parce que notre langage est très restreint par rapport au spectre des expressions possibles et, par sa faculté de séparation, il reproduit les conditions d’un changement d’état dynamique. C’est ce que Kant soutient à travers sa définition du génie artistique qui ne peut être que séparé du monde, créant ses propres oeuvres originales obéissant à des règles autonomes difficilement explicables : condition idéale pour garder le mystère.
Restons un moment sur ce paradoxe : l’artiste s’exprime avec art mais ne peut dire ce qu’il fait. L’art contient en lui-même les prémisses de la révélation et du mystère d’un langage particulier. Certes, comme tu le dis, nous utilisons un alphabet fini qui, grâce à de multiples combinaisons, devient quasi infini, illusion que l’être humain vénère. Ce dernier est composé par deux sons fondamentaux : l’explosion et le souffle, respectivement consonne et voyelle (voir la définition de Grévisse dans son fameux « Bon usage »), ensuite par la combinaison de ces deux sons et comment ils seront placés lors de la phonation (gorge, palais, nez, langue) accompagnés par la modulation (intonation, chuchotement, sifflements, criés, mouillés), par l’émotion (joie, colère, peur, amour) par l’environnement (relations intimes, parentales, de travail, d’enseignement, sociales, touristiques) incluant les différences linguistiques (niveaux de langages soutenu, courant, argotique, régional, adaptation par rapport à une langue maternelle étrangère) ; de toutes ces combinaisons nous avons l’impression d’une infinité qui n’est que la démonstration de la pauvreté de la constitution de notre système de connaissance basique alors que nous avons développé au fil des siècles un spectre beaucoup plus large correspondant mieux à nos facultés et l’art rentre dans cette catégorie parce que le langage que nous utilisons est si étroit, si fermé qu’il nous oblige et nous dirige indirectement vers de nouvelles modalités expressives qui semblent nous échapper parce que, justement, elles ne peuvent pas rentrer dans le langage d’où ce fait que l’artiste, selon Kant, ait du mal a exprimer clairement ce qu’il produit.
L’art se construit à partir d’idées concrètes, il n’utilise pas les mêmes modalités d’expression que les idées dans le domaine classique de la pensée et c’est ce qui nous déroute. En même temps c’est ce qui trahit l’art car, du même coup, se tromper sur la modalité de l’expression artistique est tout aussi évident puisque les modalités expressives ne sont plus les mêmes et chacun y puise son oeuvre d’artiste qui, bien souvent, ressort, là, oui, d’un changement d’état psychologique déterminé par une modification de la compréhension (Cette fonction de l’art, comme moyen d’exprimer un changement d’état psychologique est utilisé dans certains milieux thérapeutiques).
« Donc les idées changent bien avec notre compréhension. » Ce ne sont pas les idées qui changent avec notre compréhension mais notre manière d’approcher ces idées qui modifient, en retour, notre compréhension sur nous-mêmes et sur notre environnement. Et, je me répète encore, c’est de ces observations, de ces différences de comportement, ou changements d’états que nous en arrivons à réfléchir sur nous-mêmes et notre comportement. De même que l’objet d’art nous pousse hors de nous-mêmes, nous sépare de notre quotidienneté pour nous faire réfléchir, en retour, sur ce que nous faisons et, peut-être, prendre conscience par la suite. Et, bien souvent, c’est cette prise de conscience que nous appelons connaître dont nous gardons l’impression essentielle en nous sous forme d’idée (sorte de stockage mnémotechnique).
De l’imitation
Je finirai avec un renvoi, en écho au discours d’aujourd’hui, sur la notion d’imitation et rappelle qu’il y a quelques siècles de cela une polémique s’installa autour de cette question : faut-il imiter le style de Ciceron, pour la prose, et celui de Virgile, pour la poésie, ou, faut-il, créer son propre style tout en s’inspirant des grands écrivains ? A cette époque on parlait plus de style et moins de plagiat, la technique du recombinatoire était une chose acquise en ce sens qu’imiter un style ou parvenir à une certaine qualité d’expression donnait une certaine aura. Après tout, si Ciceron et Virgile, représentaient une forme d’acmé du style, eux-mêmes puisèrent leurs sources chez leurs ancêtres. On ne se battait pas pour de vulgaires bouts de phrases construites autour de la possession de telle ou telle phrase, concept ou idée ; si, de nos jours, il y a bataille, qu’on le veuille ou non et quelque ressentiment qu’il puisse en découler, la raison en est reliée à la marchandisation extrême de la raison, au désir d’avoir possession d’une idée, d’une phrase, d’un texte et d’exiger, en retour, un prix à payer en échange de l’utilisation de ce bout de connaissance, l’excellence n’est plus dans le connaître mais dans le « combien cela rapporte ». A lire : de l’imitation, échange épistolaire entre Jean-François Pic de la Mirandole (le neveu du célèbre Jean Pic de la Mirandole, à ne pas confondre donc) et Pietro Bembo. Lire aussi, de l’imitation de Guilio Camillo Delminio répondant au célèbre pamphlet d’Erasme, le cicéronien.
l’artiste, le génie et son propriétaire :
La question du plagiat, de l’hypertexte est posée par le cae (critical art ensemble qui ne peut définir ses propres règles que par ses références à différents mouvements d’avant garde et de critique se plaçant lui-même sur ce terrain comme une sorte d’auto-référence ou boucle) parce que les frontières sont de plus en plus troubles entre une création artistique au sens que tu rattaches à Kant et une création de plus en plus liée à la raison marchande. Par exemple, les poèmes partitions de Bernard Heidsieck rentrent dans la catégorie de la création de génie, tandis que le dernier tube à la mode, lui, rentre dans la catégorie de la production commerciale honnête sans être géniale dans un sens absolu ; ce qui n’empêche pas que certains produits commerciaux se révèlent, par la suite, avec le temps, une oeuvre de génie de même que les poèmes partitions pourront être perçus comme une simple oeuvre honnête à l’image de leur temps.
Le problème vient de la définition proposée : « le génie est donc, pour kant et tout un chacun, celui qui possède une faculté innée, un don naturel ou talent, qui se traduit par la production d’oeuvres originales, c’est à dire des oeuvres radicalement nouvelles et exemplaires sans que ce dernier soit capable d’expliquer ce qu’il a réalisé. »
Comme tu le soulignes la question est de savoir si il est possible de créer une oeuvre entièrement originale (un mal sans précédent au coeur de notre époque) ou si l’oeuvre ne recombine pas, en fin de compte, des éléments préexistants qui délivrerait un nouveau sens (thèse du cae certes, mais aussi amer constat de toutes ces oeuvres soit disant originales qui finissent, toutes, par recombiner des idées préexistantes et donc débouche, inévitablement, sur la question de l’appartenance de l’oeuvre : chacun voyant dans l’oeuvre de l’autre une partie de sa propre oeuvre).
L’imbroglio est bien sur ce point, heureusement que la loi du 11 mars 1957 vient au secours de ce problème et règle juridiquement la question en posant deux distinctions claires : l’idée et son expression. Est protégé d’une part l’idée qui, de ce fait, ne peut appartenir à quiconque et d’autre part son expression qui devient la faculté créatrice, originale voire ordinale de l’auteur. Et c’est certainement cela qui a fait le plus de mal à la création plongeant les auteurs dans les méandres psychologiques et torturés d’une expression originale favorisant l’apparition de la tractation marchande : une bonne oeuvre est celle qui se vend le plus et plus, subtilement, celle aussi qui ne se vend pas forcément le plus mais qui dispose d’une bonne réputation dans les milieux ad hoc.
L’enjeu de la création actuel est bien éloigné de la tentative de la définition de Kant et s’applique seule à quelques exceptions qui viennent confirmer la définition de Kant. Ce qui permet aux puristes de dire qu’il y a encore des oeuvres de création de génie aujourd’hui et pour peu que ce génie trouve un éditeur qui lui fabriquera un paquetage de son oeuvre au design achevé, le tour est joué. Là aussi l’exemplarité peut être mise en difficulté tant les rouages sont bien huilés et chacun sait comment un objet peut être vendu suivant à qui il s’adresse surtout s’il est estampillé underground, culte ou ex (ayant appartenu à).
« Le génie produit ses propres règles. » Les règles qui sont produites ne le sont plus par l’artiste de génie mais par l’environnement auquel il participe. Et aujourd’hui le véritable génie, c’est l’éditeur, ce génial éditeur, souvent le petit ou le moyen, qui a su découvrir l’artiste rare, le tirer de sa gangue expressive pour en faire un homme de qualité, d’exception ; autrement dit : se faire reconnaître, là aussi un autre méandre psychologique, véritable torture, qui en plonge plus d’un dans le désarroi mais laissons cela dans le secret des cabinets analytiques. La transformation est subtile et tout à l’honneur de l’éditeur. Cette faculté est poussée à l’extrême dans les médias de transmission contemporains où il est de bon ton d’être à la fois animateur et producteur de sa propre oeuvre. Ce qui l’est plus rare chez l’artiste, il est artiste et ne peut plus être le produit de son propre art afin de réaliser, à juste titre, ses propres règles. Confusion parmi la confusion.
Comme le dit le poète Serge Pey : « Dans un pays où on crucifie dieu, ce n’est pas dieu qui est libre mais la torture. »
L’art et l’idée séparés de la connaissance.
« En fait le problème est de savoir si l’on peut appliquer le terme ’idée’ dans le cas de l’artiste et si l’art a un rapport quelconque avec la connaissance. » En voilà une de question !!
Pour répondre à cela il faudrait définir avec clarté le terme idée, définir le terme d’artiste et de connaissance, ce qui n’est pas une mince affaire. J’avoue que jusqu’à présent je n’avais jamais réellement séparé les trois et ils me semblaient provenir de la même source : création. Toute création apporte une connaissance puisqu’elle sépare une chose d’une autre et c’est dans cette idée (sic !) que j’entends le mot état, un changement dynamique un peu comme une réaction chimique qui transforme un matériau d’un état liquide vers un état gazeux par exemple non pas comme « état (mental) déterminé par une manière de comprendre (psychologisme). »
Il est évident que l’art à un rapport avec la connaissance, l’art ne se construit pas d’une pure manière émotive (subjective où le sujet ressent quelque chose, une douleur, une joie, et doit exprimer cette chose selon des modalités artistiques au contenu flou, ça c’est la définition mercantile de l’art et l’on voit beaucoup se tromper sur ce sujet : ah je ressens quelque chose donc je le traduis en art ; non ça c’est se méconnaître soi-même).
Par la combinaison d’un espace dans un autre, la clôture, le champ déterminent le sens de l’appropriation par la création d’une séparation dans l’espace ou géométriquement parlant : d’une figure dans un plan. La figure se distingue du plan par sa forme qui fait apparaître le plan en retour non pas uniquement la figure, le tracé. Le plan apparaît en même temps que la figure. Aujourd’hui l’art fait apparaître le plan, la carte de notre monde (il faut entendre plan dans ces deux sens : limite spatiale mais aussi détermination d’un but).
L’ouvrage de Kandinsky, point et ligne sur plan, tente de retrouver ce « savoir » contenu dans les oeuvres artistiques et pourquoi le point, la ligne et le plan sont disposés d’une manière si particulière et précise formant l’expression artistique.
En mon sens ce sont ces observations de changements d’états dynamiques qui ont apporté le sens, la connaissance et, en conséquence, la création. Il reste des résidus de cette perception primitive de la connaissance à travers nos folklores ou notre vie quotidienne. Avec la canicule de ces derniers jours, est vite arrivée cette idée qu’il y avait là quelque chose d’anormal, que la terre indiquait quelque chose à l’homme comme le dit mon vieux voisin. Notre esprit rationnel actuel refuse ce genre de perception parce que liée à un forme d’ignorance sur nous-mêmes mais c’est plutôt le contraire qui se passe, c’est par le biais de ces changements d’états physiques et naturels que l’homme a été amené à réfléchir sur son monde en retour. De nombreuses cosmologies anciennes sont nées à partir de ces observations. Et l’homme n’a jamais cessé d’améliorer l’objet de ses observations pour aboutir à des conclusions plus fines, d’où mon raccourci entre Dieu et le big bang qui restent, selon moi, les deux points culminants de la compréhension de l’homme et de son univers. Ils reposent fondamentalement sur les mêmes idées excepté que la première explication reste plus de l’ordre de l’intuition que de la preuve scientifique selon nos critères actuels.
L’art utilise des moyens expressifs différents parce que notre langage est très restreint par rapport au spectre des expressions possibles et, par sa faculté de séparation, il reproduit les conditions d’un changement d’état dynamique. C’est ce que Kant soutient à travers sa définition du génie artistique qui ne peut être que séparé du monde, créant ses propres oeuvres originales obéissant à des règles autonomes difficilement explicables : condition idéale pour garder le mystère.
Restons un moment sur ce paradoxe : l’artiste s’exprime avec art mais ne peut dire ce qu’il fait. L’art contient en lui-même les prémisses de la révélation et du mystère d’un langage particulier. Certes, comme tu le dis, nous utilisons un alphabet fini qui, grâce à de multiples combinaisons, devient quasi infini, illusion que l’être humain vénère. Ce dernier est composé par deux sons fondamentaux : l’explosion et le souffle, respectivement consonne et voyelle (voir la définition de Grévisse dans son fameux « Bon usage »), ensuite par la combinaison de ces deux sons et comment ils seront placés lors de la phonation (gorge, palais, nez, langue) accompagnés par la modulation (intonation, chuchotement, sifflements, criés, mouillés), par l’émotion (joie, colère, peur, amour) par l’environnement (relations intimes, parentales, de travail, d’enseignement, sociales, touristiques) incluant les différences linguistiques (niveaux de langages soutenu, courant, argotique, régional, adaptation par rapport à une langue maternelle étrangère) ; de toutes ces combinaisons nous avons l’impression d’une infinité qui n’est que la démonstration de la pauvreté de la constitution de notre système de connaissance basique alors que nous avons développé au fil des siècles un spectre beaucoup plus large correspondant mieux à nos facultés et l’art rentre dans cette catégorie parce que le langage que nous utilisons est si étroit, si fermé qu’il nous oblige et nous dirige indirectement vers de nouvelles modalités expressives qui semblent nous échapper parce que, justement, elles ne peuvent pas rentrer dans le langage d’où ce fait que l’artiste, selon Kant, ait du mal a exprimer clairement ce qu’il produit.
L’art se construit à partir d’idées concrètes, il n’utilise pas les mêmes modalités d’expression que les idées dans le domaine classique de la pensée et c’est ce qui nous déroute. En même temps c’est ce qui trahit l’art car, du même coup, se tromper sur la modalité de l’expression artistique est tout aussi évident puisque les modalités expressives ne sont plus les mêmes et chacun y puise son oeuvre d’artiste qui, bien souvent, ressort, là, oui, d’un changement d’état psychologique déterminé par une modification de la compréhension (Cette fonction de l’art, comme moyen d’exprimer un changement d’état psychologique est utilisé dans certains milieux thérapeutiques).
« Donc les idées changent bien avec notre compréhension. » Ce ne sont pas les idées qui changent avec notre compréhension mais notre manière d’approcher ces idées qui modifient, en retour, notre compréhension sur nous-mêmes et sur notre environnement. Et, je me répète encore, c’est de ces observations, de ces différences de comportement, ou changements d’états que nous en arrivons à réfléchir sur nous-mêmes et notre comportement. De même que l’objet d’art nous pousse hors de nous-mêmes, nous sépare de notre quotidienneté pour nous faire réfléchir, en retour, sur ce que nous faisons et, peut-être, prendre conscience par la suite. Et, bien souvent, c’est cette prise de conscience que nous appelons connaître dont nous gardons l’impression essentielle en nous sous forme d’idée (sorte de stockage mnémotechnique).
De l’imitation
Je finirai avec un renvoi, en écho au discours d’aujourd’hui, sur la notion d’imitation et rappelle qu’il y a quelques siècles de cela une polémique s’installa autour de cette question : faut-il imiter le style de Ciceron, pour la prose, et celui de Virgile, pour la poésie, ou, faut-il, créer son propre style tout en s’inspirant des grands écrivains ? A cette époque on parlait plus de style et moins de plagiat, la technique du recombinatoire était une chose acquise en ce sens qu’imiter un style ou parvenir à une certaine qualité d’expression donnait une certaine aura. Après tout, si Ciceron et Virgile, représentaient une forme d’acmé du style, eux-mêmes puisèrent leurs sources chez leurs ancêtres. On ne se battait pas pour de vulgaires bouts de phrases construites autour de la possession de telle ou telle phrase, concept ou idée ; si, de nos jours, il y a bataille, qu’on le veuille ou non et quelque ressentiment qu’il puisse en découler, la raison en est reliée à la marchandisation extrême de la raison, au désir d’avoir possession d’une idée, d’une phrase, d’un texte et d’exiger, en retour, un prix à payer en échange de l’utilisation de ce bout de connaissance, l’excellence n’est plus dans le connaître mais dans le « combien cela rapporte ». A lire : de l’imitation, échange épistolaire entre Jean-François Pic de la Mirandole (le neveu du célèbre Jean Pic de la Mirandole, à ne pas confondre donc) et Pietro Bembo. Lire aussi, de l’imitation de Guilio Camillo Delminio répondant au célèbre pamphlet d’Erasme, le cicéronien.