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17 janvier 2003, 13:04, par D.

(je réponds aux deux mails sur l’évaluation des enseignants)

1) pourquoi une telle différence dans les pratiques des enseignants ?

Il s’avère que l’enseignement n’est pas un métier ordinaire qui consiste juste en une applications de techniques pédagogiques.
Les techniques sont nécessaires — sous des formes variées, d’ailleurs —, mais ce qui fera un bon enseignant, c’est souvent plus la passion qu’il a pour son métier et sa matière que des techniques précises.

Avec les mêmes techniques, différents enseignants auront un impact différent.

Le problème, c’est que
- la dévalorisation de notre travail par l’Etat lui-même (Allègre)
- le fait de reporter un problème de société et d’utopie gouvernementale sur les enseignants (l’incapacité d’un enseignant à gérer une classe trop hétérogène — classes voulues pour favoriser l’émergence du lycée unique après le collège unique)
- le fait de prétendre que l’enseignement doit régler un problème de société, les inégalités sociales (faux-problème : c’est un fait ; lutter contre ce fait est une utopie, surtout quand on commence par nier les qualités des compétences manuelles pour contraindre tout le monde à faire des études intellectuelles — le lycée général). Le problème n’est pas tant dans la formation que dans la considération que l’on a quant aux professions "manuelles" dans la société.
- le fait de contraindre l’enseignant à des techniques pédagogiques inadaptées aux élèves, qui favorisent le bavardage dans les classes, empêchent construction d’une pensée digne de ce nom et interdisent les méthodes qui fonctionnent (dictées, exercices à répétition, faire redoubler quand les bases ne sont pas acquises...)

bref, le système éducatif en déliquescence, l’accusation des enseignants de favoriser cela alors que c’est la réalité qui résiste aux réformes, tout ceci contribue à la dévalorisation de son propre métier, voire un dégoût profond pour celui-ci par l’enseignant ;
cela conduit aussi à un enseignant perdu, d’autant plus que sa tâche imposée est inadapté à la tâche réelle et produit les effets inverses de ce que l’on devrait obtenir (le respect des valeurs et de l’autorité, l’acquisition de connaissances mesurables et de structures de pensée ; au lieu de quoi l’enseignant devient animateur pendant des heures de vie de classe — pour vivre, ça vit ! —, ne doit enseigner que des techniques (schéma narratif, types de discours, énonciation... alors qu’ils ne connaissent pas leur grammaire au lycée), et non des connaissances (grammaire au collège, histoire de la pensée et donc de la littérature, capacités à tenir un raisonnement — ce qui a totalement disparu depuis les réformes Allègre — au lycée).

Il s’ensuit que le "nouvel" enseignement s’oppose TOTALEMENT à ce que l’on a appris — et donc à ce que vous avez appris (méthodes comme valeurs) en tant qu’élève.
Avouez qu’il y a de quoi être perdu — le terme approprié : perte des repères cognitifs.

Il s’ensuit que l’enseignant qui veut bien faire son travail doit transgresser ce qu’on lui demande de faire — quand c’est possible.
Les formations IUFM sont inadaptées, trop abstraites, et entre dans le même jeu en culpabilisant l’enseignant (en gros, on nous dit : "si c’est le bordel dans votre classe, c’est parce que vous ne comprenez pas nos méthodes, qui sont les seules valables" ; mais si on applique ces méthodes, c’est le bordel — vous voyez le cercle vicieux).

Il y a d’étranges ressemblances avec le chapitre sur le "Formatage" dans le livre de Marie-France Hirigoyen sur "Le Harcèlement moral au travail".

Si en revanche on fait faire de vrais exercices (cessant de considérer que l’école doit être un paradis : le monde du travail est-il un monde de jeu et de plaisir ?) — ou même si l’on demande aux élèves ce qu’il leur faudrait pour qu’ils progressent, ils me répondent ce qui est précisément INTERDIT de faire : des dictées !!! (le comble, c’est que j’enseigne au lycée, et que tout cela devrait être acquis depuis longtemps. En 1950, un fils d’agriculteur savait écrire en 3 ans...)
Si on commence à montrer qu’on est le chef dans la classe (ce qui est interdit) — intelligemment, avec respect et en expliquant —, alors on remarque que le respect des élèves va augmentant, et donc également le respect pour notre matière.
Bref, toute notre expérience montre, par les faits, sur le terrain, l’erreur fondamentale des réformes qui fondent notre système scolaire.
N.B. je ne suis pas un vieux prof ringard : j’ai 26 ans, cela fait 5 ans que j’enseigne, et j’ai vu en 5 ans la disparition de la dissertation (qui n’existe que de nom dans le sujet), l’apparition du sujet d’invention au bac, les tests pédagogiques dont les élèves me disent "Ils nous prennent vraiment pour des cons !" — je pense à Zicmuk le martien en début de seconde —, la baisse de niveau des élèves, donc mes collègues de LP me disent, quand je leur montre les copies : "Mais qu’est-ce qu’il fait chez vous celui-là ?", etc etc.

Alors, face à cela, l’enseignant essaye de fournir MALGRE TOUT un enseignant de qualité. Et c’est là que se trouve le problème.

Si on n’est pas convaincu par le sujet ou les méthodes de l’enseignement, les élèves le sentent (on n’adhère pas au discours que l’on tient) — même avec la meilleure volonté du monde.
C’est la raison pour laquelle la qualité de l’enseignement doit passer par une certaine (j’insiste) liberté pédagogique.
Quand les programmes sont inapplicables, on fait ce qu’on peut — et c’est là que cela peut devenir catastrophique.

Voilà, en gros, pourquoi tant de pratiques différentes.

2) l’évaluation des enseignants

C’est un problème très difficile ; nous sommes aussi en tant que prof confrontés à des collègues incompétents, et c’est tout aussi difficile pour nous que pour les élèves.

Le problème, c’est que le système éducatif actuel ne permet pas un jugement sain sur les enseignants : c’est un jugement idéologiquement orienté (via les méthodes dont j’ai parlé plus haut).

Je vais tenter de répondre à la question en me débarrassant du contexte actuel.

a/ qui peut juger ?
- l’administration peut juger des détails administratifs (ponctualité, etc). C’est déjà le cas — du moins quand elle le fait vraiment, et aussi quand elle ne s’en sert pas contre l’enseignant en l’humiliant devant les élèves — ça arrive.

- l’inspection est la mieux placée pour le domaine pédagogique.

b/ comment juger ?
- sur le programme à respecter
- sur les méthodes pédagogiques — attention : pas sur l’application d’une méthode unique, mais au contraire sur l’adaptation de la méthode à la classe et au sujet — ce qui est légalement impossible aujourd’hui
- sur le progrès des élèves : pour cela, il faut tenir compte du niveau initial des élèves, mais aussi juger du niveau de perturbation de la classe, qui peut ralentir le progrès.
- pas sur la tenue de la classe dans le contexte actuel (de société, mais aussi de méthodes, puisque le cours magistral est interdit — mais tellement efficace : il apprend à écrire correctement, de vraies phrases, bien écrites, et donne une foule d’informations... — bien sûr, à condition de vérifier que c’est compris...)
- juger sur les résultats au bac serait une catastrophe : même en pondérant grâce au niveau du lycée, les classes d’un même établissement sont très inégales
- l’impact de l’enseignant sur les élèves est intéressant à prendre en compte, mais je connais des enseignants qui forment très bien en ayant un impact discret, à long terme. C’est difficilement évaluable.

Par ailleurs, les résultats de l’inspection parviennent six mois plus tard !!! comment cela peut-il avoir un impact ?
De plus, il devrait y avoir une suite dans les cas comme celui que vous mentionnez dans votre courrier. Il ne s’agirait pas de faire un blâme dans le dos de l’enseignant (dérive possible), mais de lui expliquer, de prévoir une inspection peu après pour vérifier l’application, de proposer des techniques, etc... (d’une manière positive et utile !!!), d’expliquer réellement ce qui se passe dans la classe, etc... Malheureusement, ceci est impossible actuellement du fait de l’orientation idéologique de l’inspection et des IUFM.

Pour les cas où la défaillance de l’enseignant est connue de tout le monde, je ne comprends pas que la situation puisse rester ainsi. Je n’ai pas de réponse à donner : la situation est évidente, le fait est connu. C’est à l’inspection de prendre ses responsabilités.

En fait, je propose de réformer l’inspection et les IUFM.

En espérant avoir donné des éléments de réponse (si vous êtes toujours là... — je n’ai pas eu le temps de répondre plus tôt).