Je suis allé lire votre ducoment, et honnêtement, je suis très, très sceptique.
En effet, il cumule un nombre impressionnant de contresens, d’imprécisions et d’allusions délibérément trompeuses.
J’en donne quelques exemples :
commençons par le plus simple : la référence rituelle aux Héritiers de P. Bourdieu comme d’un ouvrage qui dénigre l’école. C’est bien ce que de chaque côté on aimerait bien lui faire dire (pour condamner soit l’école, soit le livre), mais pas ce qu’il dit. Le but de cette étude n’est pas de montrer que l’école fait mal (si tant est que cela ait un sens), mais qu’elle pourrait faire mieux si elle prenait en compte le fait que son mode de fonctionnement avantage considérablement une partie de la population, les enfants d’enseignants.
à ce propos, l’article évoque la « valeur du diplôme » des Écoles normales supérieures, qui serait menacé par la prise sur dossier d’élèves issus de pays étrangers. Étant normalien et actuellement élève, ce propos me fait sourire. Le diplôme des écoles normales a une valeur nulle hors des frontières de la France, il n’est donc pas mauvais qu’on lui donne un peu de visibilité. Mais surtout, les élèves eux-mêmes sont, à une majorité écrasante, favorables à la présences d’élèves étrangers, auxquels il est exclut de demander de passer un consours unique : les formations qu’ils ont reçu dans leurs pays respectifs sont trop différentes pour cela. Or, nous sommes les premiers concernés par la valeur de notre diplôme. Encore un faux problème qui n’est destiné qu’à allonger la liste.
dans le même ordre d’idée, l’article mentionne que la commission européenne (un bouc émissaire bien pratique soit dit en passant) préparerait une disparition des diplômes nationaux. Dit ainsi, c’est une contre-vérité. La Commission prépare effectivement la disparition des diplômes nationaux, mais au profit de diplômes de niveau européen. Ceux-ci permettrons à leurs détenteurs de ne plus voir leurs diplômes décotés quand ils vont travailler en Europe, et de réduire drastiquement les kafkaïennes procédures pour aller étudier à l’étranger et faire reconnaître la formation qu’on y a acquis. Tout étudiant qui a tenté, et parfois même réussi, à aller étudier à l’étranger applaudit des deux mains à cette réforme.
étudiant je suis, justement en économie. Et je suis assez choqué de l’usage dans cette article d’un pseudo-jargon économique qui tente de cacher les faiblesses du discours. En effet, si l’inadéquation entre les formations et leurs besoins est une complainte régulière des patrons, ceux-ci, surtout au niveau envisagé par l’article, savent bien que l’école n’est pas une activité rentable économiquement, et qu’il vaut mieux laisser l’État l’opérer. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs sortis d’universités étatsuniennes, où ils ont vus les directions plus occupées à chercher des fonds et des subventions qu’à gérer l’établissement au profit des élèves.
attribuer aux patrons l’idée que les nouveaux médias permettraient de remplacer les professeurs à meilleur compte. En France, A. Malraux évoquait sous de Gaulle la possibilité de remplacer un certain nombre de cours magistraux par la projection cinématographique de cours donnés par les meilleurs enseignants du pays, et de créer dans les université des salles où seraient projetés tous les cours du Collège de France.
Voilà pour les idées.
Voyons maintenant un peu la réthorique.
cela commence mal, puisqu’on nous présente une nième théorie du complot, ce coup-ci des affreux capitalistes contre l’école républicaine ;
l’article est un patchwork de citations, tirées de leur contexte et parfois étrangement tronquées (voir plus haut la question des diplômes européens). Ces citations, présentées comme un corps de doctrine unique, émanient d’ailleurs d’institutions souvent concurrentes et rarement d’acoord (l’OCDE et la Commission, par exemple), ce qui me laisse supposer une insigne mauvaise foi dans leur choix.
l’article est émaillé d’assertions non justifiées sur les intentions de ceux qu’il dénonce (voir Bourdieu) et d’allusion à leur collusion.
Bref, ce texte argumentatif aurait mérité un zéro pointé au baccalauréat. Mais ce qui est plus grave, c’est que quelques problèmes intéressants y sont soulevés, des deux côtés. Les réformes Allègre étaient certes un non-sens, et il convient de les dénoncer. Oui, le dénigrement systématique des enseignants est très dangereux, et le forum de cet article en livre quelques exemples fort inquiétants. Mais d’un autre côté, cela ne permet pas de faire l’économie des critiques qui souligment à juste titre le corporatisme d’un certain nombre d’enseignants (élève, le fait que je puisse toujours faire l’objet d’un contrôle-surprise alors que mon prof le plus incompétent était prévenu à l’avance de ses inspections, et faisait son unique cours correct de l’année cette fois-là me paraissait d’une injustice profonde), qui dénoncent le cloisonnement des discipline (croiser histoire et économie et histoire et sociologie semble naturel : essayez un peu de proposer une maîtrise qui le fasse, on vous fera comprendre que ce genre d’innovation plaît peu).
Ainsi, l’article sur lequel vous nous envoyez est une bavarde tentative de se dédouaner des problèmes actuels de l’école sur le dos d’une cabale politico-capitaliste. De la part de gens dont le métier est d’enseigner entre autres l’honnêteté intellectuelle et l’étude de textes, je suis déçu. Mais surtout, je suis blessé en passant à tous ceux de mes professeurs qui ont résité aux réformes Allègre comme mes instituteurs avaient résisté à la méthode globale, en pensant d’abord aux bien des élèves et réfléchissant sérieusement à une école qui évolue en même temps que la société. Je suis vraiement navré de voir leur combat récupéré par des gens qui pensent plus à la perpétuation de leur position dans le système éducatif qu’aux élèves.
Je suis allé lire votre ducoment, et honnêtement, je suis très, très sceptique.
En effet, il cumule un nombre impressionnant de contresens, d’imprécisions et d’allusions délibérément trompeuses.
J’en donne quelques exemples :
commençons par le plus simple : la référence rituelle aux Héritiers de P. Bourdieu comme d’un ouvrage qui dénigre l’école. C’est bien ce que de chaque côté on aimerait bien lui faire dire (pour condamner soit l’école, soit le livre), mais pas ce qu’il dit. Le but de cette étude n’est pas de montrer que l’école fait mal (si tant est que cela ait un sens), mais qu’elle pourrait faire mieux si elle prenait en compte le fait que son mode de fonctionnement avantage considérablement une partie de la population, les enfants d’enseignants.
à ce propos, l’article évoque la « valeur du diplôme » des Écoles normales supérieures, qui serait menacé par la prise sur dossier d’élèves issus de pays étrangers. Étant normalien et actuellement élève, ce propos me fait sourire. Le diplôme des écoles normales a une valeur nulle hors des frontières de la France, il n’est donc pas mauvais qu’on lui donne un peu de visibilité. Mais surtout, les élèves eux-mêmes sont, à une majorité écrasante, favorables à la présences d’élèves étrangers, auxquels il est exclut de demander de passer un consours unique : les formations qu’ils ont reçu dans leurs pays respectifs sont trop différentes pour cela. Or, nous sommes les premiers concernés par la valeur de notre diplôme. Encore un faux problème qui n’est destiné qu’à allonger la liste.
dans le même ordre d’idée, l’article mentionne que la commission européenne (un bouc émissaire bien pratique soit dit en passant) préparerait une disparition des diplômes nationaux. Dit ainsi, c’est une contre-vérité. La Commission prépare effectivement la disparition des diplômes nationaux, mais au profit de diplômes de niveau européen. Ceux-ci permettrons à leurs détenteurs de ne plus voir leurs diplômes décotés quand ils vont travailler en Europe, et de réduire drastiquement les kafkaïennes procédures pour aller étudier à l’étranger et faire reconnaître la formation qu’on y a acquis. Tout étudiant qui a tenté, et parfois même réussi, à aller étudier à l’étranger applaudit des deux mains à cette réforme.
étudiant je suis, justement en économie. Et je suis assez choqué de l’usage dans cette article d’un pseudo-jargon économique qui tente de cacher les faiblesses du discours. En effet, si l’inadéquation entre les formations et leurs besoins est une complainte régulière des patrons, ceux-ci, surtout au niveau envisagé par l’article, savent bien que l’école n’est pas une activité rentable économiquement, et qu’il vaut mieux laisser l’État l’opérer. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs sortis d’universités étatsuniennes, où ils ont vus les directions plus occupées à chercher des fonds et des subventions qu’à gérer l’établissement au profit des élèves.
attribuer aux patrons l’idée que les nouveaux médias permettraient de remplacer les professeurs à meilleur compte. En France, A. Malraux évoquait sous de Gaulle la possibilité de remplacer un certain nombre de cours magistraux par la projection cinématographique de cours donnés par les meilleurs enseignants du pays, et de créer dans les université des salles où seraient projetés tous les cours du Collège de France.
Voilà pour les idées.
Voyons maintenant un peu la réthorique.
cela commence mal, puisqu’on nous présente une nième théorie du complot, ce coup-ci des affreux capitalistes contre l’école républicaine ;
l’article est un patchwork de citations, tirées de leur contexte et parfois étrangement tronquées (voir plus haut la question des diplômes européens). Ces citations, présentées comme un corps de doctrine unique, émanient d’ailleurs d’institutions souvent concurrentes et rarement d’acoord (l’OCDE et la Commission, par exemple), ce qui me laisse supposer une insigne mauvaise foi dans leur choix.
l’article est émaillé d’assertions non justifiées sur les intentions de ceux qu’il dénonce (voir Bourdieu) et d’allusion à leur collusion.
Bref, ce texte argumentatif aurait mérité un zéro pointé au baccalauréat. Mais ce qui est plus grave, c’est que quelques problèmes intéressants y sont soulevés, des deux côtés. Les réformes Allègre étaient certes un non-sens, et il convient de les dénoncer. Oui, le dénigrement systématique des enseignants est très dangereux, et le forum de cet article en livre quelques exemples fort inquiétants. Mais d’un autre côté, cela ne permet pas de faire l’économie des critiques qui souligment à juste titre le corporatisme d’un certain nombre d’enseignants (élève, le fait que je puisse toujours faire l’objet d’un contrôle-surprise alors que mon prof le plus incompétent était prévenu à l’avance de ses inspections, et faisait son unique cours correct de l’année cette fois-là me paraissait d’une injustice profonde), qui dénoncent le cloisonnement des discipline (croiser histoire et économie et histoire et sociologie semble naturel : essayez un peu de proposer une maîtrise qui le fasse, on vous fera comprendre que ce genre d’innovation plaît peu).
Ainsi, l’article sur lequel vous nous envoyez est une bavarde tentative de se dédouaner des problèmes actuels de l’école sur le dos d’une cabale politico-capitaliste. De la part de gens dont le métier est d’enseigner entre autres l’honnêteté intellectuelle et l’étude de textes, je suis déçu. Mais surtout, je suis blessé en passant à tous ceux de mes professeurs qui ont résité aux réformes Allègre comme mes instituteurs avaient résisté à la méthode globale, en pensant d’abord aux bien des élèves et réfléchissant sérieusement à une école qui évolue en même temps que la société. Je suis vraiement navré de voir leur combat récupéré par des gens qui pensent plus à la perpétuation de leur position dans le système éducatif qu’aux élèves.