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Ah les glaces ont fondu !

4 mai 2004, 18:47, par Lirresponsable

Allons Trobadour, dans le Sirventes, on ne se plaint ni de la présence du public (il y a le courrier pour cela) ni du trobar de l’adversaire ! Certes, le trobar leu est chose admirable, (même si je préfère l’Ecole du Nord), mais reprocher le manque de courtoisie se résout en fait à ne pas accepter que les conditions que l’on tente d’imposer ne soient pas acceptées (rouerie du Sud !). Et Tyr en sait quelque chose.

Il y a ensuite la vraie question : la norme du dialogue ou règles de la discussion (ce qui est distinct de la politesse). On stipule à quelles conditions le dialogue est véritable, (i.e. dialectique), afin d’éviter l’éristique (horizon toujours présent et fin probable). Dans cette perspective, qui est celle de la recherche du vrai, les modalités de ton sont accessoires (et leurs variations plutôt signe de vie). Que l’on opte pour le tutoiement ou le vouvoiement n’a pas d’importance décisive (aussi chacun peut garder ses habitudes sans dommage pour la discussion).

C’est pourquoi j’affirmais :

1) que le contentement sur le protocole ou respect de l’étiquette, critière formel, est essentiellement affaire de convention (de nos jours bourgeoise). Ainsi selon ce critère, une bonne discussion est une discussion polie, indépendammment ce qui est dit (importent la correction grammaticale, un ton agréable, le respect des conventions, dont la doxa et les faux savants).

2) que l’invective, la rudesse du ton, l’aspect maladroit de la formulation sont des questions secondaires, qui ne doivent pas empêcher d’examiner le propos (principe de charité et question des intervenants).

C’est le sens du personnage que fait intervenir Socrate (qui demande si une belle marmite est une belle chose) pour questionner Hippias. Ce dernier s’écrie alors : « Ah ! Socrate, quel homme est-ce là , Quel malappris, d’oser nommer des choses si basses sur un sujet si relevé ? » (288b). Or une marmite peut être belle.

La question de la « politesse élémentaire », dans sa formulation même, dénote davantage une conception où la politesse est la condition nécessaire. Elle semble dire vrai, en ceci que la fin d’une discussion offre souvent un lot d’insultes (où chacun s’emporte et se sépare fâché), et que donc la règle intangible, à la base de la discussion (à la fois à son origine et à son déroulement) est la politesse (pas d’insultes, pas d’invectives, de la mesure dans les propos et les comportements).

C’est pourquoi par mesure de précaution devant la « nature humaine », on peut également interdire les armes dans les réunions publiques ; et les rixes au thing. Bannir la violence de l’ecclesia (droit d’asile dans les églises). Etc.

Cependant, il faut justement s’entendre sur le sens de « élémentaire ». Principe ou ingrédient (ce qui rentre dans la composition de) ? On voit tout de suite que la question de la formulation : "comment comprends-tu le sens d’élément ?" ou "comment comprenez-vous le sens d’élément ?" est ici de faible importance relativement à la question qui touche à l’essence même du dialogue : l’accord sur les termes qui permet la discussion et donc la définition commune du dialogue véritable (ce sur quoi pourra porter l’accord second, dans une démarche de connaissance).

Je crois que la politesse n’est pas Principe, mais ingrédient et non nécessaire. Le Principe, c’est le souci du vrai (« Il est comme cela, Hippias, tout simple, vulgaire, sans autre souci que celui de la vérité », 288b). Par souci de la vérité, on ne choisira pas à l’avance l’érisitique, (même si, comme le soulignait le Très-Haut, mieux vaut avoir quelques lances en réserve, au cas où), alors que celui pour qui le respect de la convention importe, renoncera à l’exigence nécessaire ("restons bons amis, on ne va pas se fâcher, ni s’insulter comme des charretiers" ; certes mais il s’agit d’un renoncement au vrai et donc au juste) et d’ailleurs il se focalisera souvent sur des questions de ton (afin de l’emporter ou de mettre un terme à la discussion ; Schopenhauer en a d’ailleurs dressé une liste moderne).

Terminons par la « thèse » de Finkielkraut (qui finalement apparaît !). Nous sommes d’accord, il n’est pas J-J. Rousseau. Mais nous non plus, donc le reproche est de faible portée.

Il ne critique même pas ceux qui pourraient passer pour des idéologues du progrès ; je souligne dans l’article qu’il ne discute pas les thèses du CAE, ou d’autres auteurs réunis dans l’anthologie de l’Eclat, mais le message publicitaire de France Telecom...Il se place dans une logique médiatique et nous ressort un numéro éculé et assez mauvais (mais bon, c’est une tradition française) : l’intellectuel (tm) qui lui pense (eh pardi, il n’est pas intellectuel pour rien !) et révèle les choses cachées (les marchands pour vendre utilisent des notions populaires et promettent le bonheur, le progrès...). C’est son droit, et certes plus vendeur que "j’entrave que dalle mais il faut que je vous en cause". Le plus intéressant est le recours à la notion du culture (le livre, l’Auteur).

J’ai essayé dans l’article (qui prend place dans une rubrique) de faire apparaître les implications politiques qu’un tel recours est chargé de maquiller, et qui à mon avis détermine la faiblesse de ses articulations et de sa méthodologie. Une critique radicale de la notion de progrès moral doit conduire à se demander après avoir questionné la technique (et ses illusions), en quoi le médiateur y participe ou non. Quelles sont ses vertus ? Quelle fonction ont ses discours, quelle place prend-il (lui et ses analyses) dans le processus qu’il prétend décrire ?

On constate qu’après la jonglerie facile sur l’illusion d’un progrès moral qui suivrait automatiquement le progrès technique, on a le droit à une défense pro domo (conservatisme politique et conservation de sa place). Et là en effet, on est vraiment très loin de Rousseau (y compris pour la politesse dont on parlait plus haut : « il règne dans nos moeurs une vile et trompeuse uniformité, et tous les esprits semblent avoir été jetés dans un même moule : sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne ; sans cesse on suit les usages, jamais son propre génie », Discours sur les sciences et les arts, première partie).

Il ne s’agit pas de renverser simplement l’accusation (transformer la question "Internet permet-il un progrès moral de l’humanité ?" en du pur ad hominem : "Le livre de Finkielkraut permet-il un progrès moral de l’humanité ?") mais d’examiner les présupposés sur le rôle du médiateur tel qu’il se pense ou plutôt s’imagine. (ce qu’ont bien vu certains intervenants du forum).

On constate que ce dernier revendique pour lui des qualités indispendables à la moralité telle qu’il la conçoit (dénoncer les vilaines illusions ; il y a quelques années c’était la barbarie qui était à la mode...), qu’il se place en héros de la Culture (versus précisément la civilisation) et participe donc activement au souci de régulation de l’expression publique.

Et nous alors ?

« Pour nous, hommes vulgaires, à qui le ciel n’a point départi de si grands talents, et qu’il ne destine pas à tant de gloire, restons dans notre obscurité. » (seconde partie).

amicalement,

Lirresponsable