[Bon avant de poster, je m’aperçois qu’Arno* a été plus rapide, donc excuse les redites]
Qu’est-ce qu’un bon média ?
Excellente question ami ! Que nous n’avons certes pas traitée dans cet article (en fait, il faudrait un article, voire une série). Il y a juste la petite note sur Hakim Bey qui lance la problématique ;(j’en profite au passage pour remercier celui qui a signalé la coquille sur le nom) . D’où la suivante que tu poses avec raison :
la critique que vous faites n’est pas applicable au média sur lequel vous la publiez ?
Toute la question, en fait, dans un premier temps est de savoir si le web est oui ou non un média ; ce que suppose l’accusation de circularité que tu mentionnes : si médias de masse = web (en tant que media), alors il n’y a pas de bons médias, donc il est impossible de dire ce que l’on dit. Il s’agit alors juste d’infotainment (bon la dimension déconnade n’est pas totalement absente de l’article non plus...). Après, se pose l’autre question de la médiation, c-a-d l’existence d’un intermédiaire entre le message et celui qui le reçoit : le médiateur.
Le premier niveau de distinction est bien-sûr dans la différence de nature. Le web n’est pas un média au même sens que les médias de masse. Pourquoi ? On a affaire d’un côté à un network, qui est une production industrielle (des capitaux, des chaînes de productions, des salariés, etc.) de l’autre côté, au minimum à un expression individuelle, en dehors de la production (page perso). Bien-sûr il existe des médias de masse en ligne (tf1.fr, lemonde.fr, etc.) et des médias "alternatifs" ou des réseaux.
Cependant, le web échappe en partie à la logique industrielle des médias de masse (tendance au monopole, car concurrence pour les annonceurs, audience) et à la fonction politique (fournir le fameux lien-social unifié ou le PPDM). A cause de la nature du Réseau : il n’y a pas une rareté des fréquences (comme pour les chaînes hertziennes) ou un coût prohibitif (satellites, imprimerie & distribution). Avec ces brèves données techniques et économiques, les sites web sont donc en juxtaposition, en liaison mais ils ajoutent de l’espace, ils agrandissent le Réseau. Cohabitation plus ou moins pacifique, mais en tout cas fonctionnant sur une modalité non exclusive : ce site par exemple n’empêche pas d’autres sites d’exister ou de se créer (au contraire ; on a même des fans qui font des pages sur nous :))).
D’autre part, un site web permet une réelle interactivité, c-a-d que l’émetteur et le récepteur du message sont en interaction directement, en quelque sorte à égalité, dans le sens d’absence de rapports hiérarchiques établis (horizontalité et caractère décentralisé du Réseau pour aller vite). C’est le cas d’exception sur un média de masse (allo SVP, le courrier des lecteurs) et sous une forme déterminée, et contraignante. Il y a même maintenant, un médiateur en plus, qui répond à des courriers sélectionnés (médiation sur la médiation). [Allez, je le sors comme cela on aura plein d’amis :)] Bourdieu montre très bien dans son petit opuscule jugé poujadiste (ou stalinien, parfois les deux) par les grands professionnels de la médiation, que la parole, dans les soi-disantes émissions de débats publics, est inégalitaire. A la fois la prise de parole spontanée ou non : ainsi il y a plus de chance qu’Alain Minc ou Dominique Wolton coupe la parole du présentateur ou d’un intervenant quelconque, non seulement parce qu’ils sont souvent invités mais aussi parce qu’ils en ont l’habitude et les moyens (participation au capital par exemple), dans son accueil par le présentateur (encore un sale médiateur !), par exemple Jean-Marie Cavada face à un syndicaliste ou face à un ancien ministre, etc.
Ici, sur ce forum, tu n’as pas ce genre de médiation : tu poses une série de questions aux auteurs de l’article, série qui n’est pas reléguée dans un coin caché et différé mais au même niveau que l’article (choix de mise en page), et un des auteurs te répond. Certes peut-être des conneries ; mais en plus d’autres vont pouvoir intervenir :). Il n’y a ici aucun impératif d’audience, de durée (dans le sens : vite une page de pub), etc.
On a donc plutôt ici le modèle d’un débat public, ouvert, d’échange d’opinions, de critiques ou d’informations (qui n’échappe pas pour autant aux travers habituels du débat). Bien-sûr, on peut dire qu’il est rendu possible par une médiation technique : ce webzine qui est bien un intermédiaire, fabriqué, entretenu, etc. qui lui-même suppose l’infrastructure.
D’où les deux reproches classiques :
vous ne faites pas de l’information (sur le web) parce que vous n’en avez pas les moyens (nous, on peut juste envoyer Lefayot au Mexique :)), parce que vous êtes nuls (vous n’êtes pas des pros, mais des tarés mégalomanes nazis). Il y a des opinions, du réactif, de la critique des médias, mais pas d’informations comme les vrais pros.
vous ne faites pas l’audience d’un média de masse donc c’est du résiduel qui confine à l’autisme, à la propagande, au sectaire, etc. Ou alors, du Arte en VF dirait Calvz pour être taquin.
Ces deux reproches disent vrai en un sens : (je choisis celui qui m’arrange comme tu l’auras remarqué :)) : nous ne sommes pas dans une logique capitaliste de production d’information-marchandise ; du moins directement : c’est gratuit et collaboratif, parce qu’on ne mange pas avec cette activité (du luxe quoi !). (On peut également objecter que les sites web gratuits fournissent du contenu pour les FAI). Et nous ne sommes pas un média généraliste qui a l’audience de TF1, libération, etc. Nous avons, comme d’autres, un outil qui permet autre chose : le Réseau.
Pour en revenir au médiateur, qui croit réellement que celui-ci ne fait que fournir une information qui serait déjà constituée, en soi, comme dans une course, un relayeur qui transmet sans le modifier un témoin ? Ou sur le mode technique de transmission d’un signal déjà clairement défini par un relais.
Au contraire : l’information est mise en forme de données. Et il y a production d’une "image du monde", l’élaboration d’une "actualité" : « voici aujourd’hui quels sont les faits marquants du jour », ou le « sachez encore que » de cette grande professionnelle (tm) qu’est Claire Chazal. « sachez encore que » prend l’apparence d’une objectivité : il faut savoir (soft impératif) qu’il s’est passé ceci, de la manière dont je vous le raconte, et avec tels termes (éclairage, construction, illustration), suivant telle logique de production et tel système d’intérêts.
En quoi cette construction est-elle supérieure, de meilleure qualité, plus informative que l’expression individuelle ou collective de particuliers suivant leurs propres motifs ? Parce qu’ils n’ont pas d’envoyés spéciaux en Afghanistan alors que Claire Chazal parle pachtoune dans le texte ?
C’est tout l’enjeu du Réseau. Tu connais le slogan : don’t hate the media, become a media. Devenir un média, cela ne veut pas dire adoptez le modèle médiatique existant (devenez TF1 ou Lemonde), mais devenez vous-mêmes votre propre source d’information et de diffusion, de manière autonome. C-a-d construisez votre information, grâce aux ressources du réseau (mise en commun, ce qui suppose la défense des normes), et votre actualité au sens fort :
ce que vous voulez dire : publiez, créer des ML, webzines, etc. N’attendez pas une autorisation et une diffusion que de toute façon les médias de masse vous refuseront.
ce que vous voulez que votre monde soit : ce processus d’affirmation est réel, et non pas basé sur une modalité totalement fictive de l’ordre du fantasme ; il transforme réellement votre vision du monde et son organisation par les pratiques elles-mêmes produites (échange gratuit, solidarité, haine tenace :), etc.). Vieille thèse marxiste : les rapports de production sont eux-mêmes produits. Il n’y a pas que le produit.
Par exemple (allez, on va se faire plaisir) : Linux ou Windows ne sont pas juste des OS. Est produite dans un cas une communauté dans l’autre des clients , sont produites des manières de produire (collaboration, échange, entraide), des normes (code disponible), etc.
Bien-sûr, certains objecteront que le logiciel libre n’est pas représentatif ou hors sujet. Un webzine, un site collaboratif ou un expace d’expression (forum, newsgroups, ML) ont d’autres difficultés. Tu pourras remarquer par exemple sur les forums d’uZine que certains justement sont davantage dans une attitude de lecteur traditionnel (l’habitus du consommateur de presse :)) : au lieu de produire le contenu, ils attendent un contenu déjà produit et déterminé ; et quand ce dernier ne correspond pas à leurs attentes, ils sont déçus (c’est normal), critiquent les admins (c’est normal et le jeu), mais parfois critiquent la publication d’un article au lieu de l’article lui-même (un peu bizarre, y compris pour l’auteur de l’article).
Cela peut-il exister ?
Y a-t-il une connaissance a priori du concept qui détermine ses conditions de possibilité et donc sa réalisation ? Je ne le crois pas puisqu’il relève du projet (horizon) et non du plan : production guidée par une conception finie préalable, souvent séparée (division du travail appliquée en politique). Si tu veux, la question a autant de sens que de demander : la démocratie peut-elle exister ? Tu peux produire des réfutations a priori (sans en faire l’expérience), mais que valent-elles ?
Ce travail critique qui examine les raisons est le bienvenu, mais il ne peut remplacer, ou alors à un certain prix, l’essai. :)
Pour reprendre la distinction de Castoriadis, dans le projet, les sujets définissent ce qui est à réaliser au fur et à mesure de l’expérimentation qui est réalisation (avec une dimension d’auto-correction). Il n’y a pas une notice technique (le plan) donnée une fois pour toute qu’il s’agit de suivre à la lettre, de la même manière que l’on reconstitue un puzzle (l’unité est déjà donnée, les pièces découpées). Ce qui caractérise un projet politique c’est justement l’ouverture de possibilités que l’on se donne. Il n’y a pas de billet de garantie, ni de charte de qualité donnée par un tiers de confiance. Non pas que cela soit n’importe quoi (des garanties) mais c’est aux agents de les produire, donc il faut qu’ils thématisent leur organisation.
[Bon avant de poster, je m’aperçois qu’Arno* a été plus rapide, donc excuse les redites]
Qu’est-ce qu’un bon média ?
Excellente question ami ! Que nous n’avons certes pas traitée dans cet article (en fait, il faudrait un article, voire une série). Il y a juste la petite note sur Hakim Bey qui lance la problématique ;(j’en profite au passage pour remercier celui qui a signalé la coquille sur le nom) . D’où la suivante que tu poses avec raison :
la critique que vous faites n’est pas applicable au média sur lequel vous la publiez ?
Toute la question, en fait, dans un premier temps est de savoir si le web est oui ou non un média ; ce que suppose l’accusation de circularité que tu mentionnes : si médias de masse = web (en tant que media), alors il n’y a pas de bons médias, donc il est impossible de dire ce que l’on dit. Il s’agit alors juste d’infotainment (bon la dimension déconnade n’est pas totalement absente de l’article non plus...). Après, se pose l’autre question de la médiation, c-a-d l’existence d’un intermédiaire entre le message et celui qui le reçoit : le médiateur.
Le premier niveau de distinction est bien-sûr dans la différence de nature. Le web n’est pas un média au même sens que les médias de masse. Pourquoi ? On a affaire d’un côté à un network, qui est une production industrielle (des capitaux, des chaînes de productions, des salariés, etc.) de l’autre côté, au minimum à un expression individuelle, en dehors de la production (page perso). Bien-sûr il existe des médias de masse en ligne (tf1.fr, lemonde.fr, etc.) et des médias "alternatifs" ou des réseaux.
Cependant, le web échappe en partie à la logique industrielle des médias de masse (tendance au monopole, car concurrence pour les annonceurs, audience) et à la fonction politique (fournir le fameux lien-social unifié ou le PPDM). A cause de la nature du Réseau : il n’y a pas une rareté des fréquences (comme pour les chaînes hertziennes) ou un coût prohibitif (satellites, imprimerie & distribution). Avec ces brèves données techniques et économiques, les sites web sont donc en juxtaposition, en liaison mais ils ajoutent de l’espace, ils agrandissent le Réseau. Cohabitation plus ou moins pacifique, mais en tout cas fonctionnant sur une modalité non exclusive : ce site par exemple n’empêche pas d’autres sites d’exister ou de se créer (au contraire ; on a même des fans qui font des pages sur nous :))).
D’autre part, un site web permet une réelle interactivité, c-a-d que l’émetteur et le récepteur du message sont en interaction directement, en quelque sorte à égalité, dans le sens d’absence de rapports hiérarchiques établis (horizontalité et caractère décentralisé du Réseau pour aller vite). C’est le cas d’exception sur un média de masse (allo SVP, le courrier des lecteurs) et sous une forme déterminée, et contraignante. Il y a même maintenant, un médiateur en plus, qui répond à des courriers sélectionnés (médiation sur la médiation). [Allez, je le sors comme cela on aura plein d’amis :)] Bourdieu montre très bien dans son petit opuscule jugé poujadiste (ou stalinien, parfois les deux) par les grands professionnels de la médiation, que la parole, dans les soi-disantes émissions de débats publics, est inégalitaire. A la fois la prise de parole spontanée ou non : ainsi il y a plus de chance qu’Alain Minc ou Dominique Wolton coupe la parole du présentateur ou d’un intervenant quelconque, non seulement parce qu’ils sont souvent invités mais aussi parce qu’ils en ont l’habitude et les moyens (participation au capital par exemple), dans son accueil par le présentateur (encore un sale médiateur !), par exemple Jean-Marie Cavada face à un syndicaliste ou face à un ancien ministre, etc.
Ici, sur ce forum, tu n’as pas ce genre de médiation : tu poses une série de questions aux auteurs de l’article, série qui n’est pas reléguée dans un coin caché et différé mais au même niveau que l’article (choix de mise en page), et un des auteurs te répond. Certes peut-être des conneries ; mais en plus d’autres vont pouvoir intervenir :). Il n’y a ici aucun impératif d’audience, de durée (dans le sens : vite une page de pub), etc.
On a donc plutôt ici le modèle d’un débat public, ouvert, d’échange d’opinions, de critiques ou d’informations (qui n’échappe pas pour autant aux travers habituels du débat). Bien-sûr, on peut dire qu’il est rendu possible par une médiation technique : ce webzine qui est bien un intermédiaire, fabriqué, entretenu, etc. qui lui-même suppose l’infrastructure.
D’où les deux reproches classiques :
Ces deux reproches disent vrai en un sens : (je choisis celui qui m’arrange comme tu l’auras remarqué :)) : nous ne sommes pas dans une logique capitaliste de production d’information-marchandise ; du moins directement : c’est gratuit et collaboratif, parce qu’on ne mange pas avec cette activité (du luxe quoi !). (On peut également objecter que les sites web gratuits fournissent du contenu pour les FAI). Et nous ne sommes pas un média généraliste qui a l’audience de TF1, libération, etc. Nous avons, comme d’autres, un outil qui permet autre chose : le Réseau.
Pour en revenir au médiateur, qui croit réellement que celui-ci ne fait que fournir une information qui serait déjà constituée, en soi, comme dans une course, un relayeur qui transmet sans le modifier un témoin ? Ou sur le mode technique de transmission d’un signal déjà clairement défini par un relais.
Au contraire : l’information est mise en forme de données. Et il y a production d’une "image du monde", l’élaboration d’une "actualité" : « voici aujourd’hui quels sont les faits marquants du jour », ou le « sachez encore que » de cette grande professionnelle (tm) qu’est Claire Chazal. « sachez encore que » prend l’apparence d’une objectivité : il faut savoir (soft impératif) qu’il s’est passé ceci, de la manière dont je vous le raconte, et avec tels termes (éclairage, construction, illustration), suivant telle logique de production et tel système d’intérêts.
En quoi cette construction est-elle supérieure, de meilleure qualité, plus informative que l’expression individuelle ou collective de particuliers suivant leurs propres motifs ? Parce qu’ils n’ont pas d’envoyés spéciaux en Afghanistan alors que Claire Chazal parle pachtoune dans le texte ?
C’est tout l’enjeu du Réseau. Tu connais le slogan : don’t hate the media, become a media. Devenir un média, cela ne veut pas dire adoptez le modèle médiatique existant (devenez TF1 ou Lemonde), mais devenez vous-mêmes votre propre source d’information et de diffusion, de manière autonome. C-a-d construisez votre information, grâce aux ressources du réseau (mise en commun, ce qui suppose la défense des normes), et votre actualité au sens fort :
Par exemple (allez, on va se faire plaisir) : Linux ou Windows ne sont pas juste des OS. Est produite dans un cas une communauté dans l’autre des clients , sont produites des manières de produire (collaboration, échange, entraide), des normes (code disponible), etc.
Bien-sûr, certains objecteront que le logiciel libre n’est pas représentatif ou hors sujet. Un webzine, un site collaboratif ou un expace d’expression (forum, newsgroups, ML) ont d’autres difficultés. Tu pourras remarquer par exemple sur les forums d’uZine que certains justement sont davantage dans une attitude de lecteur traditionnel (l’habitus du consommateur de presse :)) : au lieu de produire le contenu, ils attendent un contenu déjà produit et déterminé ; et quand ce dernier ne correspond pas à leurs attentes, ils sont déçus (c’est normal), critiquent les admins (c’est normal et le jeu), mais parfois critiquent la publication d’un article au lieu de l’article lui-même (un peu bizarre, y compris pour l’auteur de l’article).
Cela peut-il exister ?
Y a-t-il une connaissance a priori du concept qui détermine ses conditions de possibilité et donc sa réalisation ? Je ne le crois pas puisqu’il relève du projet (horizon) et non du plan : production guidée par une conception finie préalable, souvent séparée (division du travail appliquée en politique). Si tu veux, la question a autant de sens que de demander : la démocratie peut-elle exister ? Tu peux produire des réfutations a priori (sans en faire l’expérience), mais que valent-elles ?
Ce travail critique qui examine les raisons est le bienvenu, mais il ne peut remplacer, ou alors à un certain prix, l’essai. :)
Pour reprendre la distinction de Castoriadis, dans le projet, les sujets définissent ce qui est à réaliser au fur et à mesure de l’expérimentation qui est réalisation (avec une dimension d’auto-correction). Il n’y a pas une notice technique (le plan) donnée une fois pour toute qu’il s’agit de suivre à la lettre, de la même manière que l’on reconstitue un puzzle (l’unité est déjà donnée, les pièces découpées). Ce qui caractérise un projet politique c’est justement l’ouverture de possibilités que l’on se donne. Il n’y a pas de billet de garantie, ni de charte de qualité donnée par un tiers de confiance. Non pas que cela soit n’importe quoi (des garanties) mais c’est aux agents de les produire, donc il faut qu’ils thématisent leur organisation.
Voilà en bref. :)
a+