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L’école de la vie
21 août 2001
 
jeudi 16 août 2001

Mes débuts

Une vocation
par Raoul

Je suis chez ma meuf et je m’emmerde. Pardon, je suis plutôt
chez ma copine, et nous nous ennuyons, ferme. A cette heure-ci,
il n’y a rien à la télé, rien dans le frigo (mais c’est normal, on a
pas été faire les courses), depuis au moins deux jours : manque
de temps, manque de thune.

Je me connecte : ma connection plante. « Vérifiez votre mot de passe »
me dit racoleuse la fenêtre d’alerte sous Windows que je n’ai pas sollicitée.
C’est fou, cette propension qu’ont les machines à venir commenter vos
actes, en vous renvoyant l’image piteuse d’un voyageur égaré en terres
étrangères, qui ne comprendrait ni la langue, ni les gestes nécessaires
à la survie élémentaire. Je me sens ce voyageur. Ma copine rousse
me sourit : « Toi et la technique, ça fait deux ! ». Je ne sais pas
trop comment interpréter cette phrase sibylline et mystérieuse.
M’en veut-elle de s’ennuyer à mes côtés ? M’en veut-elle de cette
concurrence sauvage et déréglée de l’ordinateur ? M’en veut-elle
de ma nouvelle passion qui l’éclipse ?

J’essaie à nouveau. Enfin ! La chance me sourit. J’accède à cette
anthologie de textes qui a tout déclenché : « l’Horreur journalistique ».
Je retrouve ces mots que j’ai déjà lus cent fois, comme ceux d’un ami.
Ces mots dont je me berce lorsque le désespoir me prend, ou que le
doute me saisit : « Pour s’y faire une place quand on est photographe
c’est pareil, faut s’accrocher. Mais après c’est le « top ». Tout le
monde le lit. »

Je devrais être lucide et écouter la voix de Pierre (il me pardonnera
de l’apostropher de la sorte, avec tant de familiarité - mais
c’est ainsi que je le nomme simplement dans mon for intérieur) ;
me dire que ce monde est trop dur et que le journalisme,
quand t’as pas fait d’école, t’est fermé.
Pourtant, seule la fascination reste en moi. Internet a levé un
espoir formidable pour tous et chacun : moi aussi je peux écrire,
être lu, reconnu. Et même si les temps sont durs, en s’accrochant,
comme Pierre, j’y arriverai.

« Les places sont chères. De l’extérieur, c’est propret » le monde
du journalisme. « A l’intérieur c’est moins terrible, mais y a
que ça et tout le monde est persuadé que c’est ce qu’il y a
de mieux, alors dans la fumée, sans savoir où on va on prend son tour. »
On y va comme au casse-pipe, petit soldat de l’information.
Mais pourtant, l’appel du feu et le devoir sacré de transmettre
l’info, la culture et la démocratie, doivent être les plus forts.
Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place.

« Qu’est-ce que tu écris encore, Raoul ? T’en as pas bientôt fini
de toutes ces conneries ? Ah c’est sûr, que moi, je passe toujours
en dernier... ». Sa voix un peu amère , mi-aigre mi-douce, me
reproche encore d’être moins attentif à elle. La femme
n’est décidément pas l’avenir de l’homme, en tout cas la mienne.
Même si elle me nourrit - notamment, mais pas seulement de sa
présence - et me sourit parfois, en fumant, comme à l’instant, des
cigarettes. J’ai soudain envie de la prendre sauvagement en photo.
Figer pour l’éternité ces deux yeux noirs plein de tendresse et de
courroux. Et plus tard, bien plus tard, sortir le pola de mon porte-feuille
en cuir, celui qu’elle m’a offert pour mon anniversaire. Et pouvoir les
regarder en face, lorsqu’un jour j’y serai parvenu. Et leur dire,
même s’ils sont loin, à présent regarde, tu vois, j’avais raison,
et c’est pour toi que je l’ai fait.

La première fois que j’ai osé frapper à la porte de Ouest France,
j’étais mort de trouille. Insurmontable obscurité des premières fois ;
du moins le croit-on. Une fois dans le hall, je me sentais mieux.
Une jeune fille, d’une trentaine d’années, m’avait indiqué le bureau
du seul journaliste présent en vendredi de juillet. Je le trouvai
penché studieusement, dans ce que je croyais la salle de rédaction.
Il ne m’avait pas vu : de dos, écrivant, corrigeant ses épreuves sans
doute, c’était finalement normal. Enfin, je toussotai :
« Hum, hum... » ; et là, du spectre que j’étais encore, je m’incarnai
soudain en interlocuteur de chair. « Oui ? », me dit-il.

Nous discutâmes près d’une heure. Presqu’à bâtons rompus, sautant du
coq à l’âne, de son expérience du terrain à mon ignorance propre du
métier, de ses glorioles à mon enthousiasme, de la noblesse de la fonction
aux écueils sur lesquels se brisent les illusions de la jeunesse naïve et
vaillante. Un nom avait dominé l’entretien, véritable phare dans la
tempête de nos crânes bouillonants, exaltés comme les vagues par
vent de force 8 : Albert Londres.
J’avais tout lu de lui, dévoré chaque jour d’une traite, ses comptes-rendus
de festivals. Ses analyses étaient toujours pertinentes, elles me donnaient envies
et regrets. Envie d’être à sa place, regret de ne pas y être. Je rentrai ravi.

« Alors, il t’a promis quoi ? », la voix de mauvaise augure, couchée
sur le lit abondonné, drapée dans son orgueil de femme un instant
délaissée, me sommait-elle de renoncer, par cet appel au réalisme ?
Il ne m’avait rien promis, et c’était tant mieux, car je ne cherchais
pas des promesses, mais le contact simple et chaleureux, celui qui
me permettrait d’entrer dans ce monde, certes par la petite porte...
Mais elle s’était ouverte.

Aujourd’hui, je suis en train d’écrire une série de reportages que
j’aurai du mal à vendre, peut-être, sûrement. Mais je sais aussi qu’un
jour, elle viendra : la proposition. Je retournerai d’ailleurs voir
mon « ami » . Il me dira ce qu’il en pense. Ce sera à la veille d’un
week-end, juste avant le 15 août, (une date fétiche pour moi),
quand l’actu en sommeil laisse disponible le chant de la passion.

 
 
Raoul
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Rêveur journalier

21 août 2001
 
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> Mes débuts
4 avril 2003, message de mackdo@hotmail.com
 

tout début a toujour été dificile mais au file des jours on finit par prendre élant raison pour laquelle je tiens a loué le courage entrepris par votre personne en qualité de débutant, j’ose croire que cela pourrait trouvé place dans nous autres qui accusons bon nombre des lacunes .

FOREMAN

 
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> Mes débuts
19 août 2001, message de Pierre Madrid
 

Salut Raoul, c’est Pierre

C’est comme ça que je dirai si j’avais ton téléphone et que je t’appelai pour prendre des nouvelles, te proposer d’aller boire un verre.
"Ma fin" j’aurai envie d’écrire pour répondre à ta chronique.
Ça fait presque un an que je n’ai pas foutus les pieds dans certaines rédactions, cette nuit pourtant j’en ai révé comme un cauchemar. Il y avait une grande piéce avec des gens qui passaient, du bruit, une grande table avec des photos que j’avais amené et jamais celle qu’il fallait, on m’avait oublié devant cette table.

J’ai fait d’autres choses et puis aussi continué a publier. J’ai essayé de prendre la vie moins au sérieux, de garder le sourire quand dans un journal on m’appelle. J’ai encore et sans cesse l’impression d’en être à mes débuts, d’avoir tout a prouver devant des regards froids.
Je n’ai pas relus Albert Londres, ces « fils » se sont perdus. Même sur internet ils ne sont pas.
Je fais d’autre-choses et puis toujours les même.
Je marche le long du canal St Martin avec une jeune femme silencieuse. Elle me remplis toute entiére, c’est bien et je ne sais pas ce qui va nous arriver. Il est question d’images, mais aussi de paroles de sensations, d’émotion d’endroits où nous allons ensemble pour raconter ce que d’autres hommes et femmes vivent.

Nous allons partir en voyage ensemble continuer.

La photographie, le journalisme est arrivé au maximum de sa standardisation, son essence s’est perdus, comme l’essence d’une foi qui disparait au profit de rites, de répétitions, de simulacres sans âmes. La fonction a remplaçé l’essence. Dans les écoles de journalisme on prépare des vedettes, comme dans les haras on prépare des champions, prêts a sauter tous les obstacles pour arriver sur le podium. Peu importe le reste, ils ne révent qu’a la télé, a leur nom sur un journal.

Il nous faut trouver de la place pour d’autres mots, d’autres images, d’autres façons d’emmener des lecteurs se frotter a la réalité, notre réalité, leur réalité. C’est ce que tu réussis dans ton texte. Nous parler de nous en nous parlant de toi. Mais combien sommes nous a être prés à ça. Ne pas vouloir nous étourdir, nous oublier, ne pas désirer ne plus exister, être portés.
Il y a la jeune femme qui marche silencieuse, quelques baisers, mon doigt qui passe sur son bras, des cigarettes, s’abriter de la pluie du 15 Aout. Des enfants qui jouent, une petite musique un peu désespéré qu’elle m’a fait découvrir, des livres de philosophie et puis le calme du mois d’Aout.

Raoul, il nous reste a réinventer la vie puisqu’il y en a de moins en moins là où elle est sensée être : formatée, aseptisée, qualibrée, canalisée, limitée. Non pas quoi en faire mais comment le faire, et l’argent puisqu’il est devenus une façon de tuer, de faire taire, de faire ne plus exister.

Il y a la jeune femme qui marche, le 15 aout le long du canal St Martin, des terrasses bondées, les « événements » de Gènes, des amis que j’ai accompagné au Pére Lachaise ou ailleurs. Morts pendant l’été. 30-35 ans, c’est pas dans les journaux et pourtant c’est là qu’est la vie.

La jeune femme rousse qui s’impatiente m’en rappelle d’autres que j’ai quitté en laissant : des années, des meubles, de l’électro ménager, des livres, des regrets de n’avoir été qu’un réve de respectabilité, un peu d’admiration, d’ambition, une maison.

J’ai envie de te souhaiter un bon début et que tu me souhaite une bonne fin.

Je t’embrasse Raoul, a bientôt.

Pierre Madrid

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> > Mes débuts, 19 août 2001

Salut Pierre ;-))

Merci beaucoup de tes encouragements : je suis très touché.

Ma copine, Karen, n’est pas de celle qui enferme, crois-moi. C’est vrai qu’elle me vampirise parfois, mais n’est-ce pas le propre des femmes fatales ?

Je suis heureux que tu trouves ton inspiration nouvelle dans la vie autour de toi, c’est ce que je compte faire aussi. Mais je ne veux en aucune façon baisser les bras : et même s’il est un mur en face : je foncerai.
Je n’ai pas peur de m’écraser : je n’ai rien à perdre : jeunesse et folie, en somme.
Mais je saurai, un jour comme toi, ce qu’il y a au bout. Et je ne crois pas qu’il y ait d’autre fin que la mort. Nous sommes vivants.

Salut à toi,

RAOUL

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> D’un lecteur captivé
18 août 2001, message de Croa33
 

Si je me branche sur le minirezo (pardon, sur "Uzine") c’est pour y lire une information différente. En général on la trouve... Mais la plupart du temps c’est long et insipide. Je lis donc souvent ou moins en diagonale quitte à freiner le regard lorsqu’apparaît un argument pouvant mettre en jeu ce que je croyais avoir déjà bien compris. Là non, j’ai tout lu en détail ! Bravo !

J’espère que l’on saura reconnaître tes qualités, Raoul !

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Mes fins (et autres fadaises, comme par exemple mes moyens)
16 août 2001, message de PRIVATE JOKER
 

Salut Raoul,

Bien ton texte : top trop cool !

Franchement, ça fait du bien de voir un jeune homme comme toi qui n’en a de l’ambition... Même si tout ce que tu fais, c’est pas vraiment -quelle bonne excuse- pour ta petite personne mais bien plutôt pour ta "meuf", n’est ce pas. C’est d’ailleurs la moindre des choses vu qu’elle te nourrit ! La reconnaissance du ventre à défaut de celle du coeur, en gros.

"Aujourd’hui, je suis en train d’écrire une série de reportages que j’aurai du mal à vendre, peut-être, sûrement."

> t’as au moins compris que le but c’était de vendre : t’inquiètes pas, t’es bien parti ! Je te conseille de consulter l’URL que je te file gracieusement, ça devrait t’aider...

Merci de nous montrer que tout n’est pas perdu.

 
en ligne : Surprise !
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