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mercredi 1er novembre 2000

Le Chant du styrène

par Philippe Moreau

Le Chant du Styrène est le titre d’un court-métrage réalisé par Alain
Resnais en 1958. Une visite des usines Péchiney, guidée par Raymond Queneau.
Le fabricant de polystyrène lui avait commandé ce film, qui devait être à la
gloire de ce « noble matériau... entièrement créé par l’homme ». Resnais en
avait tiré un
film totalement surréaliste, accompagné par un poème de Raymond Queneau et
la musique de Pierre Barbaud (le fameux inventeur de la « musique
algorithmique »).

On a la même impression de surréalisme, quoique pour des raisons entièrement
différentes, en lisant Libé ce matin, qui commente le naufrage de l’Ievoli
Sun de la manière suivante :

« Pas de risque majeur pour l’environnement.
Seul le styrène, un neurotoxique, peut encore poser problème. »

« Seul le styrène peut poser problème... » Il est utile de préciser que
l’Ievoli Sun contient entre 2000 et 4000 tonnes de styrène. Et que ce
produit hautement toxique, utilisé notamment pour la fabrication du
polystyrène, peut provoquer les effets secondaires suivants :

- Asthme : « Oppression respiratoire, dyspnée nocturne, toux, irritation
oculaire, rashs cutanés et rhinite. »
(source : Clinique des Maladies Respiratoires
CHU-Hôpital Arnaud de Villeneuve)

- Vertiges, douleurs, cancer (après exposition non protégée ou inhalation) :
« Vertiges. Somnolence. Maux de tête. Nausées. Faiblesse.", "Rougeur de la
peau », « Rougeur et douleur des yeux », « Douleurs abdominales ».
« Une contamination dangereuse de l’air est lentement
atteinte lors de l’évaporation de cette substance à
20°C. »
« La substance est irritante pour les yeux, la peau et les voies
respiratoires. L’ingestion du liquide peut entraîner une aspiration au
niveau des poumons avec un risque de pneumopathie. L’exposition peut
provoquer une diminution de conscience. »
« Un contact répété ou prolongé avec la peau peut
causer une dermatite. Un contact répété ou prolongé
peut causer une sensibilisation cutanée. Une exposition répétée ou prolongée
des voies respiratoires peut causer de l’asthme. La substance peut avoir des
effets sur le système nerveux central.
Cette substance est peut-être cancérogène pour l’homme. »
(source : une excellente fiche
établie par le très sérieux CDC américain - Center for disease control).

- Détérioration de la santé mentale : « L’instabilité émotive est une des
premières manifestations de l’exposition chronique aux solvants organiques.
Malgré la possibilité que des désordres émotifs puissent être des
manifestations précoces de désordres affectifs ou troubles de personnalité,
peu d’études ont tenté de quantifier ou d’examiner en détail le lien entre
les changements d’ordre émotif et l’exposition aux solvants organiques. La
présente étude s’intéresse à l’impact de l’exposition professionnelle au
styrène comme facteur de risque pouvant agir sur l’état émotif d’individus
actifs. Sur une base volontaire, 128 travailleurs (85% de participation) de
trois usines où l’on utilise le styrène, ont rempli des questionnaires
auto-administrés : le Profil des Humeurs (POMS), l’Indice de Détresse
Psychologique (IDP) et l’Indice de Bien-Être Psychologique (IBE). Les
résultats montrent une relation significative entre l’acide mandélique
urinaire mesuré à la fin de la journée de travail (indicateur biologique de
l’absorption du styrène) et certains scores obtenus sur des échelles ou
indices psychométriques » (les indices psychométriques pris en compte sont :
tension-anxiété, hostilité-colère, fatigue-inertie et
confusion-désorientation)
(Source : Détérioration de la santé mentale chez des travailleurs exposés
au styrène
,
M.-P. Sassine, D. Mergler, F. Larribe, S, Bélanger
Rev. Epidém. et Santé Publ., 1996, 44:14-24)

« Seul le styrène peut poser problème... » Oui, et les normands feraient bien
de lire un autre journal que Libé
s’ils veulent un compte-rendu objectif de la situation, et non pas une
recopie pure et simple des communiqués
de la préfecture ou du ministère. Surtout que l’AFP vient de nous apprendre
que :
« Des produits toxiques, contenus dans l’épave de l’Ievoli Sun, qui a sombré
mardi près des côtes normandes du Cotentin, pourraient s’être échappés des
cales : une "forte odeur" chimique s’est dégagée, mercredi, sur les lieux du
naufrage.(...)
L’odeur est "très forte" et "on ne l’oublie pas lorsqu’on l’a sentie", a
rapporté l’adjoint au préfet maritime de la Manche et de la Mer du
Nord.(...) Il pourrait s’agir de styrène, produit très toxique dont les
cales du navire en renfermaient environ 2.000 tonnes, mélangé à du gasoil.
En raison des risques de déflagration, les opérations dans la zone de
l’épave ont été suspendues et les navires marchands ont consigne de ne pas
passer à moins de six kilomètres de la position de l’épave, située au bord
du rail d’Ouessant. » (lire la dépêche complète)

A part ça, et les quelques broutilles qui risquent de l’accompagner
(vertiges, asthme, cancer, troubles mentaux...), « pas de risque majeur » pour
l’environnement, donc. Et Libé de poursuivre :
« Les 1 000 tonnes d’alcool isopropylique (NB : autre composant de la
cargaison de l’Iveoli Sun), un produit soluble dans l’eau, ne devraient pas
poser de problèmes. Le composé est considéré comme inoffensif et les
poissons ne craignent, en cas de fuite, qu’un coma éthylique. » Ah, bon, si
c’est que ça... Y’aura qu’à leur en remettre une rasade pour le premier de
l’an !

 
 
Philippe Moreau
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> Le Chant du styrène
2 novembre 2000, message de Greg.fr
 

Je me permet d’ajouter quelques lignes. D’abord, la mobilisation de tout un tas d’instances, d’organismes et de politiques n’est pas forcément une bonne chose. Le discours des associations de défense de la nature ne se fait jamais aussi clairement entendre que lorsque l’on essaye de les écarter d’un lieu ou de leur cacher des informations. Les faire monter à bords des navires de la Marine Nationale, c’est à mon sens les prendre en otage.

La réaction, immédiate, de la Shell est aussi symptomatique : ils ont eu la "sagesse" de ne pas répéter l’erreur de Total en la matière. Y at-on gagné au change ? Pas sûr. Jamais vu de bonnes paroles renflouer un navire. Dommage, car vu le concert de réactions indignées, de commentaires et d’analyses qui ont fusé depuis lundi, il ne fait pas un doute qu’en deux jours, ils auraient transformé ce "chimiquier" en 747.

A part ça, j’ai été ravi d’apprendre que "le pire avait été évité" (Libé du 1er novembre).

Pour finir sur une touche d’humour (il nous reste au moins ça), je relevais ce titre dans Libé du 2 novembre : "Le groupe Shell totalement prêt à intervenir". 1/ nous voilà rassurés, la cavalerie arrive. 2/ on ne me fera pas croire que totalement a été choisi à la légère. Encore heureux que l’Erika ait été affrété par Total, sinon personne n’aurait compris un titre de type "Le groupe Shell exxonnement prêt à intervenir, ou BPellement prêt... Dommage que dans sa grande sagesse, le Créateur n’ait pas donné au oiseaux, aux poissons et aux crustacés des cordes vocales, avec des titres comme ça, on les imagine déjà morts... de rire (avant de finir dans nos assiettes).

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> Le Chant du styrène, éric chabert, 2 novembre 2000