La critique sociologique peut-elle être un facteur de changement dans la fabrication de l’information ? Cyril Lemieux, auteur de "Mauvaise presse", l’espère. Il propose une analyse « compréhensive » du travail journalistique et esquisse des propositions de changement. Un travail à poursuivre ?
« Des marionnettes d’une nécessité qu’il faut décrire ». C’est ainsi que Pierre Bourdieu définit les journalistes dans son petit livre Sur la télévision. Sa critique, globale, structurelle, déniait aux acteurs/auteurs de l’information la possibilité de changer leurs manières de travailler d’une manière conjoncturelle.
Evidemment, les professionnels de la profession l’avaient mal pris (ce qu’avait d’ailleurs prévu le sociologue). Evidemment, les critiques les plus acharnés des médias avaient fait leur miel de cette vexation : ils avaient enfin la preuve du refus des journalistes de se remettre en cause.
Dans son travail, intitulé Mauvaise presse, Cyril Lemieux, sociologue des médias, disciple de Luc Boltanski, prend ses distances vis-à-vis de ce parti pris, qu’il juge excessif.
Car la critique purement externe « méconnaît le type de contraintes pratiques et de normes de fonctionnement qui encadrent l’activité qu’elle vise. Elle tend par conséquent à être entendue par les intéressés comme le signe que le critiqueur a une mauvaise connaissance des règles effectives du métier. De ce fait, elle les conduit à faire jouer entre eux des formes de solidarité et de connivence professionnelles qui leur permettent de résister aisément à ce qu’on leur reproche. »
Ainsi s’expliquerait l’échec pratique des critiques de Pierre Bourdieu ou de Serge Halimi : « Avec de telles critiques, les journalistes peuvent bien, en effet, acquiescer au diagnostic global qui leur est soumis, ils ne se voient néanmoins pas dotés des moyens de modifier radicalement la situation qu’on leur décrit et d’empêcher à titre individuel la reproduction de dérives qui leur sont collectivement imputés. »
Audimat et démocratie, même combat
De même, il est vain de proclamer comme Pierre Bourdieu : « On peut et on doit lutter contre l’audimat au nom de la démocratie. »
Un bref rappel historique montre que la presse s’est construite depuis le XVIIIème siècle sur un modèle strictement libéral. L’affirmation du respect de la liberté d’information a été aussi nécessaire au développement d’une presse pluraliste et populaire que l’élargissement de son audience.
Si l’on veut inverser la formule de Bourdieu : la recherche de l’audimat a permis de lutter pour la démocratie. Et de s’affranchir des élites (Diderot et Rousseau en tête) qui voyaient d’un fort mauvais oeil leur pouvoir de production d’écrits leur échapper, au profit du tout venant.
Une critique n’a donc aucune chance de devenir facteur de changement si elle parie sur l’abolition de cette « ambiguïté constitutive » : « Des aménagements matériels et organisationnels qui remettraient trop radicalement en cause la productivité et la rentabilité de l’activité telle qu’actuellement elle est ordonnée, n’auraient à vrai dire que peu de chances d’être adoptés et mis en oeuvre par les responsables des entreprises de presse. »
Nous ajouterons pour notre part que la suppression pure et simple de l’impératif économique, s’il ne peut changer la presse existante, peut en revanche contribuer à créer une autre presse. Témoin de cette seconde révolution de l’information, le mouvement actuel des médias indépendants bénévoles sur l’internet. Comme il a été écrit récemment ici-même, l’internet pourrait ainsi être le lieu idéal pour « le premier vrai droit de réponse du citoyen-consommateur.
Et les baronnets médiatiques, pas si stupides, verront leurs privilèges menacés : l’opinion n’est-elle pas une chose un peu trop sérieuse pour la laisser à d’autres qu’à des spécialistes avisés ? » De cette façon, Philippe Val, rédacteur en chef de Charlie Hebdo et auteur d’un édito calamiteux et paranoïaque, est bien l’héritier de Rousseau... Mais l’on s’égare...
Pourquoi les journalistes tutoient les hommes politiques
Une fois affirmée sa position dans le champ sociologique, l’auteur de Mauvaise presse entreprend une analyse « compréhensive » des conditions et des difficultés du travail journalistique.
Ce faisant, il espère pouvoir convaincre les professionnels des médias de « réguler » leurs actions afin d’éviter les dérives. Réaliste, et délibérément pratique, Cyril Lemieux part de situations réelles emblématiques, fautes concrètes (par exemple, la fausse interview de Fidel Castro par PPDA en 1991) ou attitudes courantes (par exemple, le tutoiement employé par certains journalistes vis-à-vis d’hommes politiques).
L’objectif du sociologue est de construire à partir de l’observation un modèle apte à expliquer les comportements des journalistes.
Cyril Lemieux met ainsi en évidence plusieurs types d’attitudes, que le journaliste se doit d’adopter tour à tour s’il veut « sortir » une information.
Ces comportements ressortent de trois « grammaires » différentes. Le concept de grammaire est défini comme « l’ensemble des règles à suivre pour agir d’une façon suffisamment correcte aux yeux des partenaires de l’action. »
La « grammaire privée » définit le besoin qu’a le journaliste de lier avec ses informateurs des relations personnelles empreintes de confiance (ne pas flouer son interlocuteur) et sous-tendues par un élan de restitution (tirer partie des informations données et savoir faire intervenir à bon escient l’informateur).
Il s’agit bien d’un besoin : « Ceux qui parlent à la première occasion de copinage feraient donc bien de considérer que si d’aventure, les journalistes n’avaient le droit de rencontrer leurs sources qu’en utilisant la grammaire publique, l’information publiée ne serait jamais que de la reprise de communiqués ou que de l’interview, avec le risque non négligeable de laisser perdurer des scandales et de privilégier cette technique de pouvoir qu’on appelle la langue de bois. » Une étude de cas, au sein du service politique de la rédaction du Monde, permet de préciser le fonctionnement de cette grammaire privée, notamment à travers la pratique du on the record et off the record, et du tutoiement.
Pourquoi les journalistes vouvoient les hommes politiques
La « grammaire publique » impose des règles que le journaliste se doit de respecter pour prouver la fiabilité de ses informations vis-à-vis du public.
A savoir : la distanciation énonciative (citer ses sources avec le plus de précision possible), la conservation de l’initiative (choisir soi-même les circonstances de publication de l’information), le recoupement (vérifier à plusieurs reprises une information), la recherche de preuves (permettant d’établir la véracité de ses informations devant la justice), le respect de la polyphonie (donner à chaque partie en présence le droit à la parole), et la séparation des faits et des commentaires (donner à voir au lecteur quelle est la part exacte du fait vérifié et du sentiment éprouvé).
Ces règles, très strictes, ne sont pas appliquées partout de la même façon, à cause de la tolérance plus ou moins grande d’une rédaction par rapport aux manquements à ces règles. Ainsi, la règle de la séparation des faits et des commentaires n’est pas aussi radicalement ancrée en France que dans les pays anglo-saxons (même si elle tend à s’affirmer depuis quelques années, à l’instigation du Monde).
Une troisième « grammaire » vient compliquer l’exercice du métier de journaliste : la « grammaire de la réalisation », qui conditionne la mise en forme de l’information. La réalisation d’un reportage est fonction d’un format (liés au temps, à l’esthétique, au discours) et d’une vitesse (arriver avant la concurrence, ou au moins, ne pas donner l’impression que la concurrence à une information que l’on n’a pas).
C’est dans le passage à la production effective de l’information que le journaliste fait normalement la part des choses entre la grammaire naturelle et la grammaire publique. Ainsi arrête-t-il de tutoyer un homme politique lors d’un entretien en public.
Pendant l’affaire Grégory, les envoyés spéciaux ne dormaient plus
La tension est énorme entre ces trois grammaires. Les dérapages naissent du non-respect, absolu ou relatif, des règles qu’elles induisent. Et le journaliste ne sait/peut/veut pas toujours assumer cette tension, pour des raisons personnelles, ou parce qu’il est soumis à des pressions venant de ses informateurs ou de sa rédaction.
L’exemple du traitement de l’affaire Grégory, longuement étudié par le sociologue, montre ce qui arrive lorsque cette tension est résolue au profit de l’engagement privé ou des besoins de la réalisation. Sur le terrain, les journalistes se sont transformés successivement en amis de la famille Villemin, puis en enquêteurs, enfin en procureurs, oubliant toutes les règles de distanciation induite par la grammaire publique.
« A un premier niveau d’analyse, écrit Lemieux, il apparaît que la perte de distance des journalistes fut liée à la saturation de leur environnement en répulsions particulièrement puissantes (notamment des consignes de leur rédaction et des deadlines) leur permettant de réaliser la limite de leur action, si jamais ils ne répercutaient pas très vite les débuts de pistes que leur ouvraient les enquêteurs et les magistrats, ou les informations publiées par d’autres. »
Une journaliste explique ainsi qu’elle s’est entendue répéter des informations données par une radio concurrente, à deux heures d’intervalle, sans les vérifier : « On répercutait tout ce qu’on nous disait parce qu’il fallait le faire, parce que les autres le faisaient. » La logique de la réalisation est reine.
Mais l’affaire Grégory a également mobilisé les sentiments des reporters : « Beaucoup de journalistes possédaient aussi des raisons plus personnelles de relativiser les règles dérivées de la grammaire publique. Certains, en effet étaient animés d’une forte attente de justice (...) D’autres l’étaient surtout par un fort élan d’engagement (ceux-là rêvaient d’être celui ou celle qui déchiffrerait enfin l’énigme du « corbeau »). (...) Ils n’en dormaient plus la nuit. »
Et si la critique faisait vendre ?
Cyril Lemieux propose de donner au journaliste des appuis pour ne pas affronter seul cette tension ; pour l’aider à la soutenir sans jamais la résoudre par l’abandon d’une des grammaires. Deux personnages actuels (bizarrement appelés par l’auteur « postmodernes ») sont alors convoqués : le « citoyen-consommateur mécontent » et le « journaliste ouvert à la critique ». Le premier saura demander des explications quand un dérapage sera constaté. Le second saura accepter cette demande (et donc appliquer à lui-même l’impératif de communication qu’il impose aux autres).
Ces deux personnages devraient pouvoir s’exprimer au sein « d’arènes de confrontation et d’échange ». Dans ces lieux seraient affirmés les impératifs de grammaire publique. Là, le public et les informateurs des journalistes pourront « se protéger » de « l’usage, par les journalistes, de certaines techniques de pouvoir » (comme la construction de coups médiatiques au détriment des sources ou le bidonnage de reportages).
A l’inverse, les journalistes pourront résister « contre l’usage, par leurs interlocuteurs ou supérieurs hiérarchiques, de ces mêmes techniques » (par exemple, le chantage à la publicité de la part de certains informateurs ou la pression liée à la recherche d’une information coûte que coûte).
Ces espaces se doivent d’être publics pour être utiles. Ils peuvent d’ailleurs, espère Cyril Lemieux, devenir « des arguments de vente » : c’est là une « condition pour les rendre conciliables avec les logiques productives aujourd’hui à l’uvre. » La boucle est bouclée : en reprenant les critiques du public, la presse montrerait qu’elle l’écoute ; en montrant qu’elle l’écoute, elle garderait son public.
Ainsi la critique du sociologue débouche-t-elle sur une proposition réaliste, respectant l’organisation économique de la presse actuelle. Mais Cyril Lemieux se montre peut-être là un peu trop optimiste. En effet, les lieux de régulation qu’il veut installer ne le seront qu’à condition d’un véritable changement de mentalité dans les rédactions... Il faudrait que tous les journalistes deviennent « ouverts à la critique » et même demandeurs pour que soit réalisés les propositions de Cyril Lemieux. Les expériences déjà menées montrent que l’argument économique ne suffit pas, seul, à remettre en cause la toute-puissance des journalistes.
Plus facile à dire qu’à faire !
Cyril Lemieux préconise la création d’un espace de réflexion permanent, qui obligerait les journalistes « à échéance régulière et de façon systématique » à réfléchir sur « des problèmes déontologiques concrets ». Plus facile à dire qu’à faire ! Ce genre d’espace existe à travers une émission comme Arrêt sur image (malgré des limites évidentes). Cette émission est souvent taxée par les professionnels de « donneuse de leçon ». Le passage a une critique publique est encore mal accepté. Ce n’est pas parce que Daniel Schneiderman reçoit PPDA, que PPDA va changer sa manière d’être !
Cyril Lemieux souhaite d’autre part l’instauration d’un contrôle permanent du contenu rédactionnel par des personnes non engagées dans le processus de fabrication de l’information. « Ceci peut être obtenu en systématisant la présence d’un ou de plusieurs « étrangers à la rédaction » (journaliste extérieur, journaliste étranger, représentant d’une association d’usagers, universitaire, etc.) pour assister aux conférences de rédaction. » Cette proposition risque de se heurter au même écueil : les journalistes sont prompts à stigmatiser les « donneurs de leçons ». Elle suppose par ailleurs que les décisions rédactionnelles soient prises en conférence de rédaction. Or, ce n’est pas toujours le cas : la conférence de rédaction est parfois plus un moment rituel de rassemblement (entre journalistes, et non pas avec des personnes étrangères à la rédaction !) qu’un lieu de décision (c’est particulièrement flagrant à Libération, où l’ordre du jour, défini service par service, est entériné presque sans débat, et au Nouvel Observateur, où la conférence sert à discuter plaisamment de sujets d’actualité plus que du sommaire du prochain journal). Le lieu où est décidé la hierarchie de l’information confine parfois au privé (respectivement, dans nos exemples, le bureau de Serge July ou de Laurent Joffrin).
Plus réaliste semble la proposition de créer « une fonction professionnelle consistant dans ces mêmes conférences de rédaction, à représenter symboliquement et exclusivement le point de vue de la morale professionnelle et du souci déontologique en face notamment des exigences « réalistes » de ceux qui représentent le point de vue commercial. » Cette fonction recouvre en partie celle du médiateur, telle que définie par certains journaux (Le Monde, France 2).
Quand Claude Sérillon sera fier de ne pas interviewer Jacques Chirac
Le rôle du médiateur est cependant, dans la pratique, fortement ambivalent, comme le montre l’analyse passionnante réalisée dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales (revue d’ailleurs dirigée par Pierre Bourdieu) à propos du Monde. Les médiateurs successifs employés par le quotidien du soir ont surtout eu pour rôle (même inconscient) de justifier les changements de formats et l’évolution des références du quotidien. Par ailleurs, quand le médiateur cherche à se différencier trop fortement de la politique de la rédaction en chef, comme dans l’édifiante histoire des suppléments touristiques racontée ici (http://www.minirezo.net/article288.html), il court le risque de se retrouver isolé.
Le pouvoir symbolique que procure une tribune hebdomadaire ne donne pas automatiquement le pouvoir de changer les pratiques critiquées. Aussi Lemieux propose-t-il d’aller plus loin, et de créer « une commission d’évaluation des contenus, élus régulièrement par leurs pairs, dont la tâche consistera à vérifier si certains produits jugés « limite » ont un sens assez positif dans la grammaire publique ». Mais cette idée réveille le spectre d’un « Ordre des journalistes » (sur le modèle de l’Ordre des médecins). Là-encore, l’assentiment de la profession risque de faire défaut. Or, il paraît indispensable, pour qu’une telle commission soit utile.
Directement applicable est en revanche l’instauration de « routines », inverses des routines actuelles : « la non-relecture des interviews par les interviewés dans la presse écrite ou dans les médias audiovisuels » (action tout à fait envisageable, puisque dans certains titres, cette pratique n’existe pas), « l’habitude de montrer au public des archives où l’invité a tenu des propos contradictoires avec ses propos actuels et de lui demander raison de ce décalage », et encore « l’engagement solennel, pris devant le public, de refuser d’interviewer une personnalité publique, y compris le chef de l’Etat, si c’est elle qui doit désigner son interviewer » (solution tout à fait envisageable, puisque cette pratique est une spécificité française).
Ces routines nouvelles, mises en place par les rédactions en chef, peuvent être acceptées par les journalistes d’autant plus facilement qu’elles réaffirment des engagements liés à la grammaire publique. Le seront-elles des interviewés, habitués à d’autres pratiques ? Ils devront s’y faire, si ces propositions sont entérinées collectivement par les journalistes. Allez, Sérillon, un peu de courage : arrête de faire la gueule quand Chirac choisit le journal de TF1 et pas le tien pour raconter des sornettes acadabrantesques ! Fais-en au contraire un motif de fierté !
La fin d’un monopole
Ces trois propositions avaient pour but de permettre au journaliste de « résister aux séductions, intimidations et frustrations dont ils sont la cible de la part de certains interlocuteurs ou supérieurs hiérarchiques (et à travers eux, par exemple, de certains actionnaires ou annonceurs). » Mais les journalistes doivent aussi être tempérés dans leurs propres pouvoirs.
Ils peuvent l’être par la création de rubriques qui les obligeraient à aller chercher une information moins immédiate, voire « à contretemps », donc à prendre du recul et à donner la parole aux exclus des médias. Certains journaux commencent à faire vivre de telles rubriques, notamment L’Humanité ou Libération. Le succès d’une émission comme Là-bas si j’y suis, qui fait son miel de ce principe, prouve que de telles rubriques correspondent à une demande du « citoyen-consommateur mécontent ».
Les journalistes devraient également, selon Cyril Lemieux, être soumis à des mises en demeure publiques de s’expliquer sur leurs dérapages, demandes d’explication auxquelles ils doivent s’engager à répondre. Si cet engagement volontaire n’est pas acquis, les mises en demeure ne manquent pas (notamment sur ce site)...
L’essor des médias indépendants accentue cette dynamique. Pierre Bourdieu écrivait, dans Sur la télévision : « Les journalistes il faudrait dire le champ journalistique doivent leur importance dans le monde social au fait qu’ils détiennent un monopole de fait sur les instruments de production et de diffusion à grande échelle de l’information, et, à travers ces instruments, sur l’accès des simples citoyens mais aussi des autres producteurs culturels, savants, artistes, écrivains, à ce qu’on appelle parfois « l’espace public », c’est-à-dire à la grande diffusion. » Cette situation de monopole est aujourd’hui grandement entamée, notamment grâce à l’internet. Plutôt que d’attendre qu’on parle d’eux dans les grands titres de presse, les exclus des médias (chômeurs, artistes, féministes, penseurs...) ont inventé leur propre espace de parole.
Changer le trajet pour aller au boulot
Pas complètement dégagé du complexe du savoir/pouvoir, Pierre Bourdieu espérait aussi, dans L’emprise du journalisme, « une action concertée entre les artistes, les écrivains, les savants et les journalistes » dans le but de « travailler efficacement à la divulgation des acquis les plus universels de la recherche et aussi, pour une part, à l’universalisation pratique des conditions d’accès à l’universel. »
La bonne nouvelle, c’est que les citoyens n’ont pas attendu le sociologue jargonnant et sa bande de copains pour commencer le travail !
Do it yourself... Incontestablement, on peut appliquer à ces citoyens-journalistes cette définition du mouvement punk donné par Greil Marcus dans l’excitant essai Lipstick Traces : « Les Sex Pistols ouvrirent une brèche dans le monde du rock et de la chanson, dans l’écran des certitudes qui sont censées régir l’offre et la demande en matière de goût. Parce que ces certitudes, ces idées culturelles reçues, sont hégémoniques et voudraient expliquer comment le monde est censé tourner des constructions idéologiques perçues et vécues comme des faits naturels cette brèche dans le milieu pop s’ouvre sur le royaume de la vie quotidienne.
Le milieu où les gens vivent pour de vrai des faits comme : aller au travail, bosser à la maison ou à l’usine ou au bureau ou au centre commercial, aller au cinéma, acheter des légumes, acheter des disques, regarder la télévision, faire l’amour, discuter, ne pas discuter, ou faire la liste de ce qu’il reste à faire. Jugé à l’aune de son ambition sur le monde, un disque des Sex Pistols doit changer la façon dont une personne donnée choisit son trajet pour aller bosser. Ce qui revient à dire que le disque doit relier cet acte à tous les autres, et puis appeler le processus dans son ensemble à se remettre en question. Ainsi, le disque ferait changer le monde. » En plus de changer le monde, les nouveaux médias parviendront peut-être par l’exemple de leur pratique à faire changer la presse libérale traditionnelle...
Dépasser le stade de l’imprécation
Le travail de Cyril Lemieux arrive à point nommé dans ce contexte de construction/déconstruction de l’ordre médiatique établi. Mauvaise presse ouvre la voie, après les (utiles) déflagrations causées par les pamphlets de Bourdieu et d’Halimi, à une critique constructive de la raison médiatique.
Penser les dérapages de l’information en fonction des schémas grammaticaux proposés par l’auteur permet de donner une analyse plus fine des situations. Les critiques des médias pourront désormais pointer avec une grande précision l’endroit où ça dérape. Le temps de l’imprécation tonitruante est dépassé : il s’agit maintenant de forcer les journalistes à changer leur pratique quotidienne. Cyril Lemieux nous donne des armes pour cette bataille de l’information.
Quels contre-pouvoirs faut-il créer au sein des rédactions pour limiter les dérives ? Quelle forme doit prendre la fonction du médiateur pour être plus efficace ? Comment convaincre le consommateur de se transformer en citoyen, c’est-à-dire de boycotter certains programmes, d’en favoriser d’autres, et de s’exprimer sur tous ? De quelle manière les nouveaux médias peuvent-ils éviter de tomber dans les mêmes pièges que leurs aînés (trop) installés ?
Ces questions, qui sont déjà au travail un peu partout, gagneront en réalisme si elles prennent en compte les acquis de la réflexion de Cyril Lemieux.